Comme le vainqueur du Tour de France, Ali Matelo a endossé un maillot jaune pour répondre à nos questions. Mais ce maillot-ci est celui de son cousin, gardien de but et international comorien, avec qu’il partage le même prénom. « A.L.I, celui qu’on aime ou qu’on haït », plaisante-t-il, en référence à la punchline de l’ancien groupe de rap, Lunatic.

Ce jeudi 17 août à Torcy en Seine-et-Marne, sous une chaleur de plomb, 25 jeunes, de 15 à 20 ans et leurs encadrants, reviennent d’Auschwitz, en Pologne, à environ 1 500 kilomètres de leur quartier d’origine. Ali les regarde exulter en retrouvant leur famille et leurs amis. L’initiative, nommée “77 à vélo”, en est à sa troisième édition.

L’ambition de cette épopée en bicyclette est de découvrir des sites de la seconde guerre mondiale en réunissant des jeunes de quartiers rivaux. Ce travail de mémoire permet également de penser la notion de conflit. « Une rixe en réalité, c’est une guerre entre quartiers, entre villes, je voulais travailler sur ce mot », détaille Ali Matelo.

Fédérer après le drame

C’est un conflit à l’issue dramatique qui a été le point de départ de ce projet. En 2021, à Saint-Thibault des Vignes (Seine-et-Marne), un jeune de 21 ans décède d’un coup de couteau. Ali Matelo occupe le poste de co-directeur de l’Office municipale de l’animation et de la cité de la ville rivale dont l’auteur des faits est originaire. Après le drame, il rend visite à la famille du défunt avec le maire de Torcy, Guillaume Le Lay-Felzine.

Ce jour-là est gravé dans sa mémoire. Il découvre la mère du jeune homme en sanglot et en proie à l’incompréhension. Son fils s’était interposé pour tenter d’interrompre une bagarre. « C’était choquant, le jeune sortait de chez lui. Peut-être pour un regard, on n’a jamais eu la genèse de l’altercation », raconte le maire. Ali Matelo poursuit : « Quand tu vois que ça enchaine décès sur décès, là, tu te dis qu’il faut faire quelque chose. »

Une adolescence marquée

Ces conflits violents que connaissent ces adolescents, Ali les imagine bien. Sans s’étaler, il avoue auparavant avoir participé à des bagarres. Originaire de Lognes (Seine-et-Marne), il devine les rivalités que traverse son territoire, mais regrette le rôle des ainés de l’époque. « Jamais, je n’ai vu un adulte me dire c’est pas bien, au contraire, c’était plutôt : vous vous laissez faire ? Vous n’avez pas honte ? »

Au cours de ses années de collège, d’autres adultes auront un impact sur sa vie comme ses professeurs et son éducateur. « Je suis entré en sixième, j’ai pas fait de maternelle, ni de primaire. J’avais un temps de retard sur tout, mais Dieu merci. On m’a aidé. » Après un Bac ES et un BTS dans la vente, il quitte ce secteur pour s’engager dans le social, et entame en parallèle une activité d’entraineur de football. Une discipline qu’il n’a pas souhaité proposer pour apaiser les jeunes : « J’ai entrainé et j’ai vu des bagarres partir d’un regard, donc je me suis dit, pas de foot ! »

Créer du lien dans l’épreuve

« Je suis tombé sur le vélo par hasard, j’ai pensé à une montée où un jeune serait en train de souffrir et au moment où il aurait besoin d’aide. » Devenu responsable associatif, il sait alors que la priorité pour développer de cette idée reste son financement. Il obtient alors l’appui de la préfecture de Seine-et-Marne. « Le décès a eu lieu en mars et un mois plus tard, j’ai décidé de monter la première édition pour partir en août. Tout le monde m’a pris pour un fou. »

Il réunit les villes avoisinantes touchées par ces drames. La municipalité de Saint-Thibaut répond présente, tout comme celle de Noisiel qui mettra des agents à disposition pour encadrer cette sortie. Il finit même par réunir deux autres villes du secteur de Marne-la-Vallée. Dans le même temps, il contacte des structures associatives présentes sur le territoire pour motiver des jeunes à rejoindre l’aventure. Une vingtaine de jeunes se soumettent alors à une préparation physique assurée par une association, ainsi qu’à un stage de prévention au risque de la route, assurée par le commissariat de Noisiel.

Je veux qu’ils s’imaginent ce qu’est une vraie guerre, au-delà de nos quartiers

Son action va bien sûr au-delà d’une activité de cyclisme. « Je veux qu’ils s’imaginent ce qu’est une vraie guerre, au-delà de nos quartiers. » Sur les plages du débarquement de Normandie, lors de première édition en 2021, son groupe a pu se mettre dans la peau d’un jeune soldat enrôlé dans l’armée américaine.

L’enjeu est aussi que ces jeunes puissent se réapproprier des moments de l’histoire de France. En 2022, sur les plages de Rayol-Canadel-sur-mer, lieu de la seconde édition, ils ont travaillé sur le débarquement de Provence qui concerne le gros du contingent venu d’Afrique. Un événement qui a engagé quelque 30 000 soldats issus des anciennes colonies françaises.

Une histoire de transmission

Auschwitz-Birkenau est le plus grand camp de concentration du 3ᵉ Reich. Un symbole de l’extermination de masse des personnes juives qui ont représenté 90 % des victimes, les autres étant des Tziganes ou des opposants. Un voyage forcément marquant pour les jeunes du 77.

Au retour de Pologne, ils ont traversé deux pays. Au fil des jours et des distances parcourues, des amitiés se sont forgées. « Quand on pédale ensemble sur une montée, il y a plus d’histoires de quartiers, de ville », confirme Yatera, un jeune participant. Sur la ligne d’arrivée, ils finissent par ravir leurs parents venus les accueillir. « Faire pleurer de joie les parents et pour moi, c’est le meilleur des remerciements. »

En reprise d’étude depuis la conception ce projet, le prochain défi d’Ali Matelo est de réussir son mémoire de fin d’études dans son master en politique publique à l’Université de Villetaneuse. Ils souhaitent remonter sur les causes politiques et sociales des rixes. « Ce sont ces jeunes qui me poussent à étudier, à aller plus loin. » Un engagement vis-à-vis de la jeunesse des quartiers populaires, qu’il n’est donc pas près d’arrêter.

Nadhuir Mohamady 

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