En moins d’une semaine, deux adolescents sont morts à Saint-Denis. Sedan, 14 ans, a été poignardé à mort sur le quai de la ligne 13, mercredi 17 janvier. Lors d’un rassemblement en sa mémoire le samedi suivant, la nouvelle du décès de Farid a plombé encore davantage l’atmosphère. Farid avait 18 ans, il s’apprêtait à passer une épreuve de bac blanc au moment de « l’expédition punitive » qui lui a coûté la vie.

Un choc pour les Dionysiens. Mercredi 24 janvier, des habitants et des militants se sont retrouvés à l’antenne jeunesse de la cité des Francs-Moisins. Un temps de dialogue nécessaire pour renouer les liens entre les différents quartiers de la ville. Entretien avec Diangou Traoré, co-initiatrice de la rencontre, habitante des Francs-Moisins et militante associative.

Comment est née cette initiative ?

Quelques jours après les drames qui ont touché Sedan et Farid, des mamans du quartier de la Plaine croisent Assa Traoré à Bobigny. Elles lui font part de leur désarroi face aux rixes qui déciment leur ville et lui demandent de venir parler aux jeunes.

Elle m’a contactée pour co-organiser cette rencontre entre les quartiers de la Plaine et des Francs-Moisins, qui entretiennent des relations tendues. J’ai appelé les mamans des Francs-Moisins, qui sont venues avec leurs enfants. Du côté de la Plaine, c’est Salim Dabo de l’association Univers Project 93 qui a fait le travail et ramené une trentaine de jeunes de son quartier.

Beaucoup de monde a participé à la rencontre. Cela vous a-t-il surpris ?

De mémoire d’habitante sur Saint-Denis, on n’a jamais connu une telle mobilisation pour ce genre d’évènement. Les locaux de l’antenne jeunesse ont très vite été saturés et certains ont écouté les interventions depuis l’extérieur.

Beaucoup de mamans, mais aussi des papas, voire des grands-parents qui s’inquiètent pour leurs petits-fils, étaient présents. Mais aussi énormément de jeunes. C’était très beau et ça reflète la nécessité du dialogue

Par ailleurs, nous avons aussi sollicité l’intervention de personnalités extérieures à la ville. D’abord les mamans avaient sollicité Assa Traoré, et de notre côté, nous avions aussi fait appel à des personnes expérimentées sur cette thématique comme Almamy Kanouté, Noumouké Sidibé, Adama Camara, Abde Traoré… C’était important aussi d’avoir un regard extérieur.

Qu’est-ce qui est ressorti de ses échanges ?

Personne ne connait l’origine de ces rixes. Les jeunes ont conscience que cela ne sert à rien et veulent que ça s’arrête. Entendre les enfants des deux quartiers dire « j’ai envie de vivre, c’est bon, on enterre la hache de guerre », c’était important.

Nous avons aussi recueilli des témoignages édifiants, comme cette maman de la Plaine qui a peur d’envoyer son fils déposer quelque chose chez sa famille qui vit aux Francs-Moisins. Ou ces enfants qui se battent sans savoir que leurs mères se connaissent.

Quels sont les facteurs qui favorisent ses tensions ?

Les jeunes ne se connaissent plus. Ils sont scolarisés dans 4 ou 5 lycées différents. Les rixes influent sur leur mobilité et participent à la déscolarisation de certains qui redoutent d’aller dans tel ou tel établissement situé dans un quartier rival. Et un jeune qui traine dehors, ce n’est jamais bon.

Quel bilan tirez-vous de cette rencontre et quelles suites comptez-vous y donner ?

Il est essentiel de faire de la prévention. Tout ne peut pas être que répression. Il faut remettre la parentalité au centre des débats. Rien ne sert de culpabiliser les parents, en les qualifiant systématiquement de démissionnaires. Ces drames peuvent arriver à tout le monde dans un quartier.

Nous avons ici énormément de familles monoparentales avec des mamans qui font les 3/8 et font ce qu’elles peuvent pour éduquer leurs enfants correctement. On ne peut pas leur reprocher de travailler et de faire au mieux pour subvenir au besoin de leur famille ! Et puis quand ils sont adolescents, il y a l’effet de groupe.

Nous allons continuer à multiplier les rencontres et favoriser les initiatives inter-quartiers

Il faut travailler en commun, recréer du lien entre les familles, les quartiers et les jeunes, c’est pour cela que nous allons continuer à multiplier les rencontres et favoriser les initiatives inter-quartiers.

Enfin, les problèmes de santé mentale (au sens large) ne sont pas suffisamment pris en charge dans nos territoires. Nos quartiers sont imbibés par la violence, banalisée dès le plus jeune âge. Pour nous, tout est plus violent. Ça nous endurcit trop, on banalise des choses qui ne devraient pas l’être et tout ça il faut y travailler.

Une cellule de soutien psychologique aurait été utile. Après l’hommage, les jeunes sont repartis avec leurs larmes

Par exemple, une cellule de soutien psychologique, le jour de l’hommage à Sedan, aurait été utile. Car après l’hommage, les jeunes sont repartis avec leurs larmes. C’est un axe sur lequel il va falloir réfléchir.

Propos recueillis par Céline Beaury 

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