Monique Collard a un moyen mémo-technique pour se souvenir de l’année où elle est arrivée à Croix du Sud : « l’année ou Claude François est mort ». C’était l’année 1978. Soit 10 ans après le début des travaux de construction des immeubles dont beaucoup sont encore debout aujourd’hui.

Celui dans lequel habite Monique depuis 43 ans fait 10 étages. Elle habite au 5e et raconte qu’en arrivant là, elle avait peur de mettre la tête par la fenêtre. Le vertige. C’est qu’elle a grandi plus proche de la terre, dans un petit village de la Marne, à une vingtaine de kilomètres de Reims. « Là-bas maintenant, ça construit beaucoup pour les gens qui travaillent à Reims toute la journée mais qui veulent vivre à la campagne ».  

Croix du Sud dans la peau

 Elle n’a pas tellement envie de retourner vivre à la campagne, ni même en centre-ville ou n’importe où qui ne soit pas Croix du Sud. « Je l’aime bien moi mon quartier ». En ce moment, il y a quelques opérations d’aménagement pas très loin de chez elle. L’immeuble juste en face du sien a été rénové « j’avoue que j’en suis jalouse un peu ». Monique trouve le bâtiment plus beau que celui où elle habite et rigole quand elle raconte pourquoi des grilles ont été installées devant l’entrée des immeubles « ils disent que c’est parce que c’est ‘semi-résidentiel’ ».

L’immeuble dont Monique est « un peu jalouse ».

A part ces travaux récents, le quartier n’a pas trop changé à ses yeux, oui il y avait peut-être un peu plus de commerces à une autre époque. Et une fête foraine. C’est ce qu’elle évoque quand on lui demande le meilleur souvenir qu’elle a de sa vie dans le quartier. Elle regrette que ça n’existe plus, que les gens ne célèbrent plus la fête des voisins aussi. Elle dit que « eux », « les communautés » ont plus d’évènements, sont plus solidaires que « nous ». « Quand j’en croise dans le quartier et qu’ils sont bien habillés, je leur demande, ‘vous allez où ?’ et ils me répondent ‘on va à un baptême’ ou alors ‘il y a eu un décès’ ». « Eux » ce sont les personnes d’origine étrangère qui habitent à Croix du Sud et que Monique a vu arriver dans le quartier au fil des années. Elle trouve que la solidarité n’existe qu’entre les communautés, pas forcément entre les habitants. Elle le regrette. « Mais bon, j’ai aussi plein de copines au quartier, on va chez Lidl ensemble, comme ça sur la route, on parle, on rigole, c’est plus sympa le trajet » confie Monique en souriant.

Si je pars, ce sera entre quatre planches

Le Lidl est à 15 minutes à pied, la presque septuagénaire y fait ses courses. Elle ne va en centre-ville que lorsqu’elle a quelque chose à y faire. Il suffit de se promener dans le quartier pour croiser bon nombre de retraités comme Monique. On parle souvent d’eux, ces « petits retraités » vivant dans les coins populaires périphériques aux villes plus ou moins grandes. Mais c’est moins souvent qu’on leur donne la parole. Ce qui compte le plus pour elle, c’est qu’on raconte son attachement à son quartier, et aussi rendre compte de quelque chose qu’elle ne voit pas : la tendresse qu’il y a dans ses yeux quand elle parle et ses mains qui tripotent son collier avec la gêne de ceux qui déclarent leur flamme pour la première fois. « Mes enfants veulent que je parte mais moi j’ai pas envie. C’est ici que je les ai élevés donc je suis attachée, si je pars, ce sera entre quatre planches » dit-elle en riant.

Elle y a élevé ses enfants, mais aussi ceux des autres. Monique a longtemps été garde d’enfants, elle a le regard qui s’allume quand elle raconte qu’un jour, son fils a retrouvé un garçon qu’elle avait gardé dans le temps « maintenant, il habite en Floride ». Monique n’a jamais quitté le pays, sa ville, rarement. Elle ne part pas en vacances, ses 900 euros de retraite ne lui permettent pas de le faire.

Une petite histoire qui fait la grande

Monique a la vie modeste que certains hommes et femmes politiques aiment citer pour prouver qu’ils connaissent bien le pays. Elle, elle n’en veut à personne et comprend un peu tout le monde. Les politiques, font « ce qu’ils peuvent ». Les jeunes, comme beaucoup, elles les trouvent plus violents qu’avant et aussi livrés à eux-mêmes dès le plus jeune âge mais « il n’y a pas grand-chose qui est fait pour eux dans le quartier ». La réputation de son coin l’agace « quand on dit qu’on vient de Croix-du-Sud, les gens nous cataloguent ». Pourtant, comme tous les habitants, elle paie le prix des difficultés du quartier, elle se rappelle des parents ne souhaitant pas lui confier leurs enfants en découvrant l’immeuble où elle habite ou des passages entre les immeubles qui ont été fermés pour faciliter le travail des forces de l’ordre mais qui privent les personnes âgées de chemins plus courts pour aller faire leurs courses. Elle n’a pas de problème à dire les choses ou à rappeler aux plus jeunes de son immeuble qu’elle est là depuis 43 ans et que donc « attention, respect ! ».

Le récit de Monique vaut autant qu’un chapitre d’histoire-géographie. Elle  fait partie de celles et ceux qui ont quitté les milieux ruraux pour s’installer dans les grands ensembles lorsqu’ils étaient encore symboles d’avenir et de modernité. Elle avoue avoir eu du mal à s’adapter mais maintenant tout va mieux. Elle ne craint plus la hauteur en regardant par la fenêtre, au contraire. Elle est contente de raconter que désormais, grâce aux démolitions, quand elle regarde par la fenêtre, elle voit l’arrêt de tram et le Quick. Et puis elle n’écoute plus Claude François, elle est passée à Maître Gims.

Latifa Oulkhouir

 

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