Le taux de participation de ces élections législatives est historique. Selon les résultats définitifs du ministère de l’Intérieur, il s’est élevé à 66,71 %. Un score bien plus supérieur à celui de 2022 qui était de 47,51 %. Les habitants de la Seine-Saint-Denis se sont également déplacés aux urnes en masse. Le taux de participation à 17 heures était de 47,04 %, contre 27,72 % en 2022.

Comme pour les élections européennes, le RN en tête du premier tour des législatives (33,15 %), suivi du Nouveau Front Populaire (27,99 %) et du camp présidentiel, Ensemble ! (20,04 %).

Dans cette interview, David Gouard, enseignant-chercheur en science politique à l’Université Toulouse-Jean Jaurès, analyse la forte mobilisation en France. Mais aussi celle des quartiers populaires. Interview. 

Quel est votre regard sur les résultats du premier tour de ces législatives anticipées ?

Ces résultats confirment les tendances qui avaient été dégagées par les différents instituts de sondage, c’est-à-dire la progression du Rassemblement national à un niveau inégalé historiquement. Il y avait déjà les élections européennes du 9 juin dernier qui avaient montré une forte progression du Rassemblement National. C’est un vote qui maintenant est très nationalisé, il n’y a quasiment aucun espace géographique français qui n’échappe à cette progression. Il y en a peut-être deux qui restent, mais qui s’amincissent en termes d’étendue, ce sont les centres-villes, d’une part, et puis certains quartiers populaires urbains d’autre part.

Le grand perdant, pour l’instant, à l’issue du premier tour, c’est le parti présidentiel et ses alliés. Ils sont menacés dans beaucoup de circonscriptions et vont perdre un très grand nombre de députés. Du côté du Nouveau Front Populaire, la situation dépend des régions. Par exemple, en Midi-Pyrénées, l’alliance de gauche a plutôt bien fonctionné.

C’est un territoire d’ancrage de la gauche d’une manière générale. Il y a fort à parier qu’il y ait une progression du nombre de députés de gauche à l’issue du second tour dans cette région.

En termes d’élections législatives, il n’y a jamais eu un taux de participation aussi fort au 21ᵉ siècle

On peut aussi souligner la très forte participation. Le niveau est à peu près équivalent à celui qu’on avait enregistré en 1997, dans le cadre de la précédente dissolution. Et puis, en termes d’élections législatives, il n’y a jamais eu un taux de participation aussi fort au 21ᵉ siècle.

Dans les quartiers populaires, on vote moins qu’au niveau national, mais disons que plus la participation électorale augmente, plus les écarts sociologiques de mobilisation électorale se réduisent. Donc les quartiers populaires, d’une manière générale, ont connu un sursaut de mobilisation plus fort encore qu’au niveau national.

En parlant des quartiers populaires, il y a eu un engouement par rapport au vote en Seine-Saint-Denis. Comment observez-vous cette mobilisation et qu’est-ce que ça en dit sur les quartiers populaires ?

Ce qui vient de se passer en termes de mobilisation dans les quartiers populaires, mais aussi d’une manière générale en France, contredit un petit peu les tendances et les commentaires sur la désaffection des Français et des Françaises à l’égard de la vie politique et électorale. Quand il y a un scrutin à enjeu, c’est notamment le cas pour ces élections législatives, mais aussi pour l’élection présidentielle, qui continue de rallier beaucoup d’électeurs, et bien les Français et les Françaises se mobilisent quand même assez largement. Y compris ceux qui ont bien souvent un rapport intermittent au vote.

Dans les quartiers populaires, le RN constitue souvent une figure repoussoir, qui est un vecteur de mobilisation électorale

La Seine-Saint-Denis en est un bon exemple. C’est peut-être le département en France, en tout cas en France métropolitaine, où l’on vote le moins, mais c’est aussi là où il y a un regain de mobilisation qui est plus fort. Cela est lié à l’intensité du scrutin, au fait qu’il y ait trois blocs politiques très distincts, dont certains électeurs craignent fortement que l’un de ces blocs se maintienne au pouvoir s’il s’agit du camp présidentiel, ou bien conquiert le pouvoir s’il s’agit du RN ou du Nouveau Front Populaire.

Dans les quartiers populaires, le RN constitue souvent une figure repoussoir, qui est un vecteur de mobilisation électorale. Comme en 2002, avec la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle.

Est-ce que l’on peut dire que c’est également le résultat d’une mobilisation des acteurs de quartiers populaires sur le terrain ?

