Mercredi 8 novembre, la Cour de cassation a définitivement condamné l’État pour des contrôles au faciès discriminatoires sur trois plaignants. Maître Slim Ben Achour,  avocat de plusieurs d’entre eux, revient pour le Bondy Blog sur cette décision historique. Interview.

Bondy Blog : La décision de la Cour de cassation est importante, pourtant on a l’impression qu’elle n’a attiré personne à la Cour ?

Me Slim Ben Achour : Effectivement, cela peut constituer une surprise parce que c’est vraiment une première. Les médias présents sont ceux qui suivent l’affaire depuis le début mais vous savez il y a beaucoup de médias qui ne comprennent pas, ce n’est pas un sujet majeur pour eux. Quand les droits fondamentaux ne sont pas respectés pour une minorité marginalisée ou qu’on marginalise, cela n’intéresse pas la population dominante et les médias dominants, cela ne touche pas les gens et donc ce n’est pas un problème. Et quand ces questions font irruption, c’est le déni : « ça n’existe pas », « vous dites n’importe quoi ». On discrédite, on délégitime.

Bondy Blog : Cela rappelle certains propos…

Me Slim Ben Achour : Oui. Entendre l’État par la voix de ses avocats dire que les principes d’égalité et de discrimination ne s’appliquent pas au contrôle d’identité est inadmissible. Je vous renvoie aux lois internationales, la plupart sont très liées à la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale et aux événements de la décolonisation. Je n’entends pas stigmatiser les policiers, c’est un système en place que l’on accepte. Quand il s’agit de jeunes, de personnes perçues comme ne faisant pas partie de la communauté nationale parce qu’elles sont noires ou arabes, on peut les contrôler, ce n’est pas très important. On peut dire cette chose absolument incroyable que les règles d’égalité et de discrimination ne s’appliquent pas aux contrôles de police. Cela n’a pas de réalité juridique mais une réalité sociale très forte au plus haut sommet de l’État qui, par ses avocats, dit cette horreur. On a quand même un Premier ministre qui emploie le terme d’apartheid.

Bondy Blog : Dans un tel contexte, le combat n’est-il pas perdu d’avance ?

Me Slim Ben Achour : Je dirais oui et non. Oui, si vous prenez tout seul le dossier. Non, si c’est un dossier collectif. On a reçu 200 dossiers, 13 sur lesquels nous avions des preuves ont été retenus. C’était très triste sur le plan humain de dire que l’on ne pouvait pas prendre tel ou tel dossier.

Bondy Blog : Les dossiers les plus solides juridiquement ont été retenus ?

Me Slim Ben Achour : Oui. Nous avons retenu 13 personnes qui ont décidé, aidées par leurs familles et par les associations, d’y aller et ce n’est pas facile parce que la justice fait peur. Vous voyez les locaux, le tribunal, c’est impressionnant.

Bondy Blog : Le décor constitue une ségrégation selon vous ?

Me Slim Ben Achour : C’est une limite. Je me souviens de la première audience devant le Tribunal de Grande Instance de Paris. C’était très intimidant pour les plaignants et je voyais que les autorités n’accueillaient pas bien les personnes qui venaient à l’audience.

Bondy Blog : Comment expliquer la décision de la Cour de cassation ?

Me Slim Ben Achour : Le résultat obtenu est lié à la détermination des personnes et à un parfait alignement des planètes : on a des associations de quartier, des associations internationales, des avocats, des associations de magistrats, de nombreux soutiens.

Bondy Blog : Est-ce le dossier le plus important de votre carrière ?

Me Slim Ben Achour : Oui en termes de mobilisation, de temps, d’énergie. C’est un dossier existentiel à titre personnel et à titre collectif. Il y a eu une période très importante pour notre dossier, c’est la légitimation par des instances respectées comme Jacques Toubon, le Défenseur des droits qui a soutenu la procédure en appel et en cassation. Ce n’était pas facile, vu le contexte politique, de prendre une telle position qui est une position juridique. L’égalité des droits et la non-discrimination sont des garanties que l’on doit accorder à tout le monde.

Bondy Blog : On réhabilite le rôle du Défenseur des droits qui n’a pas une grande visibilité auprès du grand public ?

Me Slim Ben Achour : Il n’a pas besoin d’être réhabilité, il a besoin d’être entendu. C’est une institution qui fait beaucoup avec peu de moyens.

Bondy Blog : Si par exemple demain, on me contrôle injustement deux fois de suite dans la même journée. Que dois-je faire ?

Me Slim Ben Achour : Je souhaite que tous les jeunes, toutes les personnes qui vivent l’humiliation du contrôle d’identité se posent cette question. Que faire ? C’est assez simple, il y a deux cas de figure. Premier cas : vous êtes seul, vous vous faites contrôler sans raison. Un témoin de la scène peut vous rédiger une attestation qui dit : « Je soussigné Monsieur ou Madame X, je tiens à faire savoir que Monsieur a été contrôlé tel jour à telle heure dans tel quartier et il a été le seul contrôlé et visiblement sans raison ». Il faut ajouter des éléments liés à votre apparence physique. Deuxième cas : vous vous promenez avec des amis, vous êtes tous contrôlés. Vous vous faites alors des attestations grâce auxquelles vous pouvez saisir le juge.

Bondy Blog : C’est-à-dire que l’on créé son propre récépissé ?

Me Slim Ben Achour : Exactement. Vous pouvez aussi saisir le Défenseur des droits avec cette attestation. Le Défenseur pourra interroger les autorités et le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve.

Bondy Blog : Est-ce que l’on ne se dirige pas vers une judiciarisation de la société française, un peu à l’américaine ?

Me Slim Ben Achour : Dit comme vous le dites « judiciarisation », ça sonne un peu péjoratif en France. Cela veut dire que dès que l’on a un problème, on saisit le juge. C’est une démarche à suivre pour les contrôles d’identité si l’on veut responsabiliser l’État parce qu’à un moment donné, quand les condamnations seront nombreuses, cela mettra une grande pression. En France, nous n’avons pas la culture du droit, l’administration quand elle agit ou réagit, elle gère des flux mais ne prend pas en considération le droit des personnes. Il y a une culture plus administrative que juridique et le droit est nécessaire quand il s’agit des libertés et des droits des personnes. Le Défenseur des droits suédois m’a invité en Suède pour parler du contrôle au faciès. La question n’est pas que française mais il y a quelque chose de particulier en France, c’est le déni. Regardez aux États-Unis : il y a le problème des armes mais pas de déni. Après le drame de Ferguson, un audit a mis en avant une administration discriminatoire et raciste. Impossible de voir une telle démarche en France, c’est pour cela qu’il reste beaucoup de travail.

Bondy Blog : Cette victoire n’est donc qu’un début ?

Me Slim Ben Achour : Oui. On a fait notre boulot mais il faut que les citoyens d’abord, et les médias, les associations, les politiques soient mobilisés sur ces questions pour faire en sorte que ce pays soit plus respirable pour tout le monde.

Propos recueillis par Saïd HARBAOUI

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