Tananarive, aéroport d’Ivato, minuit heure locale. Le tarmac chauffe encore après l’atterrissage en douceur du Boeing 640 d’Air France. Mes premiers pas en terre malgache sont accueillis par les traditionnelles bouffées d’air, suffocantes, imprégnant déjà mon esprit des premiers souvenirs. Rituel oblige, les nouveaux arrivants sont évidemment attendus par nos pires ennemis, les moustiques, prêts à bondir sur la chair fraîche, même si peu appétissante après 11 heures de vol.
Après deux ou trois cigarettes rapidement consommées, je retrouve mon hôte. Samuel, 24 ans, « l’air de ne pas être là » aux dires de sa mère Corinne, est bel et bien présent pr  êt à m’accueillir. Tous les deux vivent à « Tana » depuis une vingtaine d’années. Dès mes premières discussions avec le jeune homme, je réalise que Madagascar est en proie à de vives tensions sociales. Je découvrirai un peu plus tard que de nombreux habitants habitants soutiennent la destitution du président actuel (Hery Rajaonarimampianina), soumis aux aléas des votes parlementaires depuis la fin mai.
En route vers ma « case » d’accueil, mes yeux s’habituent à l’obscurité de la ville. Tananarive, caractérisée par ses reliefs, est partiellement équipée d’éclairage public. Pourtant mon regard distingue de grandes structures métalliques, en l’occurrence des raffineries, contrastant avec l’habitat traditionnel délabré et coloré. Il faudra attendre la lumière du jour pour réellement m’imprégner de l’ambiance locale.
La place de l’indépendance, cicatrice de toute l’instabilité politique
Dès mon premier jour, je découvre le calvaire quotidien des Malgaches, les quelques kilomètres de bouchons se transforment en des heures interminables d’attente où la voiture ne dépasse pas les 10 km/h. Sur les quelques routes goudronnées cohabitent, relativement mal avouons-le, les 4×4, dont le nombre a triplé en dix ans, les charrettes tractées par des zébus et des hommes, pieds nus. La circulation est également ralentie par les nombreux habitants, enfants, employés qui marchent sur les routes dépourvues de trottoirs.
Tana10Me voilà lâchée, accompagné de mon acolyte, place de l’indépendance. Cet immense carrefour est à l’image de l’urbanisme malgache, un grand foutoir. L’hôtel de ville, situé au centre de la place, détonne de par son architecture moderne, et s’inscrit au milieu d’un enchevêtrement de boutiques ambulantes. Ce bâtiment plusieurs fois brûlé lors d’émeutes et de manifestations sanglantes, rappelle à tous les Malgaches que l’indépendance s’est conquise dans la violence. Douze ans après la supposée indépendance en 1960, les étudiants et les travailleurs se sont rassemblés dans une grande manifestation pour revendiquer le départ des ressortissants français et accéder pleinement à leur souveraineté. La répression policière n’a fait qu’amplifier le mouvement et cela a abouti en 1972 à un renversement du gouvernement. La place de l’indépendance est la cicatrice de toute l’instabilité politique qu’a connue Madagascar depuis 1960.

Le lendemain matin, réveil 5 h 30. Cette journée commence par la visite de l’entreprise familiale Sans-Arcidet dirigée par Corinne, fille d’un ancien militaire français. Son entreprise, créée il y a vingt ans, est spécialisée dans le raphia, fibre de palmier et matière première qu’on trouve dans le sud de l’île. Je pars donc avec elle, suivi de son fils, Samuel, au volant de sa nouvelle Royal Enfield, vert militaire.
8 heures, l’atelier s’anime et chaque artisan se dirige vers son poste attitré. L’usine s’organise en fonction des différentes tâches de travail. Le raphia est d’abord coupé, ensuite teint, tressé, crocheté et enfin soumis au contrôle de qualité.
