La diaspora gabonaise s’est réunie ce samedi 10 septembre, place du Trocadéro à Paris. Inquiète de la crise post-électorale, elle nous raconte comment elle reçoit les informations du pays et comment elle s’organise ici.

« Là-bas, les gens sortent le moins possible, juste pour se ravitailler. Les fonctionnaires ne vont pas travailler. Les Gabonais n’ont pas le droit de manifester ». C’est par téléphone qu’Audrey, 42 ans, a reçu ces dernières nouvelles du Gabon, son pays d’origine. Elle est venue d’Eure-et-Loir pour participer au rassemblement de ce samedi, place du Trocadéro à Paris. Son souhait : faire en sorte que l’on parle des évènements au Gabon en proie aux violences, aux émeutes et aux pillages à la suite de l’annonce de la victoire du président sortant à l’élection présidentielle, Ali Bongo, contestée par son adversaire Jean Ping. « Nous venons dénoncer la situation parce que nous avons l’impression que la communauté internationale n’est pas assez renseignée. Il y a des gens qui meurent sous les balles des milices ! Des gens meurent et on passe cela sous silence. C’est une dictature avec ce qu’il y a de plus cruel. Il y a des gamins qui sont tombés. Ils peuvent mourir juste parce qu’ils manifestent, ce ne sont pas des pilleurs, ce ne sont pas des casseurs. »

Pour Suzanne, une des organisatrices de ce rassemblement, une mobilisation de cette ampleur est une première. Elle prend part à la contestation en partageant des vidéos des rassemblements en France, comme celui qui a eu lieu devant le siège du parti « Les Républicains » le 7 septembre. Elle informe aussi sur ce qu’il se passe dans son pays d’origine en diffusant des captures d’écran de messages envoyés sur l’application Whatsapp par les Gabonais. Place du Trocadéro, elle est venue réclamer le départ d’Ali Bongo, et « ‘écouter des louanges pour se réconforter' ». « Ali Bongo a failli dans sa mission. Le peuple gabonais a choisi Jean Ping », s’insurge-t-elle. Dans ce rassemblement qui se voulait apolitique, nombreux sont ceux qui soutiennent l’adversaire d’Ali Bongo.

« Si nous, Gabonais de la diaspora, nous ne nous mobilisons pas, qui le fera ? »

Pour Brady, 26 ans, qui vit en France depuis neuf ans, les membres de la diaspora gabonaise ne sont pas seulement venus à cette marche pour rendre hommage « aux nombreuses victimes de la répression complètement disproportionnée de la part du régime en place ». Il précise son engagement. « On est là pour relayer la situation d’un peuple opprimé. Le peuple est dans la rue uniquement pour revendiquer son vote, son choix, qui pour l’heure n’a pas été respecté. On se fait l’écho de ce qui est en train de se passer au Gabon, l’écho de ces oubliés. Si nous, en tant que Gabonais de la diaspora, nous ne le faisons pas, qui le fera ? ».

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Alors, il sert de relais en transmettant les informations qu’il reçoit de ses parents et de ses amis. « Il faut savoir qu’Internet, le téléphone, les communications sont régulièrement coupés. Mon cousin m’a envoyé un message, via Whatsapp, il y a deux jours pour me dire qu’à l’heure où il m’écrivait, il était difficile, voire impossible d’aller acheter des produits de première nécessité. Et que dès la nuit tombée, il y avait des coups de fusils tirés et des hélicoptères partout ».

« Quand j’ai mes parents au téléphone, ils disent qu’ils sont sur écoute »

