TOUR D’EUROPE. Au nord de la capitale anglaise, Camden Town, la jeune, la branchée et la française. Un eldorado pour certains, une respiration pour d’autres. Saïd s’est promené dans les rues. Retrouvez les articles londoniens sur notre page spéciale.

La traversé de la Manche dure 20 minutes en Eurostar. A peine le temps du passer d’une culture à une autre, et de se retrouver projeté à Londres, géante cité du dépaysement. Les transports, les bruits, les personnes en costard qui sortent du bureau en basket running, les petites enseignes de proximité, beaucoup de choses peuvent nous faire croire que nous sommes loin, très loin de notre douce France.

Jusqu’à ce qu’on entend des « Oh c’est cher quand même ! » des « fait chier » ou des « j’ai paumé ma Oyster Card, putain ! ». Ces Français ont rejoint Londres pour faire du tourisme, des études, ou pour tenter une nouvelle aventure sans sous-titre. Ces sonorités qui vous cassent le délire, rappellent que vous n’êtes pas le seul mohican qui ait posé le baluchon en terre british. L’ancien Président de la République considérait Londres comme la sixième ville de France en terme de population française.

Un classement qui a été contesté par le camp qui place la capitale anglaise au 30ème rang de villes françaises. Peu importe les chiffres ou le classement, ici, pour aborder des Français il suffit de couper son mp3 et attendre. Un petit « sorry » de circonstance est bienvenue. Pas d’attaque à la gorge avec le « excusez-moi » des Frenchy paumés. Pour doubler, voire quadrupler ses chances de tomber sur des concitoyens, j’ai appris qu’il fallait se pavaner à Camden Town. Lieu idéal pour faire parler ces gens qui vivent pour la plupart à fond leur expérience londonienne. Une bonne opportunité pour leur faire parler d’Europe.

« Non, j’ai rien à dire, j’ai encore moins le temps qu’à Paris »

14166775262_08d1bd1003_b14166775262_08d1bd1003_bAprès les quelques bash de touristes pressés du genre : « non, j’ai rien à dire, j’ai encore moins le temps qu’à Paris », je rencontre des jeunes Suisses hyper heureux d’être ici, « c’est une respiration cette ville, t’es déjà venu à Genève ? Ici tout le monde se contrefout de l’apparence, là-bas c’est pas la même ambiance ! »

Un couple français originaire d’Auvergne, Carole et Ludovic sont venus à Camden pour faire visiter le quartier à des amis. Carole 24 ans, Londonienne depuis 3 ans me confie être de plus en plus imprégnée de la culture anglaise, « même si on reste très attaché à la France », Ludovic ajoute : « Dans la restauration on trouve du travail en claquant des doigts, mais attention ici ce n’est pas forcement l’eldorado si tu veux faire des vrais boulots qui nécessitent des diplôme, je ne pense pas que tu trouves rapidement ». Un peu plus hésitants quand on parle de politique, les tourtereaux se regardent pour trouver leurs réponses : « Les Anglais ne parlent jamais de politique. Alors qu’entre Français, on en parle, on regarde ça de loin ». Avant de rejoindre leurs amis tout devant, Ludovic termine « la personne qui vient ici, il faut qu’elle n’ai aucun regret de laisser toutes ses habitudes de Français et se préparer au grand saut, il ne faut pas être dans le calcul comme en France. Il faut prendre ce qu’on propose. On peut être agréablement surpris par ce qui nous arrive, on grimpe plus vite les échelons ici ».

Dans un magasin à proximité du marché, un français à l’accent du sud-ouest négocie le tarif d’une robe, la gouaille du monsieur est trop particulière, pour que je ne l’interpelle pas. En visite pour voir ses enfants qui se joignent à notre discussion, Michel 58 ans vient de Toulouse, il découvre Camden Town avec émerveillement. Le jeune couple me salue et me raconte le Londres qu’ils connaissent et qu’ils pratiquent depuis 2012 : « on s’est installé ici en même temps que les JO, dans le bordel général de la ville ».

« En fait, non, viens pas, il y a trop de Français ici… »

Sandrine a 30 ans : « Professionnellement je n’ai jamais été aussi épanouie, je travaille dans le luxe ou on trouve énormément de Français à des postes importants ». Depuis qu’elle travaille à Londres, la politique n’entre plus dans ses discussions et encore moins les élections européennes : « Les Britanniques séparent la politique, l’argent, on discute de politique entre nous entre Français de temps en temps, mais franchement ça fait du bien de pas parler de ça surtout quand on voit ce qui se passe en France, franchement à part les gens syndiqués où les militants peut-être, tu ne vois personne te parler des Européennes, c’est une île, c’est à part et c’est ça qui fait vraiment la différence, ça fait du bien ».

