Lors du premier tour des élections législatives, la vague brune du Rassemblement national s’est étendue sur le pays, et particulièrement dans le nord de la France. Dans la première circonscription de la Somme, le Rassemblement National l’a emporté à 40,69 %, malgré la participation des habitants des quartiers populaires et la candidature de François Ruffin, figure du Nouveau Front Populaire.

Théo* s’est rendu pour la première fois dans un bureau de vote le 30 juin dernier, lors du premier tour des élections législatives anticipées. « Je n’avais jamais voté avant », précise l’étudiant de 19 ans qui vit dans le quartier Etouvie, à Amiens. Pourtant, le jeune homme s’est déplacé pour porter son bulletin dans l’urne, avec inquiétude. « Il n’y a pas assez de jeunes qui votent, alors j’y suis allé », explique l’étudiant.

Théo explique s’être senti concerné par la montée de l’extrême droite lors des élections européennes. « Ce sont les résultats des votes précédents qui m’ont inquiété », souffle le jeune homme en haussant les épaules. « Je n’aime pas leurs idées et leurs propos, ils ont une idéologie extrême », ajoute-t-il pour décrire le parti du Rassemblement National.

Dans les quartiers d’Amiens, un rejet net du Rassemblement national

De son côté, Fabrice assure ne pas s’intéresser particulièrement à la politique. Il tient néanmoins à aller voter pour les élections législatives, pour faire barrage au Rassemblement National. « Je suis allé voter, parce que c’était vraiment important », résume le jeune homme de 24 ans. Il explique avoir été choqué des positions de certains candidats du parti à la flamme.

« Je ne suis pas d’accord avec ces personnes et je ne cautionne pas ce genre d’idées là », affirme-t-il, d’un ton amer. Il s’est dit particulièrement écœuré par le vote de l’eurodéputé Jordan Bardella, président du parti, contre la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité, le 19 juin dernier au Parlement européen.

C’est ici que j’ai vécu le plus de discriminations. En tant que personne noire dans le Nord, des anecdotes racistes, j’en ai plein

Fabrice est installé depuis quelques années à Etouvie, auparavant, il vivait dans le sud de la France. Le jeune homme qui travaille dans la restauration rapide ne se dit pourtant pas « choqué » par les scores élevés du Rassemblement National dans le Nord. Il y décrit une mentalité plus renfermée. « C’est ici que j’ai vécu le plus de discriminations. En tant que personne noire dans le Nord, des anecdotes racistes, j’en ai plein », regrette-t-il.

« Avec la montée du RN, certains vont se lâcher. Je pense que ça peut même finir par mener à des violences », redoute-t-il. S’il ne se sent pas en danger pour lui-même, il craint pour les autres minorités. « C’est triste d’en arriver là, j’ai peur qu’on soit tous divisés. » Après un silence, il soupire : « On veut réussir à vivre ensemble et certains veulent tout casser ».

Un espoir : la mobilisation des abstentionnistes

Malgré tout, Fabrice garde espoir pour le deuxième tour. Il espère que les abstentionnistes se rendront aux urnes. « Ceux qui peuvent changer les votes, c’est notre génération, c’est nous que ça va impacter ! » Selon France Info, l’abstention pour le premier tour dans la seconde circonscription de la Somme est de 32,04 %. En 2022, l’abstention dans cette même circonscription s’est élevée à 52,53 %.

À quelques kilomètres d’ici, au quartier du Pigeonnier, le dos posé contre l’immeuble de la place Colvert, Sofiane* espère une mobilisation « plus forte » au second tour des élections législatives pour faire barrage au Rassemblement National. Au premier tour, il ne s’est pas rendu aux urnes, mais il s’y rendra au second, promet le jeune homme. « Au deuxième tour, j’irai voter pour contrer leur FN ou leur RN », assure-t-il.

