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Nous sommes au milieu de l’après-midi lorsqu’on arrive dans ce (tout) petit café parisien. « J’aurais sûrement du retard. Je suis désolé, un rendez-vous qui a débordé », s’affiche sur notre smartphone. Cinq minutes plus tard, l’homme de 36 ans débarque en marche rapide, casquette sur la tête, sac noir sur le dos. Ce responsable marketing a créé, en parallèle, une agence de communication pour accompagner des sportifs dans leur image. Mais ces activités ne sont pas à l’origine de notre rencontre du jour. Nous sommes là pour la sortie de son premier livre Des fois, j’écris des trucs aux éditions Face cachées.

Un recueil de poèmes qui racontent l’amour, la famille, la foi. Mais aussi, les souvenirs d’enfance au quartier. Le tout, agrémenté d’une bonne dose d’autodérision. « Ce recueil-là, c’est un geste de désinvolture de la main. Je crois que la poésie, c’est ça à la base, ça peut être un jet de colère, de tristesse, de joie », définit l’auteur

Un esthétisme bien ficelé

Pensée à la manière d’un livre-objet, la première de couverture laisse plutôt présager une feuille de brouillon. Imaginez, des dessins inachevés, des flèches allant dans tous les sens, des mots, des bribes d’idées écrites au crayon de papier. « L’idée, c’était de représenter un carnet de notes. Le titre, lui, est auto-porteur. » En termes de couleur, le noir et le blanc se relaye en toute simplicité. Tout comme la personnalité de son auteur, Wad’z.

Son nom d’artiste est un diminutif de son prénom. « Tout le monde m’appelait comme ça, de mes amis à mes cousins. » Une identité qu’il souhaite préserver volontairement du grand public. « Je suis pudique sur ma vie privée, dit-il après s’être perdu quelques secondes dans ses pensées. Je donne ce que j’ai à donner, mais ce qui va me toucher ou me concerne dans le quotidien, je ne le montre pas. Ou bien, je vais en rire », se dépeint-il.

« J’ai grandi au milieu de mes cousins et cousines, dans une espèce de meute. »

Né dans la maternité du quartier du Beffroi à Tours, à 200 mètres de chez lui, Wad’z est élevé par ses oncles et ses tantes, loin du schéma familial classique. « Je ne connais pas le noyau papa-maman, etc. J’ai grandi au milieu de mes cousins et cousines, dans une espèce de meute », se rappelle-t-il. Une enfance « haute en couleur » dont il garde de joyeux souvenirs. « Une vingtaine de personnes dans un F5 avec des enfants qui ont tous leur mère ou leur père pas trop loin. T’imagines le truc ? », raconte-t-il, sourire aux lèvres.

Il y a même un phrasé qui est très à nous, dans ma façon d’écrire, je garde cet ADN

« On a grandi avec beaucoup de bienveillance, mais aussi avec beaucoup d’humour qui n’est pas perçu et maîtrisé par tout le monde », se souvient Clément, l’un de ses amis d’enfance. Son quartier, Wad’z en garde une forte attache. Au point d’en devenir une source d’inspiration. « Les mecs de chez moi, on a un humour basé sur des références à la chanson française, aux comédies des années 80. Ce qui est assez singulier par rapport à une cité. Il y a même un phrasé qui est très à nous. Dans ma façon d’écrire, je garde cet ADN. »

L’humour comme maître-mot

Car oui, l’humour a toujours été omniprésent dans sa vie. « Il ne se prend pas la tête. Il est toujours prêt pour rigoler, sortir… C’est un kiffeur », garantit Faouzi, au moment de décrire son cousin éloigné. « J’ai toujours été très observateur. Quand j’étais jeune, je n’étais pas un féru d’écriture, j’étais un féru de vannes », confirme le principal concerné.

On a vécu des épreuves que l’on a toujours enrobées de beaucoup d’humour

Une autodérision ressentie au quartier comme à la maison. « Dans la famille, chacun avait un surnom généralement lié à un handicap physique. Moi, c’était larwa [bigleux en arabe] parce que j’ai des lunettes », se remémore Wad’z. Un humour symbolique de l’ambiance familiale, qui cachait en réalité une certaine pudeur. « On a vécu des épreuves que l’on a toujours enrobées de beaucoup d’humour. Et puis, il y a des choses dans notre culture que l’on ne se dit pas forcément. Dire à un membre de sa famille qu’on l’aime, ce n’était pas un truc qui est systématique. » 

À l’école, Wad’z est un élève avec des facilités. « On misait sur moi. Je n’ai pas trop eu le choix, il fallait que je ramène un joli diplôme », se rappelle-t-il. Après un bac ES, il s’engage dans des études de droit. « Profil capacité inexploité. » De quoi lui provoquer beaucoup d’ennuis. « Pour compenser et combler cet ennui, j’ai toujours fait des trucs à côté. » Wad’z se retrouve ainsi à écrire des web série, des court et même des longs métrages.

