Il faut prendre le métro E, traverser Manhattan, aller jusqu’au bout de la ligne, prendre le bus Q46, s’enfoncer dans les terres de la banlieue new-yorkaise. Longer l’université Saint John’s. Y entrer. Monter. Au premier étage, la salle 133, frapper à la porte. Diane Paravaz donne un cours de français à une classe. Ils sont une quinzaine, balayés par la climatisation. « On était en train de regarder votre blog » dit-elle.

On prend la place de la maîtresse. Devant le tableau, face à une classe bien sage. Un élève, au premier rang, s’échauffe : « J’ai entendu dire que Marine Le Pen est une candidate sérieuse, face à votre président Sarkozy. » Les autres sont déjà largués. Pour les recadrer, Diane cite l’équivalent américain, Sarah Palin. Ils comprennent, en rigolent.

Pour la plupart, ils ont la vingtaine à peine brûlée. Quand les tours ont vu leur destin s’écrouler, ils avaient 10 ans. Ou un peu plus. Hanna raconte : « J’habitais Chicago. J’avais 11 ans. À l’école, j’entendais les profs qui disaient que le World Trade Center s’était effondré. Je ne savais pas ce que c’était. » Elle se souvient de ce jour, « j’étais folle de joie que mon père vienne me chercher plus tôt à l’école. Mais il avait la mine sérieuse et il a dit que Chicago pouvait être touché d’une minute à l’autre. » La paranoïa s’était emparée du pays instantanément.

Un autre élève, à deux tables de Hanna, se remémore avoir vu « pour la première fois avec son père, les deux tours, deux semaines avant qu’elles ne soient détruites. Il m’avait expliqué l’importance et le symbole de ces tours pour l’Amérique. » Pour autant, l’événement ne semble pas avoir laissé de trace indélébile. « Sur nous, non. Mais sur ceux qui ont perdu des proches, c’est normal » remarque une fille, au deuxième rang.

Dix ans après, ils ont appris à vivre avec le passé. Ils ont appris à tourner cette lourde page, même si certaines traces persistent d’après Hanna. Elle reprend la parole : « Dix ans après, je pense que les gens ont toujours un réel problème avec l’Islam. J’en ai fait l’expérience. J’ai mis un voile pour prendre l’avion. J’ai bien vu comment la sécurité de l’aéroport m’avait traitée avec suspicion. » Une décennie plus tard, Ben Laden baigne dans les tréfonds de la mer : « Et si c’était pas vrai ? » émet un élève, au dernier rang. Avant d’ajouter : « C’est pas la mort de Ben Laden qui va mettre fin à cette organisation. »

Dix ans plus tard, deux nouvelles tours éclosent. Elles s’apprêtent à atteindre des sommets. Et quand certains disent que la menace terroriste règne encore, la classe rigole. Un élève, plus âgé que la moyenne, soutient : « On subira moins de terrorisme grâce à nos implantations militaires au Moyen-Orient et en Arabie Saoudite notamment. Et puis, la guerre d’Afghanistan a porté ses fruits. » Avant d’admettre, « on a eu raison d’y aller, mais on n’aurait pas du aller en Irak. »

Le débat militaire ne fait pas vibrer les jeunes aux États-Unis. « Déjà, et c’est un problème, on a très peu d’informations internationales dans les journaux. On a quasiment que de l’information nationale » informe Diane qui lutte pour faire lire les journaux à ses élèves. Paula, étudiante en sciences politiques, confirme : « Moi, je m’informe parce que j’aime la politique, mais les autres non. » Et Paula, qui s’est activement engagée pour Obama en 2008, de prévenir, « il sera réélu. »

Dans un autre bâtiment, le Starbucks Coffee ne désemplit pas. « Y’en a en France ? Même dans les banlieues ? » s’amuse à questionner l’une. Un gars au piano joue un air de rap américain. « C’est le coin où les élèves se détendent » dit Diane. Sans penser au 11 Septembre. On est le 14 Septembre.

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

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