La vie d’Asia Bibi a soudainement basculé le 14 juin 2009, alors que deux femmes lui avaient demandé d’aller remplir deux verres d’eau dans le puits avoisinant lors de la traditionnelle cueillette des baies, celle-ci a pris la peine de boire une gorgée avant de ramener un récipient d’eau aux femmes. Ces dernières mécontentes refusent de boire l’eau qu’elles estiment souillée (haram) par Asia Bibi du seul fait qu’elle soit chrétienne. Asia se défend en répliquant « Je ne crois pas que le prophète Mahomet soit d’accord avec ce que vous dîtes ». L’une des deux femmes offusquées renchérit : « Comment oses-tu parler au nom du prophète ? Tu viens de commettre un blasphème ». S’en suit dès lors une détention dans l’attente du jugement, Asia Bibi condamné en première instance à la peine de mort conformément aux dispositions du Code pénal pakistanais.
C’est lorsqu’elle était correspondante au Pakistan qu’Anne Isabelle Tollet s’est impliquée dans cette histoire bien malgré elle, par le ministre des Minorités religieuses de l’époque Shabazz Bhatti. Elle a décidé d’agir en sachant pertinemment qu’elle prenait un risque, car : « quiconque s’oppose à la loi du blasphème ou soutient un/une condamné(e) pour un tel acte, est un blasphémateur et s’expose à la même peine » dit-elle. Aidé par son interprète Fahad, elle décide en premier lieu de se battre pour que son mari et ses trois filles puissent la voir régulièrement, mais également améliorer les conditions de détention d’Asia Bibi qui étaient déplorables : « Asia a dû être isolée du reste de la prison, sa codétenue menaçait de la tuer, sa geôlière également. Cette dernière a immédiatement été renvoyée ». Le mari d’Asia, Ashiq, permettait aux deux femmes d’échanger par lettres que ce dernier transmettait lorsqu’il voyait sa femme, tous les quinze jours. Dans sa dernière lettre, Asia déclara pardonner aux femmes qui l’avaient dénoncé aux autorités pakistanaises.
Lorsqu’elle se rend au village d’Asia, la journaliste accompagnée de Fahad fait la rencontre de l’une des femmes qui avait dénoncé la mère de famille, qui lui rétorque « Asia a mérité ce qui lui arrive, elle n’avait qu’à pas parler au nom du prophète ». Cette loi promulguée sous la dictature du général Muhammad Zia-ul-Haq « est plus crainte aujourd’hui dans la société pakistanaise qu’elle n’est acceptée », pense la journaliste. « Elle est beaucoup plus utilisée pour régler des différends que sanctionner le blasphème. Et les chiffres le montrent puisque 1500 Pakistanais et Pakistanaises ont été condamnés par cette loi, ce qui est d’autant plus étonnant c’est que ce sont les musulmans (97 % de la population pakistanaise) qui en pâtissent le plus ». Cependant toutes les personnes condamnées n’ont pas fait l’objet d’une exécution immédiate. Mais beaucoup ont trouvé la mort en étant assassiné par des fervents défenseurs de cette loi, la journaliste déplore cela en poursuivant : « Avec cette loi si ce n’est pas la justice, c’est la rue qui vous tue ».
« Tout le monde sait pertinemment qu’elle est innocente »
Quelques hommes et femmes politiques au Pakistan ont bien évidemment pris parti pour Asia Bibi et ont proposé une véritable discussion autour de cette loi qui bafoue impunément les droits de l’Homme et les libertés fondamentales des citoyens pakistanais. Malheureusement l’opposition à cette loi a coûté la vie à certains d’entre eux. À l’instar de l’ancien gouverneur du Penjab, Salman Taseer, tué le 4 janvier 2011 par son garde du corps dans la capitale pakistanaise. Son assassin après avoir tiré à vingt-neuf reprises s’est immédiatement rendu aux autorités. Deux mois plus tard, c’est au tour du ministre des minorités religieux, Shabaz Bhatti, d’être assassiné dans les rues d’Islamabad par un commando devant son domicile. Tous deux étaient amis d’Anne-Isabelle et se battaient à ses côtés pour la libération d’Asia Bibi, tous deux ont été tués par des islamistes radicaux. « Avec cette loi, certains Pakistanais font du zèle, c’est à celui qui sera le meilleur musulman. Mais ils redoutent cette loi, ici personne n’est à l’abri de se faire condamner voire tuer pour un blasphème. Les radicaux, qui sont nombreux dans ce pays et ont beaucoup d’influence, acceptent cette loi » pense-t-elle lorsque nous évoquons ensemble la situation d’une éventuelle réforme de cette loi.
