Bientôt 10 ans que Rudy Jonstomp s’est lancé dans l’entreprenariat. Vente d’accessoires sportifs d’arts martiaux et de sports de combat, puis création d’un portail communautaire sur les sports de combat. Originaire de Sevran, Rudy a connu nombre de difficultés pour décrocher un prêt… Interview.

Sorti de partiel, partiellement raté, pas le temps de manger et de demander aux autres si, tout comme moi, ils ont raté. Rendez-vous est pris à Saint-Lazare, à 12h30 avec Rudy Jonstomp, entrepreneur de 38 ans. Premières paroles échangées « Je ne veux pas que ton article soit misérabiliste ! » : le ton est donné, et tant mieux, ce n’est pas mon créneau journalistique. On prend place dans un troquet près des grands boulevards. On s’installe, et après avoir taillé la bavette sur notre département d’origine (Seine Saint Denis, est-il utile de le préciser ?), Rudy installe sa caméra pour pouvoir mettre mon interview sur son site.

Quels sont les projets dans lesquels vous vous êtes lancé ?

Rudy Jonstomp : J’ai commencé à me lancer dans l’entreprenariat avec ma marque d’accessoires sportifs en 2004 : Jon Stomp Equipement. A l’origine, c’était plutôt un projet « à la cool », que j’ai lancé avec mon frère. Puis en 2008, avec l’arrivée d’investisseurs, on s’est professionnalisé. Ensuite mon deuxième projet, qui va de pair avec le premier, a débuté en 2011. C’est un portail communautaire sur les sports de combat, qui se nomme « Martial Spirit » et qui compte déjà 11 000 abonnés. Martial Spirit est la première chaîne média sur les arts martiaux et sports de combat. D’ailleurs notre site est un prolongement du net avec des reportages, des interviews, des diffusions de matchs… Et nous nous rendons dans toutes les salles de sport pour faire en sorte que les gens connaissent et aillent y jeter un coup d’œil… Ça ne coute rien à personne.

Comment avez-vous eu l’idée de vous lancer dans l’entreprenariat ?

Pour moi, entreprenariat ne rime pas avec inaccessibilité, vous voyez ? Déjà à 16 ans, je vendais les choses que je récupérais dans mon quartier sur le marché de Sevran (Rires). A l’origine, Jon Stomp Equipement devait être une marque de vêtements. Mais à l’époque, c’était un marché déjà saturé. Alors avec mon frère, on a décidé de se spécialiser dans les accessoires de sports. On s’est principalement axés sur les arts martiaux et sur les sports de combat.  Quant à Martial Spirit, on a créé ce site car il n’y a que très peu de médias qui s’intéressent aux sports de combat et qui en font leur promo. Alors on a démarré comme ça, en s’en servant comme d’un outil de communication pour notre marque d’accessoires. Et puis on a eu de bons retours et on a reçu le prix de entreprenariat du Val-d’Oise. Ce qui a fait que nous avons attiré un fond d’investissement que je ne citerai pas car ils ont lâché le projet peu de temps après. Alors nous avons eu l’idée de nous lancer dans la levée de fonds participative.

 Qu’est-ce que la levée de fonds participative ?

En fait, la levée de fonds participative c’est l’idée de devenir actionnaire de notre site, et non pas donneur. C’est donc un investissement de particuliers. Nous y sommes rentrés grâce au plus grand organisme de levée de fonds participative en France : Wiseed. Le site n’accepte que 5% des dossiers qui leur sont proposés. C’est une sorte de gage de valeur de notre entreprise si on a été choisi.

Quels ont été vos principaux partenaires financiers lorsque vous avez débuté ?

 Nous avons été aidés à hauteur de 10 000 euros par l’organisme « Initiative 93 » afin de tenter de trouver un prêt dans une banque. Vincent Parisi, champion du monde de Jiu Jitsu et présentateur de l’UFC (Ultimate Fighting championship), a aussi contribué au projet en investissant. Enfin, Charles Biétry, directeur de BeIN Sport, s’est aussi mis dans le projet.

 Justement, avez-vous attendu quoi que ce soit du fameux « fond d’investissement » des qataris dans les banlieues françaises ?

Pour moi, ce n’était qu’un effet d’annonce, on s’invente des fonds d’investissements venus d’ailleurs pour rassurer l’économie du pays. Ce qui est dommage est que, justement, en France, on ne regarde que vers l’extérieur alors qu’on a des valeurs sûres au sein de notre territoire. Le problème est que l’entreprenariat semble peu valorisé en France, il suffit de regarder le nombre de banques que j’ai visité dans le 93 pour enfin obtenir un prêt ! J’ai dû en visiter 100. Bientôt je connaîtrai mieux les conseillers financiers de Seine-Saint-Denis que mes propres potes (Rires). Nous rencontrons de grandes difficultés pour obtenir un prêt, surtout quand on vient de banlieues.

Vous avez vraiment ressenti cette stigmatisation vis-à-vis de la banlieue lors de vos démarches ?

 Oui, surtout que je viens du bâtiment bleu à Sevran, à côté de la cité des Beaudottes, possédant une réputation, pour le moins, sulfureuse. C’est d’ailleurs là où se situe notre siège social aujourd’hui et là où l’on produit toutes nos marchandises. L’exemple le plus marquant de discrimination que j’ai vécu, c’était dans une banque, je tombe face à un petit conseiller parisien avec ses idées bien arrêtées. Il me dit que mon projet est bien pensé, que sa fille fait du judo et que donc il est personnellement concerné par le projet. Mais il m’annonce qu’il ne va pas financer le projet… Les raisons ? « On ne peut pas financer ce projet car les sports de combat… Enfin voilà quoi, ça fait banlieue… De toute façon, vous venez de Sevran… c’est une place connue pour la violence et pour les trafics alors vous n’allez pas me dire que vous ne connaissez pas des personnes qui ont de l’argent à placer ?!… » De quel droit ce monsieur me renvoie à cette image discriminatoire de la banlieue ? Depuis que je suis petit, j’évite ce genre de plans et ce conseiller, que je ne connais pas, se permet d’émettre un jugement sur moi, d’après ma couleur de peau et le quartier où j’ai vécu !

 Vous nous dites qu’en France, vous n’êtes pas encouragé à investir… Avez-vous déjà pensé à la délocalisation ?

 La plupart de mes amis entrepreneurs ont délocalisé. Mais je veux tenter de servir d’exemple en prouvant qu’on peut réussir en entreprenant en France. Tant qu’on a le contrôle de l’entreprise sur Sevran, on ne bougera pas , ça a un côté symbolique.

La levée de fonds participative est un mode de financement ambitieux et prometteur. C’est pourquoi nous pouvons apporter notre soutien à la marque de Rudy sur le site, www.martial-spirit.com, ou encore participer à l’aventure qu’ont entamée les Martial en investissant ici : www.investirmartialspirit.com !

Tom Lanneau

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