Whatsapp est aussi l’outil de communication utilisé par Clara, une étudiante de 26 ans qui vit en France depuis sept ans. « Pendant plusieurs jours, il n’y avait pas de communication qui passait. En ce moment, le débit est réduit mais on arrive tout de même à s’envoyer des messages ». Elle arrive parfois à parler au téléphone avec ses parents. « Ils vivent dans la peur. J’entends leur voix qui grelotte ». Pour s’informer sur la mobilisation en France, Clara navigue entre les groupes et les pages Facebook créés depuis les élections pour informer les Gabonais de la diaspora des événements, comme cet « Appel aux Gabonais à travers le monde » qui a beaucoup circulé, pour que tous chantent au même moment l’hymne national dans le monde entier, ce samedi 10 septembre 2016. Sur ces pages Facebook, on retrouve parfois l’identité de ceux qui seraient tombés sous les balles. Le ministère de l’Intérieur gabonais ne recense que 3 victimes, 7 du côté du bilan de l’AFP. Jean Ping évoque lui « entre 50 et 100 morts ». Sur Twitter, de nombreux utilisateurs d’origine gabonaise ont troqué leur photo de profil contre une image portant les mentions NON #Gabon2016, sur fond jaune ou rouge.

Selon Tania, 26 ans, étudiante, les informations sont recueillies grâce aux personnes qui s’y connaissent en informatique. « Ils téléchargent des applications pour pouvoir contourner les bloqueurs. La plupart des personnes qui se connectent sont celles qui utilisent le réseau wi-fi. Elles nous envoient des photos et nous on les relaie, on les publie. Il s’agit d’images violentes, des gens ensanglantés. Le gouvernement dit qu’il n’y a pas de morts, pas de blessés alors que nous recevons des images qui nous montrent et prouvent le contraire ». 

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Les informations sur la crise post-électorale lui proviennent surtout des réseaux sociaux. « Quand j’ai mes parents au téléphone, ils disent qu’ils sont sur écoute, qu’ils ne veulent pas de problème, qu’ils ne peuvent pas parler. On n’a pas le droit d’être opposant au Gabon et d’aspirer à une autre idéologie », dit Tania en précisant qu’ « on n’est pas tant rassemblé ici pour Jean Ping mais pour dire que le sang a coulé au Gabon ».

Parmi les pancartes distribuées par les organisateurs aux manifestants, on en retrouve pourtant certaines mentionnant « Jean Ping Président ». Sandy, une des organisatrices, fait partie du collectif « Jean Ping« . Elle a fait campagne pour lui à Paris. « Jusqu’ici, nous subissions le pouvoir d’Ali Bango car nous attendions le 27 août 2016 pour le sanctionner dans les urnes et c’est ce que nous avons fait en masse. Notre taux d’endettement a triplé en sept ans. Quand j’étais à l’école au Gabon, il y avait une quarantaine d’élèves par classe. Aujourd’hui, ils sont près de 200. En sept ans, il n’a construit aucune école, aucune maternelle, aucune bibliothèque ». Vêtue de noir, respectant ainsi le dress code du rassemblement, elle raconte avec effroi la nuit où le QG de Jean Ping a été pris d’assaut à Libreville. « J’étais au téléphone avec un ami qui y était. J’entendais les balles, j’entendais les gens crier, pleurer. J’ai même entendu ‘Ils tuent des gens, ils mettent les corps dans les voitures' ».

La diaspora s’organise pour relayer les informations du pays mais aussi afin de « maintenir la pression pour qu’Ali Bongo parte ». « Le Gabon est une seule et même famille. Dès qu’un membre est touché, c’est tout le peuple qui pleure. Nous sommes venus exprimer notre colère, notre mécontentement », précise Anthony, 35 ans. « Être tué parce qu’on exprime son mécontentement ? Moi je dis non. Mon frère est en vacances ici, il doit rentrer au pays mais on ne sait pas si c’est sûr », poursuit-il. Une inquiétude que partage Stephie, 25 ans, venue de Normandie. « Nos frères gabonais meurent. Aujourd’hui, on demande que ça s’arrête. Ces massacres sont inacceptables. La situation est tragique. On demande que la communauté internationale intervienne pour arrêter les massacres ».

Les centaines de personnes présentes au Trocadéro se rassemblent, appliquant un proverbe gabonais twitté le 2 septembre par l’écrivain Alain Mabanckou avec le hashtag #Gabon2016 : « Quand on est nombreux pour traverser la rivière, on n’est pas dévoré par les caïmans ».

Rouguyata SALL et Kozi PASTAKIA

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