La Tunisie célèbre aujourd’hui l’anniversaire des trois ans de la chute du président Ben Ali.  Yacine*, jeune franco-tunisien, est retourné en Tunisie de nombreuses fois depuis que la révolution a emporté l’un de ses cousins. Il dresse un constat amer sur la situation politique et économique de son pays.

Un pas considérable vient d’être franchi : conformément à un accord conclu il y a plusieurs semaines,  le parti islamiste Ennahda abandonne tous les postes ministériels et le premier ministre issu de cette formation politique, Ali Larayedh,  a démissionné jeudi 9 janvier. Cette démission, maintes fois repoussée depuis le meurtre de l’opposant politique Mohamed Brahmi est bien la preuve d’une avancée démocratique considérable.  Mehdi Jomaâ, ancien ministre de l’Industrie a été désigné à la mi-décembre lors de pourparlers entre les islamistes au pouvoir et l’opposition pour former un cabinet d’indépendants. Ce « technocrate »  doit conduire le pays à des élections en 2014. Autre signe de cette avancée démocratique, la Constitution adoptée le 4 janvier à une large majorité, et votée dans une Assemblée dominée par des islamistes représentés par le parti Ennahada, a tourné le dos à la Charia, le droit islamique.

Lundi 6 janvier, au chapitre des droits et libertés,  a été inscrit l’égalité entre les citoyens et citoyennes « égaux devant la loi sans discrimination ». Les « libertés d’opinion, de pensée, d’expression, d’information et d’édition sont garanties », tout comme le droit syndical et le droit de grève, ou bien encore « l’inviolabilité des logements, la confidentialité des correspondances, des communications et des données personnelles ». La torture « morale et physique », qualifiée de « crime imprescriptible », est proscrite, rapporte le journal Le Monde.

Pourtant, le 3 novembre dernier, l’avocate Radhia Nasraoui, présidente de l’Organisation contre la torture en Tunisie faisait venir in extremis un photographe avant que le corps de Walid Danguir soit enterré, rapportait le journal Le Monde. L’homme, interpellé le 1er novembre, est mort des suites de mauvais traitements infligés par les policiers à l’issue de sa violente arrestation. Bien que la Tunisie ait adopté le 9 octobre, le principe de la création d’une Autorité nationale de prévention de la torture, et bien qu’elle ait ratifié en juin 2011, le protocole de la Convention des Nations-Unies contre la torture, pour Radhia Nasraoui, Walid Danguir «  a été torturé le plus sauvagement du monde ». Selon cette même avocate, l’Organisation contre la torture en Tunisie reçoit «  des plaintes de manière continue » pour torture, surtout dans les prisons. «  Cette pratique ancrée n’a jamais disparu et l’impunité persiste » accuse-t-elle.

« Il ne faut pas se leurrer,  sous Marzouki, il suffisait de critiquer le gouvernement pour avoir des problèmes, c’était comme sous Ben Ali finalement, un régime policier », accuse Yacine, un jeune franco-tunisien de la banlieue parisienne. « Pour revenir à la torture, mon cousin a vu l’arrestation de Walid Danguir . Il s’est fait percuté par la voiture de police, une fois tombé il a été matraqué puis traîné  jusqu’à la voiture de police. Mon cousin pensait qu’il était déjà mort. Il y a beaucoup de violences policières et la pratique de la torture est banalisée ». Il n’y a pas de liberté d’expression non plus, je peux donner l’exemple des deux rappeurs, Klay BBJ et Weld el 15. Ils ont été interpellés à Hammamet, condamnés à de la prison ferme. Weld el 15 est parti en cavale. Ils ont été acquittés aujourd’hui mais cela n’empêche… »

« La révolution, qui a été menée par une majorité de jeunes a été détournée »

« Nous étions  bloqué entre Ennahda et les islamistes d’un côté et  le gouvernement policier de Marzouki, héritier des méthodes de Ben Ali de l’autre. La révolution, qui a été menée par une majorité de jeunes a été détournée. J’ai perdu un cousin dans cette révolution, j’étais en Tunisie une semaine après le départ de Ben Ali pour aller faire le deuil, il y avait 80% de jeunes dans les manifestations… Où sont-ils à présent ?  Le problème c’est que l’après révolution a été mal organisé : les gens n’avaient pas l’habitude de voter, on ne savait pas quoi choisir  et la majorité des Tunisiens ont fait ce qu’ils pensaient être le mieux, donc ils ont voté pour un parti qui prônait la Charia, la loi coranique. Sauf qu’Ennahda, c’est un parti violent.

J’ai un petit cousin de 12 ans qui vit à Bizerte.  Il est à l’école primaire et étudie très bien. Il fait la prière tous les vendredis à la mosquée. Un jour, les islamistes du parti  Ennahda sont venus à la mosquée lui parler. Heureusement qu’il est intelligent et rationnel, car ces gens-là lui ont expliqué que la Charia était le seul moyen pour lui d’y arriver. On sait très bien qu’ils motivent les jeunes par la loi coranique, sauf qu’après 6 ou7 mois d’endoctrinement, ils t’envoient faire des attentats.

Je me souviens que le temps que Marzouki prenne les choses en main, les salafistes avaient des sortes de milices dans la rue qui réprimandaient les gens qui fumaient ou buvaient. On pouvait voir à travers les djellabas des reliefs de bouts de bois et de haches. Ils étaient là pour réprimander. Marzouki après a utilisé  la méthode Ben Ali sur les salafistes, il a utilisé un régime policier, nous sommes tombés dans un cercle vicieux et j’ai peur qu’on n’en sorte jamais. La méthode policière n’a pas changé, n’a pas évolué. Aujourd’hui nous avons affaire aux violences policières d’un côté et de l’autre nous avons affaire aux salafistes ou aux islamistes. Quant à Marzouki,   il m’a l’air d’être un homme instable. Il suffit de voir la vidéo dans laquelle il s’adresse de manière déplacée à un journaliste pour  s’interroger sur sa personnalité.

« Je suis très content que cette Constitution tourne le dos à la charia, qu’Ennahda abandonne ses postes et que le premier ministre issu du parti islamiste démissionne.  C’est très bien pour mon pays mais j’attends de voir si les textes vont être appliqués avant de crier victoire. Je reste très sceptique envers les politiques qui dirigent la Tunisie. »

*Prénom modifié

Maxime François
Master journalisme de l’université de Cergy-Pontoise

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