Difficile à dire. C’est peu probable, parce que la campagne était tellement courte qu’il n’y a pas pu avoir une campagne de terrain digne de ce nom. En revanche, ce sont des quartiers qui en règle générale restent largement acquis par la gauche. Il est globalement plus simple de convaincre un électeur de gauche d’aller voter plutôt que de convaincre un électeur de droite ou d’extrême droite de changer son vote pour un vote de gauche. Il y a un vivier électoral en faveur de la gauche relativement important dans ces quartiers populaires.

Là où l’issue va se décider au second tour, c’est plutôt dans les autres circonscriptions  souvent plus rurales ou semi-urbaines

La surmobilisation électorale qu’il y a eu dans ce type de quartier est en faveur des candidats de gauche, mais ce ne sont pas des circonscriptions qui étaient susceptibles de basculer. Ce sont des circonscriptions qui étaient plutôt bien tenues par la gauche, donc il y a eu plutôt peu de surprises possibles. Là où l’issue va se décider au second tour, c’est plutôt dans les autres circonscriptions en France, qui sont souvent plus rurales ou semi-urbaines. Là, pour le coup, les basculements d’un camp à l’autre peuvent être plus probables.

Vous avez souligné le fait que le RN était une figure repoussoir dans les quartiers populaires. Mais aux Européennes, le Rassemblement national a progressé en Seine-Saint-Denis par rapport aux dernières européennes en 2019, avec plus de 12 000 voix. Est-ce qu’on peut dire qu’il y a une progression du vote de l’extrême droite dans les quartiers populaires en général ?

En fait, le RN progresse quasi partout. Dans tout type de territoire et auprès de tout type de population. Il faut prendre les chiffres que vous évoquez avec précaution parce que, s’il a progressé en Seine-Saint-Denis en 2024 par rapport à 2019, c’est aussi en partie lié à la plus forte mobilisation. Il y a un peu plus d’électeurs qui se sont exprimés, donc mécaniquement, il y a un peu plus de voix pour chacun des camps à un niveau électoral égal.

Mais ce qui est sûr, c’est qu’effectivement la force électorale du RN, c’est qu’il parvient à agglomérer différents types de mécontentements. Ces mécontentements sont avant tout en adéquation avec la ligne idéologique du RN, c’est-à-dire le sentiment d’insécurité ou l’immigration.

Au sein des quartiers populaires urbains, y compris chez les personnes issues de l’immigration, il peut y avoir un vote favorable au RN qui peut être motivé par plein de raisons différentes. Mais de mon point de vue, je dirais que la principale raison qui explique la progression forte du vote en faveur du RN c’est la contestation de l’offre politique telle qu’elle existe à l’heure actuelle, structurée autour des principaux acteurs politiques de gauche d’une part et de droite d’autre part. C’est un vote qui a la force symbolique de la contestation.

Selon l’Ipsos, les jeunes de 18-24 ans ont plus voté pour le Nouveau Front Populaire (48%), mais le RN arrive juste derrière avec 33 %. Du côté des ouvriers, c’est le RN qui arrive en tête (57%). Comment peut-on expliquer cette montée de l’extrême droite chez les jeunes et les ouvriers ?

Pendant longtemps, l’ancien FN et le nouvel RN avaient beaucoup de mal à recruter chez les jeunes, parce qu’ils étaient sur une ligne très très conservatrice, qui ne correspondait pas du tout aux aspirations de la nouvelle génération, plutôt marquée par l’antiracisme. Et là, ça a beaucoup changé.

Le RN fait de moins bons résultats chez les jeunes qu’il ne le fait chez les plus de 40 ans et les personnes plus âgées. Néanmoins, il a réussi à combler le déficit de soutien qu’il rencontrait auprès des jeunes. Le RN a mis en avant des figures relativement jeunes. Jordan Bardella en est un bon exemple, avec tous les moyens militants les plus modernes à sa disposition (les réseaux sociaux).

Cette pénétration du RN au sein des milieux populaires s’est confirmée sur les vingt dernières années sur l’ensemble du pays

Le RN a toujours eu une composante populaire et une autre plus bourgeoise. Si on s’intéresse aux zones d’ancrage du RN, ou du Front National, sur le pourtour méditerranéen, c’étaient plutôt les classes les plus bourgeoises qui votaient RN, avec la droite. Dans le Nord, c’était plutôt un RN des orphelins de la gauche, un milieu populaire. Cette pénétration du RN au sein des milieux populaires s’est confirmée sur les vingt dernières années, pas uniquement dans les zones que je viens d’évoquer, mais sur l’ensemble du pays.

Propos recueillis par Émeline Odi

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