Dans cet espace à taille humaine du centre de création queer et LGBTQIA+ de Saint-Denis, on se sent en sécurité, safe. Une charte du bon comportement donne le ton dès l’entrée. Le consentement, la communication non-violente, l’écoute et la confidentialité sont les premières invitées à l’événement. Des bénévoles de Gabr.iel.les, reconnaissables grâce à un ruban rose, font de la médiation en cas de conflit. Un environnement chaleureux qui nous ferait presque oublier le froid mordant de ce 2 décembre.

La fondatrice de Gabr.iel.le, Marie Adèle Elebe rappelle haut et fort : « Faites vos choix de contraception en connaissance de cause ! » Sur la petite scène où se produiront plus tard dragqueens et DJs, elle explique qu’AIDES propose à toutes les personnes présentes de dessiner leur plus belle capote imaginaire. Différents lots sont à gagner, dont un bon d’achat de 80 euros chez Sexodrome ! Le premier stand arbore des slips chauffants et des anneaux contraceptifs. Les membres du collectif ZéroMillions racontent leur expérience d’hommes contraceptés. Rapidement, on comprend qu’ici, on discute de façon très décomplexée de vie intime et sexuelle.

Parler (enfin) de sexualité

Le 2 mars dernier, Sidaction, le Planning familial et SOS homophobie ont saisi le tribunal administratif de Paris pour demander le respect de l’obligation à l’éducation à la vie affective et sexuelle en milieu scolaire. « La loi prévoit 3 séances de 2 heures par an du CP à la terminale. Aujourd’hui, seul 20 % des collégien.nes et 15 % des lycéen.nes ont accès à ces cours. L’enseignement est hétéronormé. À ce stade, on peut parler de mise en danger de la vie d’autrui », explique Karim Bettayeb, responsable du pôle plaidoyer de Gabr.iel.les.

Dans ce contexte, la création de l’association répond en fait à un enjeu de santé publique. De nombreux.se.s jeunes, notamment de la communauté LGBTQIA+, peinent à trouver des réponses quand il est question d’infections sexuellement transmissibles ou de contraception.

Il faut arrêter de penser que ce sont uniquement les personnes menstruées qui doivent prendre la charge contraceptive

Et, faute de traiter la question, cette responsabilité revient aux populations les plus précaires. Les personnes LGBTQIA+ et, plus globalement, les femmes s’y intéressent, car elles sont les premières à être affectées. « J’ai des copines hétéro qui me disent que leur mec ne s’est pas fait dépister depuis 3 ans. Il faut arrêter de penser que ce sont seulement les personnes menstruées qui doivent prendre la charge contraceptive. C’est un sujet qui concerne tout le monde, y compris les hommes cis », appuie Marie Adèle Elebe.

Son association, qui compte désormais plus de trente personnes, tente ainsi de viser un public le plus intersectionnel possible en démystifiant l’accès à l’information et aux soins. Iels informent sur les méthodes de protection des MST/IST les plus méconnues du grand public comme la digue dentaire utilisée pour le sexe oral.

Vaincre la peur

À droite de la scène, du thé vert, des crêpes et des affiches exposant le slogan phare de ce rassemblement : « 3×95 % de raisons d’être solidaires ». Il s’agit en fait de l’objectif français d’ici à 2030 : 95 % de l’ensemble des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique, 95 % des personnes qui connaissent leur séropositivité au VIH ont accès au traitement et 95 % des personnes sous traitement ont une charge virale normale. Car s’il est important de rendre hommage à celle et ceux qui ont succombé à la maladie, les associations et collectifs présent.es souhaitent avant tout célébrer celle et ceux qui vivent avec.

Sam Contos, la vingtaine, bénévole pour AIDES, l’explique. « Notre génération a peur du VIH, car elle dispose de très peu de connaissances autour de cette maladie. On vit très bien aujourd’hui avec le Sida. Il existe un traitement médicamenteux ou des injections qui permettent de réduire la charge virale des personnes séropositives, ça s’appelle le TASP. Quand on se soigne, il n’y a désormais aucun risque de transmettre le virus ! » Et pour celle et ceux qui veulent prévenir la contraction du VIH en cas d’exposition, il y a la PREP.

Je suis séropositif, queer et racisé. La plupart des gens pensent que je fais des partouzes tous les week-ends

En 2023, en plus de lutter contre la maladie et ses effets physiologiques, il est question de militer contre la sérophobie. Les personnes séropositives, victimes de nombreux préjugés, sont surexposées aux jugements et à la violence. « Je suis séropositif, queer et racisé. La plupart des gens pensent que j’ai une sexualité hyper débridée, que je fais des partouzes tous les week-ends. Les discriminations existent tous les jours, dans les relations affectives et sexuelles, mais aussi au travail, avec la famille et les amis. Pour éviter la violence, la question de le dire ou pas se pose tout le temps », témoigne Walid (le prénom a été modifié). En réponse à ce problème, AIDES propose une permanence chaque semaine dans son local à Saint-Denis sur divers sujets dont la « disance », soit quand et comment annoncer sa séropositivité à ses proches.

Des vies sexuelles épanouies

Fêter la santé sexuelle, c’est en fait s’intéresser au bien-être affectif. Marie Adèle Elebe revendique le droit à l’épanouissement. « On essaye aussi de sensibiliser sur les conditions à mettre en place pour se sentir bien dans sa vie sexuelle. La santé mentale occupe une place très importante. Il est essentiel d’apprendre à se sentir bien et raccord avec ce qu’on veut pour s’épanouir », plaide-t-elle. Les collectifs et associations présentes mettent ainsi un point d’honneur sur l’accompagnement. Elles sont ici pour aiguiller quiconque le souhaite, pour donner des conseils, mais jamais pour promouvoir une solution plutôt qu’une autre.

Chacun.e a son schéma de vie, son identité. Il faut construire sa santé sexuelle autour de sa propre intersectionnalité 

Entre un son de Meryl et de Aya, la créatrice de Gabr.iel.les continue en rappelant à tous.tes qu’il n’y a pas une santé sexuelle, mais des santés sexuelles. « Chacun.e a son schéma de vie, son identité. Le corps est porteur de marqueurs sociaux, de différents stigmates, qu’ils soient raciaux, de genre et j’en passe. Il faut construire sa santé sexuelle autour de sa propre intersectionnalité, de son expérience de vie relationnelle. »

Chez Gabr.iel.le, on ne cherche pas à promouvoir une gestion singulière de sa vie sexuelle, chacun.e doit être maitre.sse de ses choix. Les ateliers sur les injections hormonales proposés par les Fronts Transmasc et Transfem sont d’ailleurs aussi là pour le rappeler.

Repenser le sexe, mais aussi l’amour, nos relations aux autres et à soi-même et tout ce qui pourrait avoir un impact sur l’intimité sont tant de thématiques abordées au 6b. Les différent.e.s intervenant.es en discutent chacun.e à sa façon, souvent avec beaucoup de créativité ! À côté d’un stand de nail art par Clapclap Nails Club et une vente de boucles d’oreilles engagées par Do You Ear Me, des bénévoles de Gabr.iel.les font de la « capotologie ». Elles distribuent à chacun.es sa capote attitrée en fonction de ses goûts et de son caractère… Donneuses de bonnes aventures ?

En tout cas, c’est ce qu’on leur souhaite, de bonnes aventures, au vu des projets à venir… Surtout quand on sait que le prochain événement devrait mêler art et thérapie.

Chiara Kahn

Photos Chloé Roulet

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