Lors du dernier numéro, diffusé à la fin novembre, c’est le président du Rassemblement National Jordan Bardella que Jean-Marc Morandini (poursuivi pour corruption de mineurs, après des accusations d’harcèlement sexuel) a décidé d’inviter. Ensemble, ils se sont rendus au quartier populaire de la Guillotière, à Lyon, afin de faire état de cette prétendue « zone de non droit » en marchant et en discutant avec des habitants soigneusement choisis.

Si tous deux pensaient pouvoir se balader sans peine en détaillant copieusement leur analyse raciste et simpliste de la « Guill » (ce quartier qu’aucun des deux protagonistes n’habite), c’était sans compter sur le mouvement de révolte que ce tournage a suscité dans la capitale du Rhône. 200 manifestants les attendaient à leur arrivée, rendant la réalisation du direct pour le moins compliquée. Un joli pied de nez à l’émission dont les intentions et l’agenda politique se sont révélés dès le premier numéro, et se confirment au second.

On s’est tous unis contre Morandini et Bardella. Ça nous a redonné de la joie et de l’espoir.

« Nos rues ne sont pas à vendre », c’est ce que l’on pouvait lire dans l’appel à la manifestation du groupe Antifa Lyon. En quelques heures, ils se sont mobilisés et organisés pour empêcher l’accès à la Guillotière à Morandini et à son équipe. Sur les réseaux, mais dans la rue aussi, en allant à la rencontre des habitants du quartier, des commerçants et en distribuant des tracts pour prévenir de l’événement qui allait se dérouler le lendemain. Une opération réussie, puisqu’ils étaient plusieurs centaines à s’opposer au tournage de l’émission le jour j.

Durant le direct, Bardella a répété que les manifestants étaient tous des perturbateurs de « l’ultragauche ». « L’ultra-gauche et les racailles main dans la main en profitent bien parce que dans 5 mois on va siffler la fin de la récréation », a d’ailleurs déclaré l’un des leaders d’extrême-droite devant la foule hostile.

Pour nous, CNEWS, ce n’est pas du journalisme. C’est de la propagande d’extrême-droite et de la provocation politique.

Axel, militant du groupe Antifa Lyon affirme le contraire. « On s’était dit qu’il y aurait peut être que des militants et pour le coup c’était pas du tout le cas. Il y a eu beaucoup d’habitants et habitantes qui se sont mobilisés. Même des personnes avec qui on n’était pas d’accord la veille sur la présence policière actuelle dans le quartier, bah ils sont quand même venus avec nous. On s’est tous unis contre Morandini et Bardella. Ça nous a redonné de la joie et de l’espoir. On n’est peut-être pas d’accord sur tout, mais sur l’antiracisme, sur le souhait que le quartier reste multiculturel, ça, pour le coup, on est tous d’accord à la Guillotière. »

Une mobilisation et une émission sur fond de « La jeunesse emmerde le front national » diffusé plein pot dans les enceintes d’un bar local. « Morandini pensait qu’il allait pouvoir venir et marcher tranquillement jusqu’à la place. Mais on l’a viré une première fois. Il s’est réfugié dans un hôtel et il a mis au moins une heure à revenir jusqu’à la place. Et manque de pot pour lui, le bar qui se trouve en face de l’hôtel est plutôt de gauche. C’est eux qui ont mis la musique », explique Axel.

Personnellement, ça ne reflète pas mon quotidien. 

Cela fait un an que Maëlle, orthophoniste, habite place du Pont et plus de trois ans dans les environs. Si elle concède quelques bagarres et des ventes illicites de cigarettes au sein du quartier, elle s’oppose néanmoins à la vision vendue dans les médias ces dernières semaines. « Personnellement, ça ne reflète pas mon quotidien. C’est vrai qu’il y a un problème de fond à la Guillotière, mais en y vivant, j’ai pas été embêtée plus que ça. Ni volée. Ce ne sont pas les gens du quartier qui se font agresser gratuitement. La police, c’est pas la solution. La venue des camions de CRS nous stresse plus qu’autre chose. On se dit ‘Est-ce que c’est vraiment nécessaire d’en arriver là?’ Les solutions sont ailleurs. Finalement, ils ne font que déplacer le problème sans le résoudre », conclut l’habitante.

En effet, avant le tournage depuis quelques semaines, de nombreux CRS quadrillent le quartier pour vider la place. « Cette occupation est stressante, ciblée et malsaine. C’est au faciès. Il y a des CRS armés qui se baladent et des arrestations tous les jours. Souvent des gamins de 18 piges ou des sans papiers. L’image est absolument dégueulasse et pour nous, la solution, c’est pas du tout la police. Il y a vraiment une sale ambiance. On vit avec des personnes non-blanches et ils ne sont pas rassurés. Ils sentent qu’un contrôle peut vite arriver, » explique Axel.

Le quartier de la Guillotière à la sauce Cnews

« Quand l’émission a été annoncée, on s’est dit que cette venue était un échec total et qu’elle n’allait pas véhiculer le bon message sur notre quartier », poursuit Maëlle. « On n’est pas forcément d’accord avec tous les journalistes, mais on les laisse travailler. Mais pour nous, CNEWS, ce n’est pas du journalisme. C’est de la propagande d’extrême-droite et de la provocation politique et on ne voulait pas les laisser se servir de la Guillotière comme ils l’ont fait à Drancy », précise Axel.

