« Le virus a été fabriqué en France ! », « C’est un complot pour éliminer une partie de l’humanité ! », « Ce sont les chinois qui ont conçu la Covid ! » etc. Voilà le genre d’assertions qui se multiplient sur les réseaux sociaux depuis plusieurs semaines.

Avec le développement de l’épidémie, la peur semble s’être emparée d’une partie de la population, provoquant une véritable déferlante complotiste en France. Un constat qui s’est vérifié avec le succès numérique du film Hold-up, qui a accumulé en l’espace d’une semaine quelque trois millions de vues. 

Ce film laisse entendre que l’organisation du Forum économique mondial de Davos se servirait du virus, créé artificiellement, pour éliminer une partie de l’humanité. Pour accréditer cette thèse, le film utilise habilement tous les codes esthetiques du journalisme d’investigation, mais enchaîne les contre vérités sur le fond. Philippe Douste -Blazy, ancien ministre de la santé, et la sociologue Monique Pinçon Charlot, qui y apparaissent, s’en sont désolidarisés.

L’efficacité de ce film est pourtant redoutable, car elle s’appuie sur la mécanique bien huilée de la théorie du complot, concernant la Covid, qui passe par une recette classique : entretenir une ambiance anxiogène en dénonçant le manque criant d’informations sur une crise sanitaire inédite, évoquer les errements du gouvernement pour terminer en utilisant le levier de la peur via des sous-entendus flous, qui laissent présager le pire.

Avec le prolongement de la crise sanitaire, on observe que la nébuleuse complotiste fait émerger de plus en plus de sphères et de personnalités qui relaient en masse ses théories. On peut citer par exemple Qanon, un groupe conspirationniste issu des Etats-Unis, le mouvement anti-masque ou encore Michael Yeadon, ancien directeur de recherche chez Pfizer.

Les raisons de la vague complotiste

Lucile Berland est journaliste, en charge de production de documentaires et d’enquête pour la télévision, a co-fondé l’association Fake Off, composée en grande partie de journalistes issus de la télévision. Ces derniers luttent contre la désinformation, notamment en donnant des cours d’éducation aux médias dans les collèges et les lycées. Elle nous donne les raisons de la prolifération des thèses complotistes : « Il y a déjà le fait que c’est un sujet de santé, qui met en jeu notre propre intégrité et donc nous fait peur. C’est un terreau très propice aux fake news», observe la secrétaire générale de Fake Off. 

Avec le confinement, une grande partie des Français ont passé beaucoup de temps chez eux, à ne pas travailler et donc à aller sur les réseaux sociaux. « Le temps moyen qu’on y a passé a explosé. Au mois d’avril 2020, les gens ont passé en moyenne trois heures de plus par jour sur les réseaux sociaux qu’en avril de l’année dernière ! », explique la journaliste. 

Des gens viennent affirmer des choses, de bonne ou de mauvaise volonté pour combler ces vides scientifiques, car nous ne savions rien sur le virus.

Sandro Lutyens est journaliste et également membre de Fake Off. Il estime qued’une part, lorsqu’il y a de l’inconnu dans la science et notamment le domaine médical, « automatiquement, des gens viennent affirmer des choses, de bonne ou de mauvaise volonté pour combler ces vides scientifiques, car nous ne savions rien sur le virus. D’autre part, l’année est anxiogène. Les fakes news et le conspirationnisme fonctionnent quand on est dans l’émotion », pointe-t-il. 

Il soutient ensuite que dans un moment de raison, le recours à la réflexion, à la recherche de cohérence et de logique est naturel. « Quand on est dans l’émotion, on entre dans la peur, dans l’angoisse, on réfléchit beaucoup moins. Nous sommes donc beaucoup plus affaiblis face aux fake news. »

Cette profusion de mensonges trouve aussi sa source dans les incohérences majeures et l’impréparation du gouvernement dans sa gestion de l’épidémie. On citera notamment la pénurie de masques exposée par Mediapart. Dernièrement, la communication autour de la vaccination contre la Covid n’emporte pas l’adhésion du public. Le manque de transparence et de pédagogie claire d’Emmanuel Macron ont nourri la suspicion à son égard. Ce qui a incité la population à rechercher désespérément des informations fiables par d’autres voies, en particulier sur les réseaux sociaux.

« Il y a eu des rétropédalages, beaucoup d’erreurs de communication, de la manipulation. Et donc tout ça joue aussi.Tous ces facteurs s’ajoutent qui font qu’il y a une défiance grandissante vis-à-vis des autorités politiques, médicales et scientifiques », argue la membre de Fake off.

