« Un gars qui est né un 11 novembre, il y a 27 ans, qui aime jouer à FIFA, à Warzone et qui a grandi avec la télé. » Sobrement, William Keo se présente ainsi. Il n’a même pas encore soufflé sa trentième bougie que ce journaliste reporter d’images est représenté par Magnum, l’agence de photographie la plus prestigieuse au monde. Des zones de guerre aux grands ensembles franciliens, ses photographies racontent un monde et posent un regard singulier.

William Keo grandit dans la cité des Milles-Milles, à Aulnay-sous-Bois. C’est ici que ses parents ont posé leurs valises, après avoir fui la guerre civile au Cambodge. « Mes parents ont documenté leur exil à travers la photographie », raconte-t-il. Un héritage précieux qui lui a permis de comprendre le passé de sa famille.

C’est plus précisément à travers son papa, qui lui a légué cette passion qu’il commence la photographie. Des années plus tard, il emporte toujours l’appareil de son père avec lui, un Leica M6, même s’il utilise essentiellement son Canon EOS 5D. Dans un sourire, il raconte qu’au téléphone, son père a tendance à demander d’abord comment va son appareil photo, avant de prendre des nouvelles de son fils.

Dans son travail, William crée des environnements « Un bon photographe de guerre, c’est un photographe de société. » Il aspire à photographier les inégalités, les injustices telles qu’elles sont et leurs conséquences sociales, tout en « gardant conscience du procédé historique qui compose ces histoires ». 

Photographier les inégalités

En 2017, il entreprend des études de direction artistique au cours desquelles il est amené à effectuer un stage obligatoire. Ce stage, il l’effectue dans une ONG en tant qu’enquêteur humanitaire. « C’est un travail qui consiste à faire quasiment le même travail qu’un journaliste reporter d’images », ce qui lui permet de s’exercer. Une fois le stage clôturé, il se retrouve à effectuer ce même travail au sein de différentes ONG, mais dans le cadre d’un job étudiant, lui permettant de financer ses études.

Il travaille alors avec URDA, une agence de l’ONU au Liban agissant dans le cadre de la crise des réfugiés syriens. Il effectue également plusieurs correspondances au Bangladesh, en Turquie, et au Soudan pour différentes ONG avant de s’émanciper peu à peu et devenir indépendant.

Il y a un regard à changer sur la banlieue.

Il se concentre  alors sur des thématiques qui lui parlent et décide de se focaliser sur deux thèmes en particulier : la banlieue française et la Syrie. Choisir la banlieue comme source principale de travail n’est pas un choix évident pour William. En 2021, il arrive chez Magnum Photos. William est remarqué notamment grâce à ses travaux sur les manifestations antiracistes, les migrants et les portraits de famille.

C’est alors qu’il décide de s’investir sur la représentation des quartiers populaires et qu’il monte plusieurs projets comme Juvéniles, un projet qu’il effectue autour des jeunes de quartiers, They Come at Night, ou encore Offside. Dans l’objectif, toujours, de photographier les inégalités dont il est témoin.

Issu d’une culture où il doit se forger par le travail, il tente dans la première moitié de sa vingtaine d’exceller dans les projets qu’il met en place : « Quand tu viens d’un quartier, t’as ce truc-là qui fait que tu veux t’en sortir professionnellement et par la grande porte. Dans la culture cambodgienne, on existe seulement lorsqu’on a effectué une ascension sociale, ces deux états d’esprits m’ont forgé. »

Il tente longtemps de comprendre l’histoire de l’exil de ses parents. Il se questionne sur sa double nationalité et sa double culture, ses tenants et ses aboutissants. Il s’inspire de ses cultures pour son travail, et qui jusqu’ici, lui ont souvent permis d’être plus à l’aise.

La découverte du Moyen-Orient

Sorti du lycée, sa conscience politique s’éveille. L’engagement compte pour William qui cherche absolument à s’engager : « à ce moment-là, je me demande comment je peux agir, je me dis que l’écrit c’est pas fait pour moi, la télé non plus, et je suis pas (encore ndlr) très bon en photo ». Ayant un petit peu travaillé, il décide d’utiliser son argent pour voyager et s’envole en Jordanie. Il a découvert et exploré cette région du monde, dans le cadre de son travail pendant plusieurs années. Sur place, il y découvre l’histoire du pays, les « Arabes de 48 », ce qui éveille plus encore son intérêt pour la région.

Il effectue un reportage dans un camp de réfugiés syriens, dans l’Est de Beyrouth : Sabra et Chatila. « Je traîne beaucoup dans le Golfe, principalement en Irak et en Syrie, j’y retrouve en un sens ce que mes parents m’ont transmis culturellement ». 

Depuis 2016, il couvre différents sujets en lien avec la Syrie, à commencer par la crise des réfugiés syriens au Liban, il y croise même des rebelles du front Al-Nosra « c’était tendu » dit-il, sur un air presque détendu. Un air qui se retrouve parfois dans ses photos « on me dit souvent que mes photos sont posées ». Par la suite, William se rendra en Syrie, comme en 2019 lors de l’invasion turque, avant de faire de la Syrie son thème de prédilection. Il y documente le camp de réfugiés de Sabra et Chatila à travers ses rues, la culture et la boxe.

Pour la première fois en 2023, le photographe se rend en Palestine. Il va, pour le New York Times, dans le West bank et en Cisjordanie. Il y passe trois longues semaines, il raconte la difficulté du terrain : « évidemment que c’était très compliqué en tant que journaliste parce que personne n’a confiance et les narratifs sont forts ». S’il est aujourd’hui de retour en région parisienne, il compte vite y retourner.

Toujours plus de projets

À l’occasion de la coupe du monde des quartiers organisée en 2023, il effectue une série de photos au vélodrome d’Aulnay-sous-Bois, là où se déroule la CAN de la ville où il a grandi. Une discussion avec un habitant, lui inspire l’idée de son tout premier livre : « le portrait des deuxièmes et troisièmes générations d’immigrés en France ». À travers le football, sport mythique des quartiers populaires, William Keo traite alors les sujets de violences policières avérés, de l’histoire des banlieues et de la police en trois actes : OFFSIDE, aux éditions Four eyes.

William des mille-milles a déjà eu mille vies et c’est loin d’être terminé.

Diakoumba DIABY

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