Dans l’émission, c’est une réalité du quartier plus sombre que celle que nous décrivent nos deux témoins, qui est rapportée au travers de prises de paroles des différents intervenants. LyonMag s’est d’ailleurs interrogé sur l’identité de ces interlocuteurs. Parmi eux, Michel Dulac, commerçant du quartier mais surtout ancien conseiller régional Rassemblent National.

ActuLyon fait savoir aussi que le témoin Jean-Michel, membre de l’association « Guillotière en danger » (soutenue par le même Michel Dulac), souhaitait « monter des milices » pour « défendre » la Guillotière. Lors de ce tournage, l’émission donne aussi la parole à un jeune homme, Kevin, dont on apprendra, plus tard qu’il est aussi lié au Rassemblement National. Des informations, importantes, que l’émission s’est bien gardée de divulguer lors de son direct.

Halte à l’instrumentalisation.

Le jour même de l’incident, la ville de Lyon s’est empressée de publier un communiqué de presse avec pour but de pointer du doigt « les propos de cadres politiques qui visent à attiser la haine et à stigmatiser. » Si le maire, Grégory Doucet, reconnaît des problématiques sur lesquelles se penchent divers acteurs pour maintenir un dialogue et trouver des solutions durables, il refuse cependant que le quartier de la Guillotière ne soit réduit qu’à cela.

« Cette émission a été réalisée dans le but de stigmatiser le quartier de la Guillotière et ses habitants. Le quartier de la Guillotière mérite mieux que cela. S’il connaît des problématiques de tranquillité publique, ce n’est pas une ‘zone de non droit’ comme certains ont pu le laisser croire depuis quelques semaines et notamment dans cette émission », peut-on lire dans le document officiel.

Des propos signés par Grégory Doucet, mais également par Fanny Dubot, Maire du 7ème arrondissement et par Véronique Dubois, Maire du 3ème arrondissement, et qui viennent compléter ceux des riverains qui se sont opposés à la venue de CNEWS dans leur quartier.

Une forte présence policière

Si la préfecture souhaitait taire le nombre de forces de l’ordre déployées le matin du mercredi 24 novembre, des chiffres sont pourtant parus dans un article du journal Le Progrès : « 115 policiers issus de deux compagnies de CRS, 21 agents de la compagnie départementale d’intervention, 16 fonctionnaires de la BAC, 15 du groupe de sécurité de proximité, des motards de la police et quelques policiers d’autres services (…) À ces derniers s’ajoutent plusieurs dizaines de militaires de la gendarmerie mobile. À la clé, plus de forces de l’ordre que de militants. »

Interrogée par le BB, la préfecture du Rhône assure que la production n’a pas demandé de renforts supplémentaires. « CNEWS avait prévenu de la tenue de l’émission, mais ce n’est pas eux qui ont demandé à ce que les forces de l’ordre soient présents. Ils sont venus avec leur propre dispositif de sécurité privé. La police était présente pour répondre à l’appel à la manifestation et ils ont été nécessaires puisque celle-ci a été plutôt houleuse. » 

Un important dispositif mobilisé qui, apparemment, n’avait pas pour but de protéger les intervenants de CNEWS, mais qui était présent pour encadrer les 200 manifestants, comme l’a précisé la préfecture. “Il y a eu des violences policières pour libérer la place. Morandini et Bardella voulaient absolument leurs images devant le mcdo et le casino de la place Gabriel Péri. Ils l’ont eu par la force, à coup de boucliers, matraques et lacrymo”, conclut Axel. Reste à savoir maintenant comment les équipes de Morandini comptent mettre en lumière, ou stigmatiser d’autres territoires dans leur prochains numéros de cette si longue campagne.

Camelia El Cadi

Articles liés

  • Assia Hamdi, un livre pour l’égalité dans le sport féminin

    Avec son livre 'Joue-la comme Megan', la journaliste sportive Assia Hamdi raconte la bataille des sportives pour la défense de leurs droits et leur liberté. La journaliste explore différentes problématiques liées au sport féminin : l’égalité salariale, l’injonction à la féminité ou encore les questions liées au corps féminin comme les menstruations ou la grossesse. Interview.

    Par Emeline Odi
    Le 25/10/2021
  • Les clés de l’insertion d’Hachemy Kane

    S'insérer par le podcast : c'est le pari d' Hachemy Kane, engagé sur le terrain en Seine-et-Marne et créateur du podcast 'les clés de l'insertion'. Un rendez-vous fait de rencontres et d'introspection pour inspirer les jeunes et leur permettre de trouver leur voie. Vidéo.

    Par Hervé Hinopay
    Le 20/10/2021
  • Le procès de la télé-réalité : clash d’éloquence

    Maintes fois reporté, le procès de la télé-réalité, devait être un petit concours d'éloquence à la Sorbonne. Devant l'engouement du public, c'est sur la scène du Grand Rex à Paris, que s'est joué l'avenir du phénomène audiovisuel. Stars du petit écran et professionnels du droit se sont réunis pour un débat, souvent disqualifié : pour ou contre la télé-réalité. Reportage.

    Par Syrine Plet
    Le 23/09/2021