SEMAINE SPÉCIALE BRUXELLES. Dans le cadre de notre semaine en immersion à Molenbeek, nous avons discuté avec les acteurs de la communauté musulmane bruxelloise. 

Vendredi 19 Février 2016, 13h. Un millier de fidèles, uniquement des hommes, s’amassent dans la mosquée El Khalil, la plus grande de Molenbeek. De l’extérieur, aucun signe d’appartenance religieuse n’est visible. Le bâtiment, d’ordinaire un parking, se transforme tous les vendredi en mosquée pour accueillir la prière la plus importante de la semaine. Les fidèles arrivent petit à petit, enlèvent leurs chaussures et prient front contre sol en attendant le prédicateur Mustapha Kastit. Les femmes, elles, sont accueillies dans une autre mosquée qui leur est dédiée.

L’imam s’installe. L’appel à la prière retentit alors dans la grande halle de béton. La première partie du prêche, dédié à la citation de sourates, est en arabe. La deuxième partie, plus orientée vers l’actualité, s’effectue en français belge.

Le thème d’aujourd’hui : les superstitions répandues sur internet. Mustapha Kastit met en garde son auditoire sur l’authenticité de certains propos diffusés sur le web. Pour illustrer son prêche, il s’inspire d’une lettre d’un certain Ahmed largement répandue sur les réseaux sociaux. « Je m’adresse particulièrement aux jeunes (…) que j’invite à ne répandre aucune informations non vérifiées, pas authentiques. Développons notre sens critique ». L’attention des fidèles est totale. Une fois la mise en garde faite, le prêche se conclut. Les fidèles se lèvent, s’alignent, et prient d’une même voix.

Souvent stigmatisée, la communauté musulmane de Bruxelles tente de déconstruire les amalgames et se défend de la radicalisation

Mustapha Kastit est un imam reconnu par la communauté musulmane bruxelloise. Formé à Medine, en Arabie Saoudite, il prône un discours de tolérance. À l’image de son prêche, il considère que « C’est le devoir de l’imam d’avoir un discours qui ne soit pas déconnecté de la réalité ». Othomane, jeune animateur molenbeekois de dix-huit ans, est du même avis. « Dans la communauté, il y a des questions qui se posent par rapport à l’actualité, notamment sur la façon dont les musulmans sont perçus depuis les attentats. Et je pense que l’imam doit répondre à ces questions-là… Avec une réponse claire et nette ».

httpv://www.youtube.com/watch?v=00GRKW6stBQ

En Belgique, à la différence de la France, certaines mosquées sont reconnues et financées par l’État. La mosquée candidate auprès d’une autorité supérieure, l’Exécutif des Musulmans de Belgique. Si la mosquée répond aux critères de la charte établie par l’exécutif, la candidature est validée, ou non, par les instances de la Région. Les imams des mosquées reconnues sont donc  fonctionnaires d’État. Cette autorité a alors droit de regard sur la mosquée et sur les prêches dispensés dans celle-ci. Pour les mosquées non reconnues, les imams sont désignés en interne par la communauté de la mosquée. L’Exécutif et l’État se désolidarisent de certains acteurs de la communauté. Ils considèrent que les propos des imams non reconnus n’engagent qu’eux et que la responsabilité de leurs propos leur appartient.

Une association de musulmans assure, tout de même, la transparence de la mosquée. Si un imam prêche des propos malvenus, il est alors convoqué, ou, dans de rares cas, mis en retrait de ses fonctions. Des réunions sont organisées par cette même association pour que les imams reconnus et non reconnus se concertent et établissent une ligne à suivre. C’est pourquoi, comme nous l’explique Mustapha Kastit, les imams se connaissent pratiquement tous dans une même commune. Lors d’événements tragiques comme les attentats de Paris, le 13 novembre dernier, ils s’accordent pour avoir un message fort. Mustapha Kastit se veut rassurant, les imams plus radicaux ne fréquentent pas ce type de réunions, ils se cachent et ne veulent pas se confronter à la diversité des idées et plus largement à la réalité. Il en va de même pour les recruteurs. Il reste lucide sur la situation : « certains fidèles sont très forts dans la dissimulation ».

Othomane  assure, lui,  que certains imams ont des propos parfois « limite » mais il préfère privilégie le dialogue. Ahmed, un éducateur de quarante-sept ans, confie qu’avant les attentats il ne prêtait pas attention aux propos radicaux de certains fidèles. « maintenant, ils se cachent… Ils nous ont fait du mal ».

Toute la communauté musulmane tente de se détacher de ces stigmates lourds. Pour Mustapha Kastit, les musulmans doivent se défendre face aux amalgames. « Le phénomène d’amalgame est un phénomène universel. Ce n’est pas propre aux musulmans et il faut désamorcer ça ».

Malgré tous les efforts des acteurs de la communauté musulmane bruxelloise, certains aspects restent obscurs. Nombreuses mosquées et imams ne désirent pas être reconnus par crainte d’une ingérence de l’État Belge. L’autorité de l’État sur la religion a donc ses limites, et la radicalité de certains propos échappe à tous…

Pénélope Champault

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