Le père de la Franco-londonnienne ajoute : « tu le sens dans leurs manière de vivre, ils ne s’étalent pas, nous on est des latins, tu reviens en France, tu sens pas la même ambiance et tu comprends vite qu’avec notre système politique, on a vraiment pas le cul sorti des ronces ». Sandrine conseille au Français qui veulent s’installer ici de « savoir où aller, prépare toi. En fait, non, viens pas, il y a trop de Français ici… ».

Une parisienne prend en photo la station underground, car ça ressemble au Paris de sa jeunesse. « Un Paris populaire joyeux, même si jamais je ne quitterai Paris. Il faut reconnaitre que l’ambiance ici est vraiment différente. Cela dit, j’avoue qu’entendre parler Français partout est extrêmement gênant ». Son fils voyage beaucoup en Europe et pour ce jeune étudiant qui s’est joint à la discussion : « L’Europe c’est avant tout la facilité de voyager, après le reste c’est impossible de suivre, le problème c’est que c’est aussi une collection de pays, d’identités avec une forte histoire ».

« Ce qui est marrant à Camden, c’est qu’on se fait arnaquer comme à Paris mais avec le sourire »

13982827089_2d00690fb2_bAvant de partir le jeune homme confie avec malice : « Ce qui est marrant à Camden, c’est qu’on se fait arnaquer comme à Paris mais avec le sourire ». Mélusine, londonienne depuis plus d’un an, m’a donné rendez-vous dans un studio de travail d’East London à proximité de la station Haggerston au bord du Regent’s canal.

En ce samedi après-midi, entre deux paperasses professionnelles, elle prépare une tisane citron gingembre et raconte son actualité immédiate : « Début mars j’ai accepté mon premier vrai job, ça fait un an que je suis ici et que je bosse mais en indépendante, j’ai toujours bossé en indé. Aujourd’hui je suis directrice artistique pour une marque de montre anglaise 4 jours par semaine et le reste du temps je bosse sur ma marque Death in Paris ». Diplômée en art appliquée aux Gobelins, elle s’est installé à Londres début 2013 : « à Paris je travaillais avec des petits clients et à Londres mon travail a pris une autre dimension. Ici, je suis en contact avec des agences de recrutement qui me place dans beaucoup de boites et, j’ai travaillé beaucoup plus en un an à Londres, qu’en 4 ans à Paris ».

Elle évoque le comportement du Français de Londres : « L’orgueil, c’est ce qui est le plus difficile pour eux, ils se retrouvent au même niveau que tout le monde, ils sont considéré de la même manière qu’un Italien, Grec ou Turc. Pour une fois dans leur vie, ils sont immigrés ». Elle raconte ses premières démarches professionnelles et ses premières surprises dans le détail : « Dans le milieu artistique, mais tu es jugé pour ce que tu es capable de faire. A Paris, ce n’est pas du piston, mais t’es beaucoup plus jugé sur tes relations. Tu n’es pas évalué a 100% de tes capacités ».

Mélusine ne refoule pas la française qui est en elle « Je me sens française, il n’y a pas plus française que moi. D’ailleurs, on me répète que je suis trop française ! Mais d’un point de vue culturel, je me sens plus anglaise qu’avant ». Elle développe sur les tensions de la société française avec Londres en miroir. « Les situations sont similaires à la différence qu’il n’y a pas ce côté stigmatisation, à moins que tu sois à Chelsea mais, dans l’East London tu es au carrefour de toute les communautés, Pakistanais, Italiens, Arabes, Juifs gays. Des nanas voilées te servent au Mac do, il n’y a pas de problème. En France on aurait eu un ministre qui se serait exprimé sur le pourquoi du comment et boom, aurait collé une étiquette ».

Londres sa banlieue un autre miroir de la France

Londres« Quand je suis arrivée je disais suburbs pour évoquer la banlieue, mais c’est un mot américain, on se moquait de moi. Ici la ville n’est pas enfermée autour d’un périph’, ici t’as pas vraiment des délimitations. Tu n’as pas cette dictature du « ah je suis plus dans les immeubles haussmaniens, ok on est chez les pauvres ».

On évoque le communautarisme à l’anglaise : « c’est aussi ce qui autorise les gens à se sentir chez eux, il ne me fait pas peur, un jeune anglais d’origine pakistanaise est moins frustré qu’un jeune français d’origine maghrébine. En France tu dois renier ta culture et tu dois renier d’où tu viens pour qu’on te donne une chance mais on se fout de ta gueule, on te demande de tout renier, mais de rester quand même dans ta banlieue. »

En fin de discussion la néo-Londonienne revient sur ces Français, qui sont arrivé depuis longtemps : « ils sont tellement intégrés, ont des potes anglais ils sont transparents, tu te rends même pas compte qu’ils sont français. La personne va parler anglais avec toi, ils ont choisi de faire cet effort ».

Elle finit par un message aux Français qui veulent vivre à Londres : « mets-toi en colloc avec des gens de toutes les nationalités, sors de ta coquille parle à tout le monde ».

Saïd Harbaoui

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