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Sur la place de la Nation, les drapeaux palestiniens s’agitent par dizaines. Un seul pourtant, plus célèbre que les autres, a conduit les centaines de manifestants présents à venir former une haie d’honneur pour l’accueillir. Après Lille, Genève, Marseille, Ajaccio ou Nantes, entre autres, l’étendard baptisé « Drapeau de la Libération » fait son retour à Paris. Vingt-cinq jours après l’avoir quittée, le 14 août dernier.

Au début de l’été, le collectif militant Blouses Blanches pour Gaza, composé de personnel soignant sensible au sort des Palestiniens, cherchait à mettre en œuvre une action retentissante pour continuer à mobiliser. Les Jeux Olympiques approchant promettaient alors de mettre au second plan médiatique les massacres en cours dans l’enclave gazaouie. À l’époque, le simple parcours de la flamme suffisait à déchaîner les passions. D’innombrables heures de direct, de spéculations sur les identités des porteurs… Et un effacement méthodique de la question palestinienne de l’actualité.

Garder la Palestine dans les esprits

« On a pensé ce projet en miroir au trajet de la flamme olympique », explique Salim, un des membres du collectif. « Il y avait cette volonté d’invisibiliser la Palestine en interdisant le drapeau sur son parcours », se remémore-t-il. « Alors Sébastien, un des membres des Blouses Blanches, a proposé cette idée de s’inspirer d’elle. Et on a tout de suite adhéré. » Un cheminement, un objet symbolique transmis de mains en mains, et tout autour une foule mue par une même énergie. Sauf qu’ici, en lieu de valeurs olympiques, l’exigence de la fin d’un génocide. Le projet de tour de France d’un drapeau aux couleurs de la Palestine est lancé.

Dès le début transparaît une volonté d’unir. Les Blouses Blanches proposent à plusieurs organisations militantes pro-palestiniennes de se joindre à eux. « On a commencé avec l’AFPS, Urgence Palestine, Perspectives Musulmanes, EuroPalestine… puis quelques branches locales de certains partis politiques ou syndicats, comme le NPA par exemple. » Au fur et à mesure, la participation s’étoffe de groupes plus locaux qui viennent se greffer au projet.

Depuis le lancement, il y a eu chaque jour en France au moins un événement en soutien à la Palestine

Pour en assurer la cohérence sur toute sa durée, ils imposent dès la genèse une série de contraintes. « À chaque étape, il devait y avoir des dimensions militantes, culturelles et sportives », explique le jeune homme. « Des questions précises sur la situation palestinienne, comme la Nakba, la question des prisonniers, du blocus de Gaza ou le droit au retour, devaient être évoquées par chaque comité régional », précise-t-il. « Nous voulions aussi que chaque jour le drapeau soit porté de manière non motorisée sur 7 kilomètres. » Soit environ 10 000 pas, comme ceux recommandés quotidiennement par l’Organisation Mondiale de la Santé.

En résulte une action qui, depuis mi-août, participe à faire perdurer sur l’ensemble du territoire hexagonal et de la Corse la lutte contre le génocide des Palestiniens. « Depuis le lancement, il y a eu chaque jour en France au moins un événement en soutien à la Palestine. Une conférence, une marche, une course… Au moins une mobilisation quotidienne où le drapeau était acclamé », note le militant avec fierté. « L’élan a carrément dépassé nos espérances. »

Une détermination à toute épreuve

Les Blouses Blanches courent partout pour assurer la bonne organisation de ce dernier tour de piste. Les sympathisants, vêtus aux couleurs de la Palestine, se compactent par centaines autour de la haie d’honneur balisée, entre la route et la scène qui surplombe la place. Lorsque le drapeau arrive et fend la foule, on l’acclame comme une victoire. L’assemblée exulte : les enfants agitent frénétiquement des petites bannières, les parents applaudissent en scandant des appels à libérer Gaza. Les visages, même les plus graves, s’autorisent à sourire.