Son goût pour l’écriture débute en réalité à ses 22-23 ans, durant une période familiale compliquée. « Ça a été un tout petit exutoire, reconnaît l’auteur. Des fois, ça va être des choses que je vais ressentir, des pensées qui vont me traverser l’esprit. J’écris direct, sur “note”, ou je griffonne sur un bout de papier. »

Poète d’Instagram

Autour de ses 25 ans, Wad’z s’installe à Paris et entame un nouveau job. « Il fallait que j’enlève mon prénom sur les réseaux sociaux ». Pour son compte Instagram, il utilise alors le pseudo @koul bel khobz [mange avec du pain (pour te caler) en arabe]. Un choix loin d’être anodin. « C’est une phrase qu’utilisent nos mères, nos tantes pendant le repas. Il y a à la fois une espèce de bienveillance maternelle, et à la fois un pragmatisme », explique l’auteur.

J’avais peur de m’afficher. La ”poésie”, c’est un truc encore peu vu, et peu fait dans les quartiers

Sur ce compte, initialement public, Wad’z publie régulièrement des mots, des phrases. Le tout, sur un fond noir ou blanc. Une mise en forme minimaliste. Quand les “followers” commencent à affluer, Wad’z supprime toutes ses anciennes photos, et bascule définitivement dans l’anonymat. « J’avais peur de m’afficher. La ”poésie”, c’est un truc encore peu vu, et peu fait dans les quartiers. Dans mon for intérieur, c’était une sorte de pensée limitante que je m’étais mise, qui vient de comment j’ai été élevé, et de là où j’ai grandi. »

Ses amis d’enfance, eux, l’ont toujours poussé dans sa passion pour les mots. « Au début, ils m’ont un peu pris pour un fou. T’es là, tout va bien dans ta vie. Et d’un coup, tu lâches des phrases noires sur un fond blanc sur Instagram, s’amuse-t-il. Qu’est-ce que t’as ? Viens, on discute, fume une clope ! Mais avec le temps, ils se sont habitués en voyant l’adhésion. » Pour son entourage proche, « c’est plus une fierté de voir quelqu’un faire des choses différentes ».

Parmi ses références, Wad’z évoque Rachid Djaïdani. « C’est le premier vrai mec de quartier à avoir sorti un roman. » Il se souvient particulièrement de “Boumkoeur” (Ed. Seuil, 1999), le premier livre Rachid Djaïdani. « Moi, j’étais gosse, et c’est un truc qui m’a marqué. Ma tante avait acheté ce bouquin ; c’est un rebeu comme nous, il écrit un livre, tu vois ce que je veux dire ? » 

Autre référence indispensable pour Wad’z, Faïza Guène. « Ce sont des gens qui ont, à un moment donné, défoncé des portes. » Pour lui, aucune volonté de continuer ce travail, à travers sa démarche. « Ça serait prétentieux de ma part. Moi, je démarre. Eux, ce sont des gens qui ont fait des vraies vraies choses. »

« Je ne sais pas si j’ai créé un style, mais j’ai mon style »

Après plusieurs années de vie en région parisienne, Wad’z fait la rencontre de l’équipe de Faces Cachées. « Sans ce très bon feeling avec Bakary Sako, Ouafae Mameche et Florence Lequillé, je n’aurais rien fait. » Arrivé avec un projet de roman, il se retrouve à faire un recueil.

Mais Wad’z met du temps à se lancer et son entourage redouble d’effort pour le convaincre. « Ils me poussaient à faire ce livre. Mais moi, je restais caché derrière ce truc nonchalant, je m’en foustiste. J’avais un peu honte, une espèce de pudeur, lié aussi à mon éducation et à l’endroit où j’ai grandi. » Après tout, « Instagram lui allait bien ».

Après quelques hésitations, la machine est lancée et l’idée de produire un livre prend vie, avec de la nouveauté. « Sur l’ADN, certains me connaissaient déjà : l’argot, des écrits lourds allégés par de l’humour, le rythme aussi. Je ne sais pas si j’ai créé un style, mais j’ai mon style », développe Wad’z.

