Jeûner ou animer, il faut choisir. Les langues se délient après la polémique suscitée par l’affaire de la mairie de Gennevilliers et il faut croire que les quatre animateurs de cette ville sont loin d’avoir été les seuls confrontés à ce dilemme.

Belkacem a été contraint au même choix lorsqu’il débute sa colonie de vacances à Cherves-Richemont dans le sud-ouest de la France : «C’est moi qui ai prévenu ma direction que j’allais faire le ramadan. Je voulais savoir comment ça allait se passer et anticiper avec elle » explique Belkacem.

Embauché par l’association « Echanges et découvertes » tout avait bien commencé pour le jeune animateur, jusqu’à cette confidence. La colonie qui débutait le 9 juillet et s’est achevée le 27 juillet dernier, devait partager le calendrier avec quelques journées de ramadan : « Le soir même j’ai été convoqué par ma directrice et le coordinateur qui m’ont clairement fait comprendre que le ramadan n’était pas compatible avec l’animation en centre de vacances. Ils m’ont demandé s’il n’était pas possible que je rattrape mes journées de ramadan plus tard, ce que j’ai refusé au départ. On a essayé de trouver un compromis. Ils étaient persuadés que jeûner met en danger les enfants. Je leur ai expliqué que jamais je ne risquerai de mettre en péril leur sécurité. Je me suis engagé, dès le premier jour, à  arrêter le ramadan si je ne me sentais pas bien, quitte à le rattraper plus tard». La promesse ne rassure pas le coordinateur: «Il m’explique que si je fais un jour de ramadan j’aurai déjà mis en péril les enfants ».

Le lendemain matin, Belkacem est réveillé par une collègue et convoqué de nouveau par la directrice et le coordinateur. On lui dit qu’il ne peut plus rester : « On m’a demandé de ramasser mes affaires et on m’explique que c’est le dernier jour de ma période d’essai et que je ne suis pas gardé. Le coordinateur m’accompagne à la gare me paye un billet et me dit au revoir. Je n’ai même pas eu le temps de dire au revoir à mes collègues, de leur expliquer ce qu’il se passait, mais ce qui m’attriste le plus, c’est surtout que je n’ai même pas pu dire au revoir aux enfants ».

Pour Amély Suzanne directrice de la colonie cette décision est tout à  fait légitime : «Ce n’est pas moi qui ai pris la décision mais tout le monde sait qu’il fallait manger, prendre soin de soi-même pour pouvoir prendre soin des autres. Moi, la seule chose qui m’importe c’est de me donner à 100% pour les enfants. Je me dois d’assurer leur sécurité physique et morale, c’est mon rôle. Alors c’est vrai que Belkacem était un bon animateur. Tout ce que je retiens de lui c’est que ça s’est très bien passé. Mais pratiquement tous les animateurs rattrapent leurs jours après la colonie. Moi aussi je rattrape mes jours de ramadan après la fin du séjour.»

Etant encore en période d’essai, Belkacem pense qu’il lui sera difficile de se défendre jugeant que l’entreprise est dans son bon droit. « Une période d’essai, c’est un peu comme des fiançailles. Avant le mariage, on peut quitter son partenaire beaucoup plus facilement » explique Maître Yanat. « En revanche ce qu’on ne peut pas faire, c’est bafouer des droits fondamentaux. La période d’essai est là pour tester les compétences professionnelles de l’employé, pas sa liberté de culte. Il est important de différencier le code d travail et les libertés fondamentales. Si on a des droits qui sont prévus par la constitution, le code du travail ne peut pas venir en contradiction. Il peut donc y avoir un recours si on prouve que la période d’essai a été rompue sans respecter les libertés fondamentales. L’employeur peut ainsi être sanctionné pour sa décision. »

Contacté par le bondyblog, le directeur de l’organisme dit ne pas être au courant de cette affaire, expliquant que parmi les 500 animateurs qu’ils emploient chaque été, «il arrive que la relation contractuelle avec certains collaborateurs se termine à l’issue de la période d’essai ».

Aucun motif de renvoi n’a été signifié par écrit à Belkacem, et depuis son retour, il n’a toujours pas eu de nouvelle de l’organisme : « Je leur ai demandé de m’envoyer des papiers que j’avais oublié de récupérer et notamment le double de mon contrat.  Pas de nouvelle. Je leur ai demandé si j’allais être payé pour les quelques jours effectués. Toujours pas de nouvelle».

Au bout de plusieurs mails sans réponse, Belkacem finit par prendre une décision radicale : il propose à sa directrice de garder ses indemnités de salaire, pour offrir des cadeaux aux enfants.

Widad Kefti

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