Le débat autour du conflit israélo-palestinien se radicalise un peu plus à chaque nouveaux événements. Mais le débat reste t-il possible ? Tel était le thème de la conférence organisée à Gennevilliers autour de journalistes et chercheurs. 

Le débat autour du conflit israélo-palestinien est-il impossible en France ? C’était le thème de la première conférence organisée il y a quelques jours par le master de journalisme de Gennevilliers. Après une couverture médiatique controversée cet été suite à l’opération « Bordure protectrice » de l’armée israélienne dans la bande de Gaza, ce débat avait pour but de prendre du recul sur le travail effectué par les médias et de comprendre pourquoi en France ce sujet est aussi passionnel. Autour de la table étaient présents le député des Hauts-de-Seine Alexis Bachelay, le journaliste et chercheur Abdelasiem El Difraoui, Didier Epelbaum, ancien médiateur à France 2, le chercheur Boualem Fardjaoui et le médiateur et professeur au sein du master Romain Badouard.

Ils ont essayé de comprendre quelle était la source de ce débat « impossible » plutôt que d’essayer d’en trouver une solution. « Il y a eu une hystérie dans le débat public cet été, explique le député PS Alexis Bachelay, avec des choses très violentes, liées aux images qui venaient du Proche-Orient. On a voulu revenir sur l’enchainement des événements pour comprendre ce qu’il s’est passé et en tirer des leçons ».

« La presse française a un problème, elle dit ce qu’il faut penser »

Dans la salle, plusieurs thèmes sont revenus tout au long de la soirée, comme l’impartialité du journaliste, qui a été mise en cause à plusieurs reprises. Pour Didier Epelbaum, « on a oublié le terme d’objectivité journalistique depuis 30 ou 40 ans en France. Car l’observateur totalement objectif n’existe pas ». Ce problème viendrait-il du traitement français de l’information ? Les journalistes mettraient trop en avant leurs prises de position dans leurs papiers. Les intervenants comparent cette méthode à celle des journaux anglo-saxons, qui sépare les articles de faits aux articles d’opinions. « La presse française a un problème, elle dit ce qu’il faut penser, dénonce Epelbaum. Moi j’avais tendance à donner aux lecteurs des éléments nécessaires pour qu’ils se forgent leurs opinions ».

Mais peut-on parler du conflit israélo-palestinien en toute liberté ? Le député Alexis Bachelay en a fait l’expérience cet été, lorsqu’il a dénoncé la prise de position de François Hollande sur la guerre à Gaza. Le Président a annoncé qu’il « appartenait au gouvernement israélien de prendre toutes les mesures pour protéger sa population face aux menaces ». Bachelay a critiqué cette déclaration dans un communiqué, signé avec le parlementaire Razzy Hammadi, où ils ont écrit que « la France doit au contraire clairement condamner toutes les représailles militaires ».

Suite à la publication du communiqué, le député se souvient : « Nous avons reçu une série de contre-offensives médiatiques d’une violence inouïe. La plus violente vient du site JJS News, [spécialisé dans l’actualité israélienne et revendiqué sioniste, ndlr], qui a totalement déformé notre communique en titrant un article : « Pour Alexis Bachelay (député PS): Israël doit disparaître ! » alors qu’on demandait un arrêt des représailles et des violences contre les populations civiles ». L’impossibilité de s’exprimer sans être attaqué est devenu une réalité. Didier Epelbaum se souvient que cet été, l’actuel médiateur de France 2 n’a pas pu mettre un forum en ligne sur le conflit israélo-palestinien car « il a affirmé qu’en juillet il était submergé de courriers motivés par le conflit, d’une violence inquiétante et qui montraient une véritable haine à l’encontre de ceux exprimant des avis différents ».

Le journaliste a un devoir, celui de « contextualiser »

Mais alors quel rôle doit avoir le journaliste dans ce conflit, pour le rendre « possible » ? Dans le public, une personne dénonce pourtant leur autocensure, une autre considère le journaliste comme « muselé ». Mais pour Abdelasiem El Difraoui, les médias peuvent avoir un impact dans ce conflit et faire avancer le débat. Le journaliste aurait un devoir, celui de « contextualiser » cette guerre car il déplore qu’aujourd’hui « on donne les faits, les nombres de morts, mais on ne remet plus en perspective. Souligner uniquement une actualité forte nous amène vers une polarisation, c’est pourquoi il faut toujours contextualiser ce conflit, revenir à la racine ».

Ce serait le devoir du journaliste. Il fait allusion au concept « du journaliste de la paix ». El Difraoui définit ce rôle : « Les journalistes peuvent apaiser un conflit, en suivant un événement sur le long terme, et en soulignant les similitudes et les terrains d’entente comme le fait que des jeunes Israéliens et Palestiniens veulent créer des entreprises ensemble ». L’importance aussi vient du poids des mots et de leur sens. Dans le public, un intervenant compare la situation à Gaza avec l’apartheid en Afrique du Sud. Pour Epelbaum, « ça n’a rien à voir, dit-il, En Afrique du Sud, il y avait des lois instaurées pour séparer deux populations, ce n’est pas le cas au Proche-Orient ».

« Pourquoi défendre la cause d’un peuple anéanti n’est pas « bankable » ? »

Cette contextualisation du conflit parait pourtant impossible dans les médias, par manque de temps, par manque d’espaces. Didier Epelbaum se rappelle qu’à l’époque de Christine Ockrent et de Patrick Poivre d’Arvor sur France 2, « on accordait une vingtaine de minutes, des éditions spéciales, sur le conflit israélo-palestinien ». Ce qui permettait de prendre le temps de raconter les causes du conflit pour mieux le comprendre. Si les chaines accordent moins de temps à ce conflit à présent, c’est parce qu’il intéresse une minorité du public. Epelbaum cite les chiffres de 2014 de l’IFOP, qui compte que 74% des Français ne prennent pas position dans le conflit.

« Une amie journaliste voulait organiser une émission de débat sur ce thème mais elle m’a dit  » je ne peux pas me couper de 70% des gens, je fais une émission pour tous les Français » ». El Difraoui poursuit ce point de vue en affirmant que le conflit au Proche-Orient « n’intéresse personne », et qu’il « tue l’audimat ». Couvrir ces événements à la télévision est difficile, mais il est plus facile à traiter sur le web, selon le journaliste. Le média facilite la tâche mais il est aussi plus dangereux car « les gens qui s’intéressent aujourd’hui au conflit israélo-palestinien ne regardent plus les médias classiques mais des canaux sur le web à qui ils font confiance, partage t-il. Et souvent ces canaux sont polarisants car ils font de la propagande pure. Il faudrait avoir des médias fiables qui relatent le conflit au quotidien. » Un peu plus tard dans la salle, un homme demande alors : « Pourquoi défendre la cause d’un peuple anéanti n’est pas « bankable » ? ». Une question qui ne trouve pas de réponse, dans une salle où seulement une trentaine de personnes se sont déplacées pour écouter parler du conflit entre Israël et la Palestine.

Assia Labbas

Crédit photo : Inès Belgacem

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