De part et d’autre de la Place Prešeren au centre de la capitale slovène, les terrasses bondées bordent, les unes après les autres, le vert émeraude de la rivière Ljubljanica. Les roues des vélos et des rollers martèlent régulièrement le pavé des quais et créent à elles seules cette douce ambiance de fin d’après-midi. Moins de 280 000 habitants, une ville à taille humaine. Le centre-ville est entièrement piéton. Passé les trois ponts de la place, on retrouve une petite réplique du Pont des Arts de Paris, « le pont des amoureux » me glisse un jeune, la vingtaine et les yeux rivés sur la jeune femme qu’il tient par la main. Un sourire se dessine sur ses lèvres, il attire sa dulcinée à lui et l’embrasse tendrement. « Tu devrais aller à Metelkova » me conseille-t-il en s’éloignant.

Le soleil jette ses derniers rayons sur les arbres du versant d’en face. Ici tout est différent, les couleurs sont plus intenses, plus entières. Les arbres sont plus verts et les toits plus rouges. Le contraste est saisissant. Le clapotis de la fontaine dans la vieille ville berce les promeneurs nonchalants sur fond de Gloria Gaynor remixé. Une brise légère raconte Ljubljana, mélanges de saveurs, échos de voix, éclats de rires dans les airs.

En longeant plus encore les quais, je prends la direction de Metelkova, sans vraiment savoir ce qui se cache derrière ces quelques lettres. Les jeunes Slovènes n’ont que ce nom à la bouche. Plus je m’éloigne du centre, plus l’histoire racontée par les murs me semble différente. Des graffitis à chaque pas, quelques voitures garées. Les rues surfent doucement entre l’iconoclaste et la réappropriation. En face de l’église en dépassant la rue Rozmanova, les bâtiments sont recouverts de graffitis multicolores.

Metelkova, c’est d’abord le nom d’une rue. Au détour d’une place, quelques bâtiments neufs, sans aucun tags, et puis me voilà face à un mur investi par de drôles de sculptures. A ma gauche, un tag : « stop la gentrification ». Je crois que j’ai trouvé Metelkova, comme un pied de nez au ministère de la culture qui se trouve, me dit-on, « juste en face ».

Quelques jeunes passent devant moi, à vélo ou à pied. Un passage étroit me conduit à l’intérieur de l’endroit. Des dizaines de bâtiments, tout un village peint de mille couleurs, de mille motifs. Un chaton vient se frotter à moi avant de courir se blottir derrière une poubelle. Tous ces bâtiments racontent mille histoires, organisées autour de petites allées. En face de moi, des chaussures, pendues à un fil, au dessus des poubelles.

Un peu plus loin, Clea, un livre à la main, est assise, absorbée par sa lecture. Elle laisse le vent courir entre ses cheveux et  me raconte Metelkova. « Metelkova, c’est l’endroit le plus merveilleux du monde. Ici, tu trouveras des jeunes et des moins jeunes, on vient faire la fête, partager un moment ensemble, se ressourcer, loin de tout, loin des problèmes ».

« Avant, Metelkova, c’était des bâtiments militaires, et puis dans les années 1990, quelqu’un a racheté l’endroit, je ne sais pas trop qui, et puis c’est devenu ça » me raconte Damian, en désignant d’un geste de la main l’endroit qui nous entoure. Une coiffure à la punk il qui porte un T-shirt avec écrit «  le Parlement attaque ».

« Je ne cherche pas trop à savoir à qui appartient cet endroit, ce que j’aime c’est pouvoir venir, faire la fête dans l’un des bars ou dans l’une des boîtes que tu vois là, passer du temps avec les gens et c’est tout » poursuit son ami. « Tu sais, ici, on se sent plus Balkanique qu’Européen » me confie Ibou 25 ans, originaire du Sénégal. Il y a deux ans, il a fait monter les statistiques émotionnelles de la Slovénie en faisant le choix de venir s’installer à Ljubljana, par amour.

Ibou est entouré d’une dizaine de jeunes qui le regardent parler, asséner des vérités comme ça, l’air de rien. « Moi le matin, la première chose que je cherche c’est de la weed. Si j’avais un boulot je me lèverais à 6 heures du matin sans problème, mais pour l’instant, je suis musicien, alors je cherche l’inspiration ». Il embrasse fougueusement la jolie blonde qui est à ses côtés et poursuit  tout sourire : « I’m so high », son joint à la main.

« Ici, les salaires c’est 200 ou 300 euros [ndrl : le salaire minimum en 2012 était de 750 euros/mois] et l’Europe a fait monter les prix. Tout est cher ici, confie un autre, je ne sais pas trop si j’irai voter parce que pour l’instant je ne sais même pas de quoi mon avenir est fait alors l’avenir de l’Europe… Tu vois, c’est loin pour moi ». Il cache maladroitement ses inquiétudes derrière un rire gêné et regarde à ses pieds sa paire de basket Adidas.

Un peu plus tard, je retrouve Damian qui me lâche, son smartphone à la main, « je n’ai pas choisi d’entrer dans l’Europe, on m’a forcé à y entrer mais moi je m’en fous de l’Europe ». En partant, un autre jeune, les cheveux blondi par le soleil affirme : « Un jour je partirai d’ici, c’est clair. Trouver du boulot ici, c’est difficile et moi j’ai envie d’avoir une meilleure vie que mes parents. Donc je partirai ».

Sur ces quelques mots, le soleil a disparu à l’horizon. Ici, les murs sentent l’envie d’ailleurs, mais pas l’envie d’Europe. En redescendant dans le centre-ville et en allant jusqu’au périphérique, on distingue encore les ombres des montagnes enneigées. De quoi rêvera Ibou cette nuit ?

Anne-Cécile Demulsant

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