La nuit est encore noire et c’est au compte-goutte que des résidents sortent du foyer des Amandiers-Troënes (Paris, 20ᵉ) pour aller travailler. Une heure plus tard, le hall de ce foyer de travailleurs migrants connaît une affluence inhabituelle. Assis sur une chaise, Niabaly Djiby, raconte : « Les policiers sont venus hier, ils ont vidé notre studio, ils ont mis nos affaires dehors et ils ont changé la serrure ». Dépité, ce retraité de 79 ans explique qu’il a cherché à s’interposer et à leur parler, en vain.
Niabaly Djiby vit dans ce foyer depuis août 1983, c’est-à-dire depuis l’ouverture de la structure. Avant sa retraite, il a travaillé quinze ans à l’hôtel Hilton près de la tour Eiffel en tant que plongeur, mais a aussi effectué différents métiers ici et là. Une vie de labeur. Depuis plusieurs années, il héberge son fils, Aboubacar, qui le soutient dans le quotidien. Et c’est justement ce qui lui est reproché : « une occupation illicite », aux yeux du gestionnaire du foyer, Adef habitat*.
Ces derniers ont intenté une action en justice pour les expulser et ont obtenu gain de cause. « Ce mois-ci, ils ont envoyé un courrier pour nous avertir de l’expulsion. Pourtant, aujourd’hui, j’ai un rendez-vous avec le service social pour la prévention des expulsions », indique Aboubacar. À 33 ans, comme son père à l’époque, lui aussi travaille dans l’hôtellerie. Il était au travail quand l’expulsion a eu lieu. Avec son père, il tient à rappeler qu’il n’a jamais manqué de payer le loyer de ce petit studio qui s’élève à 441 euros et des poussières.
Des résidents solidaires et déterminés à faire cesser les expulsions
Leur situation a poussé les autres résidents du foyer à organiser une action, ce vendredi 27 septembre. Dans le hall du foyer des Amandiers, les délégués des résidents prennent la parole et exposent leurs griefs. « « Il y a eu quoi 10, 15 expulsions cette année ? Ils n’ont jamais consulté les délégués pour résoudre les problèmes. On a déjà fait des rassemblements, mais ils n’ont jamais écouté. Il n’y a pas de considération, ce n’est pas normal », peste M. Sy, un homme grand coiffé d’un bonnet. « Peut-être que c’est parce que nous sommes des immigrés que nous sommes moins considérés. En tout cas, si on ne fait rien, il y aura des expulsions pour tout le monde », prévient-il à l’adresse de ses camarades. Les résidents ont décidé de bloquer le foyer et d’empêcher l’accès aux employés du gestionnaire, ils réclament la réintégration de Niabaly Djiby et de son fils et de nouveaux contrats pour ceux qui ont déjà été expulsés. Des élus, des militants du quartier et d’ailleurs se sont joint au rassemblement
« Niabaly fait partie des premiers résidents du foyer. Quand je l’ai retrouvé hier, il pleurait ! Les autres résidents ont décidé de casser la serrure pour les reloger », indique Ladji Sakho, conseiller délégué au maire du 20ᵉ en charge des foyers de travailleurs. Lui s’interroge sur la logique de ces expulsions qui se multiplient.
Il faut comprendre que ce sont des gens isolés qui vivent souvent ici sans leur famille
« Les nouveaux arrivants logent, eux aussi, des gens de l’extérieur. Il n’y a pas assez de logements et ils mettent des gens dans la rue. Quel sens ça a ? Qu’on leur donne de vrais logements sociaux, appelle-t-il. Il faut comprendre que ce sont des gens isolés qui vivent souvent ici sans leur famille. » Face à cette situation, la mairie du 20ᵉ reste impuissante. Elle avait pourtant écrit au commissariat pour demander de ne pas procéder à l’expulsion, assure Ladji Sakho.
Niabaly Djiby n’est effectivement pas le seul à avoir subi une expulsion dans ce foyer. Sy Mamadou, 78 ans, a lui été expulsé il y a quatre mois alors qu’il était en voyage. « Je suis là depuis 1983, j’ai toujours payé mon loyer à temps, je ne leur dois rien », fait valoir ce retraité qui a travaillé des années pour Simca automobile et dans la restauration.
Dans les foyers, les expulsions se multiplient à la faveur des réhabilitations
Ces expulsions ne sont pas propres au foyer des Amandiers, elles se multiplient dans tous les foyers de travailleurs migrants. En mars dernier, un homme aveugle a été menacé d’expulsion pour avoir hébergé son petit frère dans un foyer Adoma. « Il y a énormément d’expulsions, en particulier dans les foyers gérés par Adoma. Il y a des foyers dans lesquels, c’est particulièrement choquant à Riquet (Paris, 19ᵉ), par exemple, il y a près de quarante procédures d’expulsion », pointe Olivier Akroum du Collectif Pour l’Avenir des Foyers (Copaf). Des expulsions qui ont souvent lieu à la faveur des rénovations de ces foyers.
« L’évolution des foyers à celle des résidences sociales s’est faite progressivement. Le plan de traitement des foyers a été lancé en 1997 et visait à rénover tous les foyers de travailleurs migrants avec un plan sur cinq ans », retrace Olivier Akroum. « Les réhabilitations qui ont eu lieu au début et celles qui ont lieu maintenant n’ont rien à voir les unes avec les autres. Au début, ils ont expérimenté des choses. Par exemple, au foyer Bachir Souni à Saint-Denis, les résidents ont participé à la rénovation. Il n’y avait pas vraiment de normes, mais au fil des années, ça s’est affiné avec des réhabilitations qui laissent de moins en moins d’espace collectif, notamment », expose Olivier Akroum.
Avant, les foyers étaient autogérés, et c’est important, car il est difficile pour les travailleurs immigrés de trouver un logement
Les règles se sont également rigidifiées. Alors que l’accueil de personnes tierces dans les logements a toujours été toléré, aujourd’hui, on assiste à des expulsions régulières. « Avant, les foyers étaient autogérés, et c’est important, car il est difficile pour les travailleurs immigrés de trouver un logement. Il n’y a pas de droit au logement pour eux, il ne reste que la famille », souligne Olivier Akroum.
Alors que le hall n’a pas désempli, des policiers accompagnés d’employés de l’Adef sont venus pour signifier aux résidents que leur action était illégale. « Ils refusent le dialogue et ils envoient des policiers après qu’un homme de 80 ans a été expulsé », reformule une habitante venue en soutien, comme si le réel lui échappait. Mais malgré la menace d’une intervention policière, les résidents du foyer comptent faire bloc pour soutenir leurs camarades et obtenir l’arrêt des expulsions.
Héléna Berkaoui
*Contacté par téléphone et par mail ce vendredi, Adef habitat n’a pas, pour l’heure, répondu à nos sollicitations.