personnes ont défilé dans les rues de Mamoudzou pour dénoncer les violences et l’insécurité qui règnent dans le département. Tous les habitants, sans exception en sont victimes, dont les enfants. Rencontre avec des collégiens de Kaweni qui nous racontent leur inquiétude.
Devant la barrière de la salle de judo, à quelques mètres à peine des salles de classe de l’immense cité scolaire de Kaweni à Mamoudzou, chef lieu de Mayotte, une affiche déjà jaunie est accrochée au grillage. Dessus, une phrase écrite à la mémoire de Christophe, 38 ans, le père de famille poignardé mortellement au couteau vendredi 15 avril pour un sac par un jeune de 16 ans. « Nous sommes très tristes pour Matteo et sa famille ». Depuis, le mineur auteur de l’attaque a été incarcéré, les deux autres suspects viennent d’être interpellés. Matteo, c’est le fils de Christophe.
Il participait à son cours de judo comme certains autres élèves de Kaweni. Mathilde et Rayyan, 14 ans, y étaient. Ce sont des amis de Matteo. Ils ont vu son père agoniser au sol, puis les secours tenter de le réanimer. «  Nous avons été choqués », raconte Rayyan. On ne comprenait rien à ce qui se passait ». « Il est mort dans les bras de mon père, raconte Mathilde, avant de s’interrompre. « C’est difficile d’en parler ».
Les enfants de Kaweni, comme leurs camarades de tout Mayotte, ont tous, sans exception, quelque chose à raconter de la violence grandissante, des agressions physiques dont ils sont témoins, dont ils sont victimes, de celles de leurs professeurs, de celles de leurs amis, de leurs proches, des attaques de leur bus scolaires, du racket au quotidien, des nombreux vols dans leurs établissements. Des bagarres entre différents quartiers dont ils sont aussi, pour certains, les auteurs.
A Mayotte, la délinquance générale a augmenté de 15 % entre 2014 et 2015, les agressions physiques de près de 50 % sur la même période. Mardi 19 avril, 5 000 personnes ont manifesté leur ras-le-bol dans les rues de Mamoudzou réclamant plus de sécurité et dénonçant l’inaction des autorités. Aujourd’hui, j’ai voulu rencontrer ces élèves pour recueillir leur sentiment, leurs paroles. Ils sont mahorais, métropolitains, malgaches ont entre 13 et 15 ans. Ils expriment de l’inquiétude, de la colère, de la peur. Voici leurs mots.
Rayyan, 14 ans : « C’est vraiment bête de mourir pour cela, pour le vol d’un sac. C’est choquant ».
Mathilde, 13 ans : « Moi je ne dirais pas que c’est bête, je dirais que c’est injuste. Ce monsieur habitait ici depuis 20 ans. Il adorait Mayotte. Mais il avait décidé de la quitter car il trouvait que l’ile avait beaucoup changé ».
Rakibou, 15 ans : « Je pense que ces assassins devraient être enfermés à vie pour que plus jamais ils ne recommencent ».
Kachmi, 14 ans: « Si c’était moi, si j’étais élève de judo comme vous, je ne retournerai pas au judo car j’aurai peur que ce soit ma mère à son tour qui se fasse tuer ».
Rachel, 13 ans : «  Je trouve insupportable d’entendre des gens dire que manifester, se mobiliser pour un mort, c’est n’importe quoi, c’est une perte de temps, qu’il ne faut pas s’arrêter de vivre. Bien sûr qu’il faut manifester, il faut se mobiliser, il est mort pour un sac, il est mort pour rien ! Il faut que l’on dise non à l’insécurité, à la délinquance. »
Warda, 14 ans : « Quand j’étais en 6eme, en sortant du bus, quelqu’un m’a menacée et m’a demandé mon téléphone, mon argent, mon sac. Ils avaient des couteaux. Heureusement, le chauffeur de bus m’a défendue et les agresseurs se sont enfuis. Cette histoire, je n’en ai jamais parlé à mes parents. Je ne voulais pas les inquiéter. C’est abominable ce qui se passe dans mon pays natal, de ne pas se sentir en sécurité chez soi. Du coup, quand j’ai entendu parlé du meurtre, j’ai repensé à ce qu’il m’était arrivé. Ca m’a choquée. J’ai peur ».
Hardine, 15 ans : « Nous étions trois, nous avons été agressés par des jeunes d‘un autre quartier. Ils nous ont dit qu’ils avaient faim, qu’ils voulaient notre repas et que si on ne leur donnait pas, ils allaient nous tuer ».
Kevin, 14 ans : « Moi aussi, j’ai trouvé ça bien que les gens se mobilisent hier. Qu’ils se révoltent contre la délinquance. Ce n’est pas normal ! »
Kaouthara, 14 ans : « Il ne faut pas oublier une chose : les parents de ces jeunes voyous, eux mêmes en ont marre car ils n’arrivent pas à tenir leurs enfants. Et attention ce n‘est pas que les blancs qui ont peur : tout le monde a peur. Même les mahorais car tout le monde est victime de cela ! »
Corentin 14 ans : « Oui c’est vrai tout le monde a peur. Peur de mourir comme cet homme. , je crains que des gens vont partir. Pleins de professeurs veulent partir l’an prochain. Ca commence à devenir inquiétant parce que ca aura une conséquence sur l’éducation ».
Djamil, 15 ans : « C’est normal de se défendre, de se battre. Moi, ca m’est déjà arrivé. Un jour des jeunes ont frappé mon frère. Je me suis battu pour le défendre ».
Thaniati, 15 ans : « Si on nous tape, il ne faut pas se faire justice nous-même, il faut aller voir la police ».
Mathilde, 14 ans: « Avant, cela m’arrivait de rentrer chez moi à pied, maintenant mes parents viennent me chercher systématiquement ».
Warda : « Nous avons des amis qui sont déjà partis en novembre à cause de la violence car leur fils a été attaqué ».
Nassira El Moaddem, envoyée spéciale à Mayotte

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