On estime que, au moins, 20 % de la population française a les cheveux crépus, bouclés ou frisés. Pour autant, les formations des coiffeurs ne prennent pas en compte la coiffure des cheveux texturés. Cependant, une petite révolution a eu lieu en septembre 2023.

Depuis la rentrée, un diplôme de coiffure consacré à ces types de cheveux est proposé par cinq centres de formations. C’est le fruit d’une lutte menée depuis des années par de nombreux coiffeurs spécialisés dans ce type de cheveux, comme Aude Livoreil-Djampou, fondatrice des salons Studio Ana’e et docteure en chimie. Interview. 

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez participé à la conception de ce diplôme et comment le processus s’est déroulé ?

Quand je travaillais pour L’Oréal, en tant que formulatrice, puis au sein du département Recherche et Développement, j’ai été amenée à travailler assez vite sur le cheveu frisé et crépu, puisque je menais des projets sur le Brésil et les États-Unis. Puis, dans ma vie personnelle, j’ai des enfants métis. Quand ma fille est née, je me suis vite rendu compte qu’il avait très peu de salons spécialisés et qu’il n’y avait pas de formation des coiffeurs sur le cheveu frisé et c’était un vrai problème. Après avoir quitté L’Oréal, j’ai monté le salon coiffure Studio Ana’e, dans lequel on coiffe toutes les textures de cheveux.

Il fallait combler le vide de la formation professionnelle

Si on voulait que les choses avancent pour que l’on puisse avoir plein de salons où les coiffeurs sont formés à s’occuper des cheveux BFC (Bouclés, Frisés et Crépus), il fallait combler le vide de la formation professionnelle. J’ai sollicité la Fédération de la coiffure et le ministère de l’Éducation nationale pour poser cette problématique.

J’ai donc rédigé un dossier d’opportunité dans lequel on montre les besoins, le marché, le chiffrage, le contenu pédagogique à apporter, mais également ce qu’il n’est pas encore présent dans les diplômes existants. Ce dossier a servi à monter le diplôme. Depuis septembre, il y a cinq centres de formations, situés à Paris, Marseille, Montpellier, Metz et la Normandie, qui proposent cette certification professionnelle.

Comment va se dérouler cette formation ?

C’est une formation de 200 heures environ, qui se fait après le CAP, et qui est un diplôme de spécialisation sur les techniques de coiffure des cheveux bouclés, frisés, crépus. Il y a une partie sur le diagnostic, sur la biologie, une autre sur toutes les techniques de coiffage, de coloration, et sur le changement de forme, c’est-à-dire le lissage et le défrisage. Ce qui est dommage, c’est qu’ils n’ont pas mis les techniques de coupe. Il y a une énorme différence de comportement entre le cheveu raide et le cheveu frisé au niveau des techniques de coupe.

D’ailleurs, pourquoi le diplôme n’a pas été rattaché au CAP ?

Le CAP possède un nombre d’heures très précis. Ce diplôme est financé par l’État. C’est un financement collectif qu’on appelle : les Opérateurs de compétences (OPCO). Si l’on veut rajouter 40 ou 50 heures, il faut rajouter les financements correspondants. Et ça pose aussi un autre problème : la formation de l’ensemble du personnel pédagogique. Si vous faites un CAP qui est transversal et qui inclut le cheveu frisé, ce que l’on souhaite tous à terme, il faut mobiliser des moyens assez conséquents pour former l’ensemble des professeurs de coiffure.

Ce diplôme vient bien après ceux qui existent depuis un moment en Angleterre, aux États-Unis ou au Brésil. Comment peut-on expliquer cet écart de traitement entre les différents types de cheveux en France ?

Le problème de la France aujourd’hui, c’est que l’on a défini un modèle d’assimilation dans lequel tout le monde est pareil. En France, on n’arrive pas à composer avec la multiculturalité. On la fait s’affronter avec une espèce d’image française et on demande aux gens de rentrer dans ce modèle. Le manque de traitement des cheveux bouclés, frisés va de pair avec cette difficulté pour la France à reconnaître sa multiculturalité. On considère le cheveu raide comme universel alors qu’il existe d’autres types de cheveux. Et ça vient également de l’absence de représentation. C’est-à-dire qu’il faut mettre en avant des femmes et des hommes avec des cheveux bouclés, crépus, frisés.

Vous avez longtemps milité avec d’autres spécialistes de la coiffure des cheveux crépus, bouclés, frisés et crépus. Est-ce que ce certificat symbolise l’aboutissement de cette lutte ?

Effectivement ! Taj, Alexis Rosso, Aline Tacite, Marine Rocher… Tous ces gens ont, à un moment donné, porté une parole et ont construit ce chemin qui a abouti à la création de ce diplôme. On travaille depuis longtemps pour faire avancer les choses. La porte a cédé face à notre lutte.

Actuellement, les personnes aux cheveux bouclés, frisés et crépus ne peuvent se faire coiffer dans n’importe quel salon de coiffure. Est-ce que pour vous, une forme de discrimination envers les cheveux crépus ?

C’est une discrimination de fait, mais pas d’intention. Si les coiffeurs ne sont pas formés à coiffer les cheveux BFC, les personnes ayant ces types de cheveux ne peuvent aller au salon de coiffure. C’est pour ça que c’était très important d’avancer sur la formation des coiffeurs, parce que c’est une situation qui n’est pas acceptable dans la durée. Les quelques coiffeurs que j’ai rencontrés et qui savent coiffer les cheveux frisés ou crépus, sont tous partis se former à l’étranger. Tout le monde n’a pas les moyens d’aller se former à Londres, aux Antilles ou aux États-Unis.

Ce diplôme est donc très important ! Il va permettre de poser le début d’une égalisation des savoirs et d’un partage des savoirs du cheveu bouclé, frisé et crépu. Il y aura de plus en plus de salons de coiffure dédiés aux cheveux texturés. Il y a 8 ans, on avait des clients qui venaient d’Aix-en-Provence, du Luxembourg pour se faire coiffer ! Aujourd’hui, si je suis dans une petite ville de province, il n’y en a pas du tout, il faut aller dans les grandes villes.

Tout le monde n’a pas les moyens d’aller prendre le train depuis Strasbourg ou une autre ville pour venir chez le coiffeur

Pendant les vacances scolaires, des familles montaient à Paris pour se faire coiffer dans notre salon de coiffure. C’est une forme d’inégalité : tout le monde n’a pas les moyens d’aller prendre le train depuis Strasbourg ou une autre ville pour venir chez le coiffeur. Il faut absolument démocratiser les salons de coiffure texturés.

D’après un article de Slate, il y a environ 200 salons spécialisés en France, en tout cas spécialisés dans les cheveux bouclés, frisés, crépus. Pourtant, 20 % de la population française a ce type de cheveux (d’après le CRAN*). Ce qui est très inégalitaire…

J’avais donné ce pourcentage-là il y a longtemps à l’Unec (Union Nationale des Entreprises de Coiffure), pour pouvoir chiffrer le marché, mais en réalité, c’est une hypothèse très basse. Si on intègre la totalité des boucles, c’est-à-dire le cheveu ondulé, bouclé, frisé et crépu, je pense qu’on est plus à 40-50 % de la population française. En réalité, les cheveux raides, il n’y en a pas tant que ça. Ces 200 salons de coiffure sont répartis inégalement : vous avez plus de choix à Paris et beaucoup moins en Provence.

Émeline Odi 

*Le conseil représentatif des associations noires de France

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