Depuis 2011 la journaliste française lutte sans relâche auprès de la communauté internationale pour sensibiliser le monde sur le sort d’Asia Bibi, de nombreuses conférences à travers le monde (Genève, New York, Paris…) afin d’inciter les responsables politiques et les grandes organisations humanitaires d’agir. Elle a également rédigé deux livres Blasphème (Oh ! Editions) et plus récemment La mort n’est pas une solution (Editions du Rocher) dans lesquels elle raconte son combat lorsqu’elle vivait encore à Islamabad. Depuis 2011 Anne Isabelle et Asia ont reçu de nombreux soutiens de la part notamment du Pape François qui a reçu le mari et les filles d’Asia en avril dernier : « Je prie pour Asia, pour vous et pour tous les chrétiens qui souffrent ».
François Hollande a également exprimé son soutien déclarant s’être entretenu avec son homologue pakistanais. Plus récemment c’est la députée européenne Rachida Dati qui est entrée en contact avec la journaliste, elle a par la suite proposé une résolution au parlement européen visant à réduire les échanges commerciaux avec le Pakistan, tant qu’une réforme sur la loi du blasphème n’aura pas été proposée dans le pays. Il faut rappeler que l’Union européenne est le premier partenaire économique du Pakistan. De nombreuses organisations sont venues rejoindre leur cause telle que la Licra ou encore Amnesty International.
Aujourd’hui les deux femmes sont dans l’attente du procès qui devrait se tenir en ce début d’année même si aucune date n’a été fixée, devant la Cour suprême pakistanaise ce qui constitue l’ultime recours : « A l’issue de ce procès soit elle est innocentée, auquel cas elle viendrait vivre à Paris avec sa famille, soit elle est condamnée à perpétuité, ou la peine de la condamnation est commuée en peine de mort auquel cas se sera la fin… » me dit Anne-Isabelle. La journaliste est confiante sur l’issue du procès, car elle clame que : « Tout le monde sait pertinemment qu’elle est innocente ». Elle est convaincue que la libération d’Asia Bibi constituerait un gigantesque pas pour le progrès dans ce pays, permettant à de nombreux innocents d’être libérés.
Anne-Isabelle s’est efforcée de ne pas avoir un discours moralisateur et paternaliste envers la société pakistanaise : « Il faut faire comprendre aux Pakistanais que nous ne sommes pas contre eux, nous sommes avec eux. Ce pays m’a accueillie il y a maintenant sept ou huit ans et j’en garde de très bons souvenirs. Obtenir la libération d’Asia serait en quelque sorte leur rendre les belles années que j’ai pu passer avec eux. Il y a encore beaucoup de chemin à faire pour le progrès et l’amélioration du cadre de vie, mais je suis confiante. »
Elle déplore aujourd’hui qu’on se serve du nom de Dieu pour aller à l’encontre des libertés et des droits, mais également perpétrer des actes meurtriers : « De ce que j’ai appris là-bas, l’islam est une religion de paix et d’amour qui est malheureusement aujourd’hui prise en otage par des personnes qui n’ont rien à voir avec l’islam. Les premiers à en souffrir sont les musulmans eux-mêmes et cela partout dans le monde. Il n’existe pas d’islam modéré et radical, il n’y a qu’un seul islam et il est pacifique » conclut-elle.
À la question « Le combat que vous menez, constitue-t-il le plus grand combat de votre carrière, voire même de votre vie ? » Anne-Isabelle répond en rigolant : « Sans doute, vous savez je ne suis que journaliste, je n’ai jamais eu à défendre qui que ce soit. Et dans cette histoire dans laquelle j’étais embarquée un peu malgré moi, j’ai beaucoup appris. Alors oui, si jamais Asia est libérée, j’en serai très fière vu que ceux qui ont milité et moi-même y serons pour quelque chose, assurément ».
Félix Mubenga
Pour en savoir plus : Comité International Asia Bibi
 

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