Lucile Berland considère que cette méfiance est très néfaste, même si elle admet qu’elle est légitime en partie sur certains points. Cependant « cette défiance s’explique par tout un tas de raisons qui ne sont pas celles invoquées par les complotistes, relève la journaliste. « On ne va pas avoir à l’esprit que s’il y a parfois des rétropédalages ou des divergences au sein de la science, c’est tout simplement parce qu’elle s’écrit à tâtons, par l’expérience et qu’elle a besoin de temps. » 

Son collègue de Fake Off souligne, quant à lui, que les complotistes ont tendance à inventer une histoire beaucoup plus compliquée qu’elle ne l’est en réalité. « Depuis le début, l’incohérence de l’État est du pain béni pour eux, et à chaque fois l’épisode de la pénurie de masques revient ! », ajoute Sandro Lutyens.

Dans ce climat de doute généralisé vis-à-vis de toutes les institutions, les journalistes sont aussi pointés du doigt par les complotistes, qui les accusent de ne pas traiter certains sujets et parfois même d’être de connivence avec le gouvernement.

Lucile Berland réfute l’argument : «Les complotistes affirment toujours qu’on a étouffé certaines affaires, alors que beaucoup d’articles ont été écrits sur les défaillances du gouvernement au sujet du Covid, en particulier par la presse indépendante. Peut-être pas assez, et peut-être pas partout, et ça il faut l’entendre. »

Avant de déplorer l’aspect contre productif des adeptes des fausses informations : « C’est dommage que les incohérences du gouvernement soient considérées comme du complotisme, car finalement ça nous détourne du fait qu’il y avait de vraies choses à dénoncer ».

L’éducation aux médias, rempart face aux fake news

Alors que la France traverse une période de crise sanitaire sans précédents, en même temps que des attaques meurtrières sur son sol, l’éducation aux médias est revenue aux yeux de beaucoup, comme l’un des moyens de lutte contre la désinformation.

Pour remplir cet objectif, des journalistes ont été appelés à se mobiliser pour donner des cours d’éducation aux médias, comme récemment en Seine-Saint-Denis, à l’appel de Stéphane Troussel, le président du Conseil départemental. Reste à savoir si l’initiative va s’inscrire dans la durée, ou s’inscrire comme un énième effet d’annonce post-catastrophe.

Les jeunes ont une prise d’information passive, mais il faut juste qu’ils s’entraînent à avoir une prise d’information active, à choisir les comptes et les médias qu’ils vont suivre. 

Avec leur utilisation des réseaux sociaux, notamment pour s’informer, les jeunes sont une cible de choix pour la propagation de rumeurs infondées. Sandro Lutyens détaille le mécanisme par lequel les adolescents peuvent les relayer sans même s’en rendre compte : « Ils reçoivent beaucoup plus d’informations de gens qu’ils ne connaissent pas contrairement à notre génération ».

« Ils ont parfois comme réflexe de répéter quelque chose parce que c’est intéressant, ou parce que ça les rend intéressants. Ils préfèrent croire à une histoire croustillante plutôt qu’à une histoire ennuyeuse qu’on a lue dans le Monde. » Selon lui, les convictions les plus fortes sur les théories du complot viennent des proches.

Le reporter se refuse néanmoins à fustiger les réseaux sociaux comme un seul bloc. « Aujourd’hui, on va plus y chercher les informations que dans les médias mainstream, mais il faut juste apprendre à les utiliser. Les jeunes ont une prise d’information passive, mais il faut juste qu’ils s’entraînent à avoir une prise d’information active, à choisir les comptes et les médias qu’ils vont suivre. »

De son côté, Lucile Berland constate que certains jeunes ne réalisent pas la portée de la diffusion d’une fake news, estimant que c’est anodin, car ils n’en sont pas à l’origine. La co-fondatrice de Fake Off insiste donc sur la nécessité de leur faire comprendre qu’une fausse information n’est pas quelque chose d’abstrait : « Il y a des fakes news qui ont de vrais effets dangereux, parfois sur des communautés, sur la santé de certaines personnes, comme avec la Covid. Du coup participer à partager une information qui peut être dangereuse que vous n’avez pas vérifiée, sans savoir si c’est vrai ou faux, en vous dédouanant, engage une part de responsabilité. »

Hervé HINOPAY

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