Un territoire fracturé

Autour de lui, quelques hommes âgés d’une vingtaine d’années commencent à échanger sur les élections. « Les idées du Rassemblement national sont violentes », lance l’un d’entre eux, assis sur un bout de trottoir. Une sacoche autour du torse, Nordine ajoute d’un ton désabusé : « J’ai voté, mais j’ai l’impression que cela ne sert à rien. » Selon les chiffres de la préfecture de la Somme, le candidat NFP, François Ruffin, est arrivé en tête dans le bureau de vote de leur quartier. Mais la première circonscription est partagée avec de nombreux territoires ruraux, dans lesquels le Rassemblement National reste largement en tête.

Les quartiers n’ont pas le temps de penser à la politique

Ces chiffres montrent une grande abstention dans le quartier, qui monte jusqu’à 48 %. « Les quartiers n’ont pas le temps de penser à la politique », analyse Ayoub*, un commerçant du coin, en haussant les épaules. « On est dans des zones où on n’a le droit à rien. » Il balaye la place bétonnée d’un mouvement de bras. « Il n’y même pas de parc pour les enfants, il n’y rien ici. C’est complètement délaissé », peste le commerçant.

Pour lui, peu importe les politiques mises en place, la situation de son quartier reste la même. De son côté, dans son blouson noir, Mohammed s’interroge à voix haute. « S’il y a 10 millions de personnes qui ont voté Rassemblement National, c’est qu’il y a un problème quelque part. » Pour la première fois de son histoire, le RN a dépassé la barre des 10 millions de voix aux élections législatives.

Un racisme débridé…

Si ces habitants des quartiers populaires d’Amiens espèrent que leurs voix seront entendues dans les urnes, ils expriment leur inquiétude face à la montée du racisme dans leur quotidien depuis les dernières élections. D’après un décompte de Mediapart, depuis la victoire du Rassemblement National aux élections européennes le 9 juin dernier, plus d’une agression raciste a lieu par jour en France.

Théo explique avec lassitude avoir vu la parole raciste se libérer récemment, notamment sur les réseaux sociaux. « Sur TikTok, les commentaires, c’est terrible. Sous certaines vidéos politiques, on peut lire des commentaires comme “les noirs, rentrez chez vous” », déplore-t-il. « Forcément, que je me sens concerné », conclut-il en touchant nerveusement ses écouteurs.

… jusque dans les cours d’école

Cette libération de la parole raciste, Aïcha l’a remarquée, elle aussi. La mère au foyer de 26 ans est née à Etouvie. Elle déplore qu’à l’école primaire de sa fille, le racisme soit en hausse depuis plusieurs semaines. Selon elle, des pères de famille de l’école primaire de sa fille auraient ordonné à leurs enfants de ne pas « jouer avec des arabes ».

« Je suis née ici, à Etouvie et à mon époque, il n’y avait pas de racisme », ajoute la jeune mère franco-marocaine, en secouant la tête. Depuis les élections européennes, elle assure que « les racistes parlent plus ». Elle ajoute en surveillant sa fille qui joue du coin de l’œil que « pourtant, sans l’immigration, la France aurait échoué. »

Les vieux qui habitent dans leur village, ils n’ont que la télé, ils entendent parler d’insécurité à longueur de journée sur les chaînes d’info

« En 2002 et en 2017, les gens se sont mobilisés contre cela, alors que maintenant, ils sont fiers de voter RN », regrette Mohammed. Une cigarette au bout des doigts, Sofiane dit constater des regards « bizarres » ou « plus insistants » en dehors du quartier.« On dirait que le racisme est libéré », ajoute-t-il.

Pour Ayoub, si le racisme est de plus en plus banalisé dans les milieux ruraux, les médias ont leur part de responsabilité. « Les vieux qui habitent dans leur village, ils n’ont que la télé, ils entendent parler d’insécurité à longueur de journée sur les chaînes d’info. » Le ton de la discussion se calme doucement, Nordine, assis sur une chaise et casquette enfoncée sur la tête, finit par lancer : « Ça donne envie de partir d’ici ». « Si Le Pen passe, elle nous offrira le billet ! », rétorque Ayoub dans un rire. Après un moment de calme, Mohammed ajoute, le visage fermé : « Avant, c’était la honte d’être raciste. »

Sofia Goudjil

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