Venue à Madagascar dans l’objectif de saisir la condition des femmes dans un pays jugé de culture patriarcal, je m’aperçois rapidement que mes aprioris sont erronés, loin de la réalité. La plupart des femmes que j’ai rencontrées dans cet atelier s’accordent à dire qu’elles se sentent respectées. Gisèle, 57 ans, me confie dans un français parfait  qu’« on se doit de respecter les hommes, mais ça ne veut pas dire que les hommes ne respectent pas les femmes. C’est l’homme de la maison, donc il faut le choyer, mais ça ne veut pas dire qu’il ne fait pas attention à sa femme ».
Ton, quant à elle, a 21 ans et s’apprête à se marier avec l’homme de son choix. Elle déplore le nombre encore trop important de femmes battues et violées à Madagascar. « À côté de chez moi, la femme ne travaillait pas et elle se faisait tabasser par son mari, mais elle restait chez elle parce qu’elle ne savait pas où aller, donc elle se contentait d’encaisser les coups.» Mais certaines d’entre elles, comme Noéline, ont fait le choix de se séparer de leur mari violent. Noéline raconte que « tout le monde savait qu’il me frappait parce qu’il ne faisait pas ça en cachette, mais les gens n’intervenaient pas parce qu’ils considéraient que c’est une histoire entre le mari et la femme. »
Toutes s’accordent à dire que le problème majeur des couples est l’argent. La plupart des disputes sont causées par le manque de ressources pécuniaires. Noéline poursuit en expliquant que « maintenant que je suis divorcée, je suis plus heureuse, et j’arrive à mieux répartir mon argent ». Elle me confie que son rêve est de voir grandir ses enfants, de retomber un jour amoureuse, et d’avoir des économies de côté pour qu’elle puisse un jour refaire sa maison.
« 80 % des jeunes sont au chômage »
Mon voyage se poursuit par la visite d’une école privée. Les institutrices m’amènent fièrement dans chacune de leur classe où j’assiste à tous les chants, comptines, et proverbes français qu’il est possible de faire réciter à des enfants malgaches. Une d’elle admet que « 80 % des jeunes sont au chômage, et on trouve de tout à Madagascar, viol, kidnapping, escrorie, parce qu’il n’y a pas de travail ». Elle m’apprend aussi, dans un français approximatif, que le salaire minimum est de 600 000 francs malgaches alors que le sac de riz s’élève à 400 000 francs (100 000 francs malgaches = 5,66 euros).
Tous les témoignages me confirment que la plupart des habitants sont dans la nécessité et leur situation misérable. La corruption s’y affiche aussi sans vergogne. Certains accusent la communauté indienne de s’approprier toutes les ressources et matières premières du pays, elle détiendrait 50 % de l’énergie électrique nationale. À l’image des nationalismes européens, les Malgaches se replient dangereusement sur eux-mêmes et les haines ressurgissent violemment.
À l’occasion de mon dernier soir, nous sommes sortis boire un verre dans un des quartiers populaires de Tana où les prostitués côtoient les bars les plus branchés de la capitale. Alors qu’on cherche à se garer, Sam prend une rue prétendue à sens unique, puisqu’aucune signalisation n’est présente dans la capitale. Étant deux vazaha (étrangers), la police nous repère et nous arrête. Malheureusement nous n’avions pas nos papiers et cela en fait un motif d’arrestation irréfutable pour les policiers malgaches. L’un d’entre eux se dirige vers la voiture de police chercher son M-16 avec lequel il commence à nous narguer. Le problème se règle rapidement et en bakchich.
Cette corruption quotidienne pèse sur la population. Alors les Malgaches protestent et n’ayant aucune aide du gouvernement, ils se replient. La volonté première des habitants et de « malgachiser » leur île. Autrement dit, tenter d’exclure tout habitant n’ayant pas la nationalité malgache, s’obtenant uniquement par droit du sang. Ils tentent ainsi de se réapproprier pleinement l’économie nationale, en excluant tout étranger à participer à ce développement économique. Même si leur but premier est d’élever et d’enrichir le peuple, les haines sont attisées. Sur fond crise de sociale, la peur de l’autre est peut être le pire des remèdes.
Pénélope Champault

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