En mars 2014 sera votée au Parlement une réforme tendant à modifier la politique de la ville. À cette occasion, Brigitte Raynaud, secrétaire général du Conseil National des Villes (CNV) depuis 2010, fait le point sur la situation et les réformes engagées dans nos banlieues. Interview.

Magistrate de formation, Brigitte Raynaud s’est ensuite dirigée vers la haute administration, notamment entre 2006 et 2010 où elle était en charge du département de la prévention de la délinquance et de la citoyenneté. Le CNV est un organe consultatif dépendant du ministère délégué à la Ville dirigé par François Lamy depuis mai 2012. Son rôle est d’émettre des avis, des recommandations pour le gouvernement sur tous les sujets qui touchent le quotidien des citoyens des quartiers (sécurité, rénovation urbaine, santé, éducation, logement, transports…)

Êtes vous satisfaite de l’application du plan ANRU dans les banlieues ?

De ce que nous disent les élus et les habitants lors de nos déplacements, globalement, la rénovation urbaine a été perçue comme une réussite. Cette logique de restructuration de l’habitat et des quartiers est visible à l’œil nu. C’est d’ailleurs une bonne chose que le programme de rénovation urbaine soit poursuivit et relancé ! Il était essentiel de participer à ces travaux de rénovation urbaine puisque ça a permis de repenser les quartiers. Mais il faut aussi reconcevoir les relations entre les gens et je pense que ce programme a permis d’enclencher un processus qui se poursuivra au-delà du bâti.

Existe-t-il des différences entre le gouvernement Fillon et le gouvernement Ayrault sur les politiques concernant la ville ?

Avant d’arriver au Conseil National des Villes en 2010, j’avais déjà travaillé sur le plan « Dynamique Espoir Banlieue » de Fadela Amara lancé en 2007. Programme très pragmatique qu’on retrouve d’ailleurs aujourd’hui. Avec ces deux gouvernements, il y a toujours la même idée initiale : une politique spécifique pour les quartiers impulsés par les ministères. Mais on peut adopter un prisme bien différent. Par exemple, à Vancouver et à Montréal, on part du terrain pour établir des propositions pragmatiques. Là-bas, on retrouve les citoyens dans toutes les instances de gouvernance. Ces gens sont ensuite porteurs de l’information. La différence avec le nouveau gouvernement, c’est toute la réforme de la politique de la ville, dont le projet de loi est en train d’être voté. Ce projet a lancé la géographie prioritaire (ce qu’avait tenté d’instaurer le gouvernement précédant sans y parvenir, une majorité des collectivités locales étant alors de gauche). C’est-à-dire recentrer les fonds sur un nombre plus limité de quartiers. Le critère unique pour désigner ces zones prioritaires est la pauvreté. On va faire en sorte de mieux associer les acteurs étatiques, locaux et les sociétés civiles avec un contrat. On demandera aussi à chacun des ministères de constituer des programmes renforcés pour ces quartiers.

Le projet de loi  sur les réformes de la politique de la ville s’inspire du rapport « Bacqué Mechmache » sur les banlieues, notamment sur l’importance de la participation des habitants. Pouvez-vous nous en parler ? 

La participation des habitants dans la politique de la ville est un sujet crucial. Cependant, lors de la remise de ce rapport, on a senti une résistance de la part des élus à faire entrer les citoyens directement dans la sphère politique. Ils mettent en avant leur mandat dans un système représentatif. Simplement, aujourd’hui, les choses ont changé. Les gens veulent être des acteurs de la vie politique. Ils s’emparent par exemple des nouveaux moyens de communication comme Internet. Il faut donc consulter et informer les habitants sur les réformes qui sont entreprises, sinon on risque de passer à côté de beaucoup de choses. Chacun a son mot à dire puisque ce sont les premiers concernés par ces politiques. Il faut que les habitants aient les mesures de s’exprimer sur ces politiques pour analyser ce qui ne va pas et proposer des alternatives. C’est un autre regard porté sur les gens et leur quartier. Ce que je trouve dommage aujourd’hui, par rapport à la réforme de la ville, c’est de constater qu’on ne voit nos banlieues que sous l’angle de la pauvreté. Il faut plus les analyser en termes de développement, de dynamisme et de richesse humaine (32% des habitants des Zones Urbaines Sensibles ont moins de 20 ans).

Pourquoi prendre le Canada comme exemple ? Quelle est leur principale mesure que nous devrions reprendre ?

Je ne sais pas s’ils ont de l’avance par rapport à nous, mais c’est une approche différente dont on peut s’inspirer en matière de sécurité, d’intégration, d’addiction… Ils ont une approche très pragmatique des problèmes comme des solutions. Par exemple, les violences à l’égard des pompiers ou des chauffeurs de bus ne seraient pas concevables là-bas !C’est pour ces raisons que, récemment, nous avons organisé un voyage au Canada avec les maires de Clichy-sous-bois, Aubervilliers et Saint-Denis pour voir ce dont on pourrait s’inspirer pour la France, car on partage les mêmes problèmes. On a juste une approche différente. La gouvernance partagée est une notion dont nous devrions nous inspirer en France. Je le répète : je pense que si on ne change pas de façon de gouverner au niveau local, il n’y aura pas d’évolution manifeste. Par exemple, la réforme qui va être votée est une réforme de gouvernance. Elle restera très abstraite et ne parlera pas du tout aux gens. Il faut reconsidérer le rôle politique des habitants qui sont toujours porteurs de solutions.

Comment redorer l’image de nos quartiers à l’étranger ?

Il est vrai que 2005 a beaucoup marqué les autres pays. Quand je recevais des délégations étrangères, chacun voulait absolument voir les quartiers où il y avait eu les émeutes, comme s’ils pensaient que les voitures y brûlaient tous les jours ! La revalorisation de l’image de nos quartiers passe par les médias et les élus qui doivent communiquer positivement sur la banlieue (jeunesse, dynamisme, cosmopolitisme, créativité) au lieu de se focaliser uniquement sur ce qui ne va pas. D’ailleurs, la Plaine Saint-Denis, une des zones les plus attractives d’Europe, reste entachée par l’image des violences physiques. Difficile pour un quartier qui fait peur d’attirer les acteurs économiques.

Parlons des rythmes scolaires : la nouvelle réforme, ne risque-t-elle pas de creuser encore plus le fossé qui sépare les villes aisées et les autres ?

Oui, certainement puisque la réforme suppose que les communes dégagent des financements pour assurer les activités. Mais je ne pense pas que ce soit le problème essentiel aujourd’hui dans le monde de l’éducation. La question essentielle porte plus sur le contenu et les méthodes d’enseignement pour aller directement à l’essentiel (lecture, écriture et calcul) et non sur les temps de présences en classe. Il faut d’ailleurs permettre aux enseignants d’adapter leurs programmes et leurs méthodes d’enseignement aux enfants.

N’avez vous pas peur que les villes les moins riches soient forcées de faire appel à des entreprises pour financer leurs projets pédagogiques ?

Moi je trouve, quitte à choquer un peu, que ce serait une bonne idée que les entreprises puissent investir dans les écoles. Ce serait une façon de changer les mentalités, et de rapprocher l’éducation et le monde du travail. C’est appliqué dans d’autres pays comme au Canada et ça se passe très bien !

Propos recueillis par Tom Lanneau

Articles liés