En août dernier, un béluga agonise dans les eaux de la Seine. Ce cétacé vivant normalement dans l’océan arctique ou dans les eaux de Québec est mort en France. Un signe effarant de la dégradation de la vie marine. En septembre, c’est un rorqual qui s’est échoué en Bretagne.

« On n’a pas voulu me laisser accéder au site. J’ai dû envoyer un SMS au ministre de la Mer ! », se souvient Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France. Elle se rend immédiatement sur place pour porter secours à l’animal, en vain. « La France n’est pas prête pour les sauvetages. Un réseau doit être mis en place », juge-t-elle.

Une orientation contre vents et marées

Son engagement est sans faille. Pourtant, l’enfant de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) n’a jamais croisé de baleine dans son enfance. Rien ne la prédispose à devenir la fervente porte-parole de la vie marine, si ce n’est une passion chevillée au corps pour la nature et les animaux.   

Une boussole qui la guide à l’adolescence et l’éloigne des salons de l’orientation affichant une seule question : « quelles sont les filières qui recrutent ? ». Lamya, elle, se demande plutôt : « qu’est-ce qui m’émeut ? comment me rendre utile ? » Elle refuse d’écouter « les sirènes d’une société qui formate les jeunes et leur fait croire qu’il n’y a qu’une voie possible ».

« En terminale, une de mes camarades de classe s’appelait Audrey Pinault. Un jour, ma prof d’anglais m’a lancé :  Ne vous leurrez pas, entre une Essemlali et une Pinault, un employeur choisira toujours Pinault.” J’ai utilisé ce sentiment d’injustice comme carburant, mais pour d’autres élèves ce type de propos peut être dévastateur. Ils sont durs. » 

Au Maroc, mon accent me trahissait. Et en France, c’était mon visage. J’ai dû composer avec

Enfant, Lamya a le sentiment de ne pas être à sa place, que ce soit en France ou au Maroc, le pays d’origine de sa mère où elle se rend tous les étés. « Je me sentais déracinée, explique-t-elle. Au Maroc, mon accent me trahissait. Et en France, c’était mon visage. J’ai dû composer avec et ça m’a ouverte sur d’autres choses. »

Une fois le Bac en poche, elle met le cap sur les États-Unis pour apprendre l’anglais pendant quelques mois. Elle étudie aussi le marketing, mais « créer des besoins, pousser à la consommation » ce n’est pas pour elle.

À 24 ans, elle se lance dans une prépa scientifique pour se mettre à niveau et décroche in fine un master en science de l’environnement. « Je me suis autorisée à sortir des sentiers battus car j’avais peur de passer à côté de ma vie. »

Octobre 2019, campagne de protection des tortues marines contre le braconnage à Mayotte. Accompagnée de bénévoles de Sea Shepherd et d’une association locale.

Prête à tout pour sauver l’océan

Pour l’activiste de 43 ans, le point de bascule sera une rencontre avec Paul Watson, le fondateur américain de Sea Shepherd. Elle le rejoint dès 2005 en répondant « oui » à la question qui détermine l’engagement des bénévoles : « Es-tu prête à risquer ta vie pour une baleine ? ». Et l’aventure commence.

En parallèle de ses études, elle part en mission en Antarctique contre le braconnage de baleines et prend la mesure de ce « oui » lorsqu’elle se retrouve face à un navire-usine japonais de 8 000 tonnes. Le paquebot fonce droit sur la vieille embarcation de l’ONG : « Paul Watson voulait qu’on lui bloque la route et nous étions prêts à affronter la collision, à risquer nos vies. Le navire japonais a viré de bord au dernier moment. »

« Si l’océan meurt, nous mourrons tous »

« Si l’océan meurt, nous mourrons tous », pose-t-elle pour justifier ces prises de risque. En 2006, elle crée son propre poste en fondant Sea Shepherd France, dont elle devient présidente. Une casquette qu’elle cumule avec celle de co-directrice de Sea Shepherd Global.

Aujourd’hui, Lamya interpelle les pouvoirs publics et sa voix porte. Fin octobre, elle est reçue par le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. Elle l’alerte sur les « méthodes de pêche industrielle autorisées en France qui exterminent des mammifères marins, dont les dauphins. Ces derniers sont plus de 10 000 à être tués par an, sur la façade atlantique ! »

Autre front : l’implantation des éoliennes en mer. Face au ministre, Lamya pointe le fait que « le choix des sites pour implanter des éoliennes en mer se fait selon des critères économique, technique et militaire mais celui de la biodiversité est totalement oublié. Au contraire, des dérogations sont prises pour permettre l’installation dans des lieux où vivent des espèces protégées. » Une voix forte et désormais incontournable.

Nora Kajjiou

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