Le soleil accompagne le drapeau sur ses derniers mètres. Rima Hassan, députée européenne d’origine palestinienne, est la première à le brandir. Sa présence ici, toute vêtue de tatriz [broderie traditionnelle palestinienne, ndlr] tient de l’évidence.

La résistance du peuple palestinien est un exemple de résilience et d’espoir

« On vit un moment historique. La question palestinienne est centrale dans les relations internationales. Elle concentre énormément de sujets, notamment la question de la libération des peuples, et ça parle à énormément de gens ici, c’est pour ça qu’il y a autant de monde », analyse-t-elle. « La résistance du peuple palestinien est un exemple de résilience et d’espoir. Ils continuent de vivre, de survivre, de revendiquer, de danser malgré le génocide en cours. C’est un exemple qui doit nous inspirer à rester mobilisés. »

La jeune femme confie ensuite le drapeau aux autres porteurs, parmi lesquels le député LFI Thomas Portes, la comédienne Manon Azem, et d’autres figures politiques et civiles, qui le conduisent jusqu’à la scène. Imane Maarifi, membre des Blouses Blanches, y entame un discours, le poing levé. Il y a quatre jours à peine, elle était mise en garde à vue, soupçonnée de « menaces de mort en raison de l’ethnie ou de la religion ». Les salons Hoche, espace événementiel de standing qui accueillaient ce dimanche un salon de l’immobilier israélien, avaient porté plainte après un échange téléphonique avec l’infirmière. Garde à vue de laquelle elle est ressortie libre. « J’ai bien fait d’enregistrer l’appel », se félicite-t-elle au micro.

Lire aussi. Palestine : « Il y a un fort cadrage médiatique et une forte incitation à la répression de la solidarité »

Si ses soutiens voient dans son arrestation une volonté de museler son combat, cela ne l’intimide pas, au contraire. « Je ne vais jamais arrêter », promet l’infirmière qui est partie en mission à l’hôpital Khan-Younes en mars dernier avec l’ONG PalMEd.

Redescendue parmi la foule, elle confie : « Il y a deux semaines, j’ai perdu un ami palestinien. Alors mon envie d’aider à leur libération est encore plus urgente. » Sa voix ne tremble pas sauf quand elle mentionne ses enfants. « Je veux partir en leur laissant un monde dans lequel la justice vaut pour tout le monde. » Si elle se félicite de la mobilisation autour du drapeau, Imane ne peut s’empêcher de penser à ceux qui ne se sentent pas concernés par le génocide.

Ceux qui n’agissent pas devront justifier leur inaction aux yeux de leurs enfants

« Je ne sais pas comment font ceux qui restent à ne rien faire sur leur canapé, mais je ne les envie pas du tout », explique-t-elle, presque écœurée. « Le génocide est en cours de reconnaissance par les instances juridiques, c’est imminent. Ceux qui n’agissent pas devront justifier leur inaction aux yeux de leurs enfants. Je les invite à se réveiller, et à nous rejoindre. » Salim souhaite lui aussi un renouveau de la mobilisation. « On espère que ce sera le retour des grandes manifestations pour la Palestine, pour qu’on aboutisse à un cessez-le-feu, qui reste l’objectif. » 

La pluie battante s’est faite soudaine. Elle n’effraie pas les irréductibles, serrés sous les parapluies ou sous des pancartes qui font office d’abri. Le drapeau continue d’être brandi sur la scène, au rythme des discours passionnés qui s’enchaînent. Son étoffe est un peu déchirée sur les bords, mais c’est bel est bien le même qui, depuis le début, a parcouru les routes de France. « Il porte les stigmates du voyage », sourit le militant. « Mais on a décidé de le garder comme ça. Il a résisté, comme la Palestine résiste. Il est à l’image de notre combat. Il ne lâche pas. »

Ramdan Bezine

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