Les moments où la géopolitique s’est invitée sur un terrain de football restent bien souvent gravés dans les mémoires. Les compétitions mondiales sont des terrains fertiles pour ces affrontements. Si la Coupe du Monde 2022 semble pour le moment échapper à ces moments électriques, l’histoire nous rappelle que les clashs ne sont jamais loin.

On pense nécessairement à 1986 et au légendaire quart de finale de Coupe du Monde entre l’Argentine et l’Angleterre. Les deux pays avaient rompu leurs relations diplomatiques depuis la guerre des Malouines. Pendant le match, les supporters argentins appelaient à « tuer les Anglais ». Symboliquement, ce fut chose-faite. L’Argentine l’a emporté 2-1 grâce à Maradona et La main de Dieu.

Comment un simple match de football peut-il cristalliser autant de tensions ? Décryptage avec Estelle E. Brun, chercheuse associée à l’IRIS au sein du programme « Sport et Géopolitique », et doctorante en sciences politiques à l’Université de Boston. Interview.

Diego Maradona lors du match Argentine-Angleterre en 1986

Un match de foot entre deux nations rivales revêt-il systématiquement une dimension géopolitique ?

On dit souvent et à juste titre que le foot est le miroir de la société. Il est clair que la mobilisation des supporters permet de mettre en lumière des dynamiques géopolitiques sous-jacentes. D’autant plus que le foot international est beaucoup plus fédérateur que le foot en clubs.

Beaucoup de personnes aiment le foot, mais ne le suivent pas de manière assidue, sauf lors de ces grandes compétitions. Les matchs à forte portée géopolitique, de par leur dimension symbolique, peuvent même intéresser des personnes qui ne suivent pas du tout le foot en temps normal.

Parfois, les enjeux géopolitiques se répercutent même sur le match (affrontements sur le terrain ou dans les tribunes). Est-ce que le résultat d’un match peut aussi avoir des conséquences sur le plan diplomatique ?

Il y a dans l’histoire plusieurs matchs au cours desquels le supportérisme est allé très loin. Par exemple : les matchs de qualification à la Coupe du Monde entre le Honduras et le Salvador – deux pays voisins aux relations très tendues – en juin 1969. Les graves violences entre supporters dans et aux alentours du stade ont débouché sur une rupture des relations diplomatiques, puis sur un conflit armé. Un conflit d’ailleurs surnommé « la guerre du football » qui a fait plusieurs milliers de morts.

À travers un simple match de foot, on a pris conscience que le passé colonial de la France était toujours très mal perçu en Algérie

Sans aller jusqu’aux scènes de violences, le comportement des supporters peut aussi parfois être synonyme de message politique fort. On peut citer le cas du match entre la France et l’Algérie en 2001, au Stade de France. Les supporters algériens avaient sifflé la Marseillaise et le match avait été interrompu par une invasion de terrain.

À travers un simple match de foot, on a pris conscience du fait que le passé colonial de la France était toujours très mal perçu en Algérie, et que cette réconciliation entre Paris et Alger était totalement idéalisée.

Il faut savoir que les organisations internationales empêchent que certaines rencontres risquées aient lieu. Depuis l’annexion de la Crimée en 2014, l’UEFA interdit par exemple aux sélections russes et ukrainiennes de se rencontrer. Autre exemple : le Kosovo et la Serbie. Tout est fait pour éviter les violences qui auraient potentiellement de graves conséquences géopolitiques.

Les joueurs iraniens lors des hymnes. @JOHANNES FRIEDL/GEPA /PANORAMIC

Le 29 novembre, l’Iran et les États-Unis se sont affrontés. Ce match sous hautes tensions diplomatiques s’est déroulé sans accroc, comment l’expliquer ?

Le cas du match entre l’Iran et les Etats-Unis est quand même très particulier. On pouvait naïvement penser que le régime iranien, l’équipe masculine et le peuple allaient faire corps face au grand ennemi historique américain. Mais la situation est évidemment bien plus complexe que cela.

On le voit depuis plus de deux mois, il y a de très fortes tensions en Iran. Les autorités répriment dans le sang la mobilisation populaire. Les joueurs de la sélection nationale masculine ont d’ailleurs pris position. Lors d’un match contre le Sénégal, en septembre dernier, ils ont porté une parka noire masquant le maillot iranien lors de la présentation des équipes. (Plus récemment, lors de leur premier match en Coupe du Monde le 21 novembre, ils ont refusé de chanter l’hymne national, NDLR.)

Il y a un autre facteur à prendre en compte : ce match s’est joué en terrain neutre. Si l’Iran avait reçu les Etats-Unis, les Américains auraient été minoritaires et auraient joué en terre hostile. Là, le contexte aurait été tout autre, et potentiellement propice à des scènes de violences.

Propos recueillis par Ayoub Simour

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