Se réapproprier les codes de la littérature

Chaque poème est conclu par un hashtag. Un clin d’œil direct à l’endroit où tout a commencé. « J’ai toujours mis un truc décalé ou un jeu de mot. C’est un peu un jeu de réponse. Soit le texte vient clôturer le hashtag, soit le hashtag ouvre un moment de texte pur », indique Wad’z. À peine le temps de terminer sa phrase que l’auteur de 36 ans se reprend. « Comment je parle trop comme un mec qui écrit des livres. Wallah c’est relou frère ».

Avec “Des fois, j’écris des trucs”, Wad’z s’est permis un tout autre kiffe, les notes de bas de page. « Je commençais à traduire l’argot en arabe et je me suis dit “mais en fait, c’est relou les traductions classiques” ». Il en profite alors pour alimenter ces classiques de la littérature par des anecdotes personnelles ou des références à l’actualité, toujours teintées d’humour.

Un hommage à sa culture arabo-musulmane

Qui dit poèmes dit figures de style. Des techniques utilisées pour embellir, renforcer ou donner plus d’expressivité à un texte. Dans le recueil, c’est l’oxymore qui prédomine les pages. Le but, rapprocher deux idées aux sens opposés. Toute une symbolique pour l’auteur. « Dans le livre, j’ai donné la définition de l’oxymore par mes parents. Je suis un paradoxe, une espèce de métisse social. »

J’ai grandi dans la roublardise, le pragmatisme, l’intelligence de la rue

Du côté de sa mère, la priorité est donnée aux études. « Tout le monde est très posé. On ne veut pas faire de bruit, pas de bêtises », décrit Wad’z. Du côté de son père, tout l’inverse. « C’est un bordel. Sept frères, dont cinq ont été des galères », ajoute-t-il. Une excentricité dont il aurait bénéficié durant sa jeunesse. « J’ai aussi grandi dans la roublardise, le pragmatisme, l’intelligence de la rue. Ça vient de mon père d’être vif, d’avoir toujours l’œil ouvert, de ne pas être un pigeon », assure-t-il, persuadé.

Ses parents, tous les deux Algériens, ont grandi en France. « On y bougeait peu, car ma grand-mère avait l’Alzheimer. Mais quand on pouvait, on y allait », se remémore Wad’z. Part intégrante de son identité, il décide de rendre hommage à la transmission de sa culture arabo-musulmane par le biais de son recueil. Au fur et à mesure des poèmes, l’argot arabe et le français s’alternent. « Symboliquement, ça me fait kiffer. C’est casser les codes, mais pas volontairement », justifie naturellement l’auteur de 36 ans.

Écrire sans s’autocensurer

À travers ses mots, Wad’z n’hésite pas à prendre position, reflet des valeurs qu’il défend. « Je ne sais pas faire autrement, je ne vais pas aller m’inventer une vie. » À l’exemple du génocide en cours en Palestine. « Au moment où j’étais dans le cœur de l’écriture du livre, les bombardements à répétition ont démarré. Ce qui se passe à Gaza, ouais ça me touche et ça se ressent dans le recueil ».

Son positionnement religieux, lui aussi, est entièrement assumé. Éduqué dans la religion musulmane, Wad’z n’hésite pas à y faire référence à plusieurs reprises dans son ouvrage. Sans crainte, ni censure. « En réalité, le thème de la croyance est universel. Après, que ça puisse être regardé d’un œil suspicieux, j’en rigole, même dans le livre. Je parle des fichés S, j’ai une liberté de ton là-dessus, sans me prendre trop au sérieux. » 

Mes potes autour de moi, ce n’est pas tout leur truc, et ils ont poussé le projet à fond. Ça, ça m’a touché

À la sortie de son livre, la fierté des siens se fait ressentir. « Du côté de mes parents, on choisit bien nos mots pour ne pas trop en dire. J’ai un pote qui a menacé des gens dans une chicha et qui les a “forcés” à précommander le livre, par deux, trois. Mes potes autour de moi, ce n’est pas tout leur truc, et ils ont poussé le projet à fond. Ça, ça m’a touché. » 

Une preuve qu’il a visé juste. « C’est beau si on se retrouve avec des personnes qui lisent le même livre à la chicha et à Saint-Germain-des-Près. Moi, je pose ça là. Celui qui aime bien, il aime bien. Qu’ils viennent de Clichy la Garenne ou de Saint-Germain-des-Près, c’est pareil. »

Coralie Chovino

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