Dans la salle du Centre social du Petit Bois, l’association de quartier Cassis a organisé un groupe de parole. De nombreux habitants sont venus mettre en mots et en dessins ce qu’ils ont vécu ces dernières nuits. « On a tous été choqués par l’incendie. Une médiathèque, c’est un trésor » partage Naïma, accompagnée de ses enfants.

Sa fille Ritej est, elle aussi, affectée par la destruction du lieu qu’elle fréquentait chaque semaine. « J’avais le cœur brisé quand j’ai vu que la médiathèque avait brûlé », décrit-elle du haut de ses neuf ans. Sur le dessin qu’elle affichera devant les ruines, elle n’oublie pas la tragédie qui a entraîné l’embrasement : « Je voudrais que tout revienne à la normale, que Nahel soit vivant et que la médiathèque soit présente » écrit-elle au feutre violet.

La médiathèque Jean Macé, monument culturel de l’est messin, n’a pas survécu à la colère. Ses murs et ses plus de cent mille références ont été réduites en un tas de cendres dans la nuit du 30 juin, un peu avant de minuit. Quelques jours après le brasier, les tas de gravats sont encore fumants.

« Protéger les jeunes d’eux-mêmes »

Une enseignante du collège de secteur est, elle aussi, venue échanger lors du groupe de parole organisé par le Centre social. « J’y emmenais mes élèves et les bibliothécaires intervenaient dans mes classes, raconte-t-elle. C’est dramatique que ce lieu ait disparu. » Les plus jeunes ne sont pas les seuls à pâtir de la disparition de la médiathèque. « C’était aussi le seul vrai lieu de mixité sociale du quartier. Tous les gens des villages alentours venaient à cette médiathèque. Elle est plus proche pour eux que celles du centre-ville », déplore-t-elle.

La médiathèque était un endroit central, ici. Les parents sont vraiment tristes. 

Tatiana, une mère du quartier, décrit la nuit passée au quatorzième étage de son immeuble, avec vue imprenable sur l’incendie. « Le bruit, le feu, les gens qui courent dans tous les sens, c’était impressionnant… Et effrayant ! » Elle et ses voisins ont assisté à la scène, téléphone en main pour filmer l’inconcevable. « Les gaz lacrymogènes sont montés jusqu’à nous, on avait les yeux qui pleuraient », raconte-t-elle, encore marquée par la scène. Depuis, l’ambiance est morose. « La médiathèque était un endroit central, ici. Les parents sont vraiment tristes. »

Ces mêmes parents qui se trouvent en première ligne des attaques du gouvernement depuis plusieurs jours. « On pointe du doigt les parents, et à travers eux les mamans. Mais, dès le jour suivant, elles se sont organisées sur le groupe Facebook du quartier pour aller se poster le soir devant les écoles », tient-elle à préciser. L’une d’elles acquiesce. « Nous sommes sorties plusieurs soirs, jusqu’à deux heures du matin, pour veiller sur les écoles. Mais aussi pour protéger les jeunes d’eux-mêmes. »

Rappeler à la France que ces jeunes sont ses enfants

Abdel, une figure du quartier, confirme. « Le soir de l’incendie, il y avait des dizaines de mamans dans les rues, qui cherchaient leurs enfants parmi les jeunes cagoulés, avec une photo affichée sur leur téléphone », se souvient-il. Sa caméra ne rate aucune seconde de la scène et ses images sont ensuite reprises par BFM TV avant d’être détournées par des comptes d’extrême-droite.

Je suis sorti pour protéger la médiathèque, car ma fille y va toujours travailler, et parce que des livres saints sont à l’intérieur.

Sur l’une d’elles, on voit un habitant du quartier qui se tient debout au bord de la chaussée secouée par les feux d’artifices. « Borny, à Metz, les familles sont dehors et regardent les émeutiers parader comme les nôtres le défilé du 14 juillet », décrit la légende.

Au même moment, celui qui apparaît à l’image arrive justement auprès d’Abdel. « Ils mentent dans la vidéo. Je suis sorti pour protéger la médiathèque, car ma fille y va toujours travailler, et parce que des livres saints sont à l’intérieur », fulmine le père de famille, visiblement touché par la manipulation.

Ça dépasse ce qui est arrivé à Nahel. Ici aussi, les rapports avec la police sont très mauvais

« Ils ont mis le feu pour se révolter, je pense, continue Abdel. Ça dépasse ce qui est arrivé à Nahel. Ici aussi, les rapports avec la police sont très mauvais ». Selon lui, la colère des jeunes n’est qu’une réponse à la hauteur de ce qu’ils subissent au quotidien. « Moi-même, j’ai déjà vécu ces contrôles. La police est agressive avec eux, donc ils répondent de la même façon ».

Le soulèvement des jeunes, il le comprend, même s’il déplore sa virulence. « Je n’accepte pas ce qu’ils font, mais si ça peut rappeler à la France que ces jeunes sont aussi ses enfants, ça serait une bonne chose ».

« Un bout d’histoire commune, réduit en cendres »

Le jeune homme espère pourtant que ceux-ci trouveront une stratégie plus efficace pour exprimer leur exaspération. « Je leur conseille d’arrêter les violences, et d’aller plutôt bloquer les centre-villes, les mairies. Un vrai blocage pacifique ». Histoire qu’un dialogue puisse enfin se construire, entre eux et les pouvoirs publics. « Il faut qu’on apprenne les uns des autres, et qu’on se demande d’où vient réellement la violence et surtout, pourquoi elle est là. Si l’État ne fait pas le premier pas, les jeunes ne le feront pas. » 

Et nous, on est entre les jeunes et la police. On est les médiateurs de la fausse paix sociale que le gouvernement essaie d’instaurer.

Chez Abdel et les éducateurs du quartier, le constat est amer, mais pas surprenant. Deux d’entre eux reconnaissent chez les jeunes révoltés leurs propres colères d’adolescence. « Je comprends leur rage. Si j’étais plus jeune, peut-être que je serais parmi eux, qui sait ? Ils n’ont plus d’autres moyens d’exprimer ce qu’ils ressentent, analyse l’un d’eux. Ils sont conscients que c’est eux qu’ils pénalisent, mais ils considèrent ça comme un combat légitime. Et ça l’est. »

« La vie d’un enfant, ça vaut plus qu’une infrastructure »

Un combat pour plus de considération de la part des services publics, et plus particulièrement des forces de l’ordre. « Ce qu’ils attendent, c’est plus de pédagogie et de respect ». Avant de conclure, désabusé : « Et nous, on est entre les jeunes et la police. On est les médiateurs de la fausse paix sociale que le gouvernement essaie d’instaurer. » Comme Abdel, les deux collègues espèrent d’autres méthodes.

Même si le maire de la ville, François Grosdidier a annoncé, mercredi 5 juillet, que la médiathèque allait être reconstruite, l’incendie des lieux a éprouvé la population de Borny toute entière. « Cette médiathèque, avec ses murs couverts de fresques, c’est un bout d’histoire commune qu’on a réduit en cendres. Moi, ça m’écœure, admet le travailleur social. Mais la vie d’un enfant, ça vaut plus qu’une infrastructure. Nous, on pleure les deux, Nahel et la médiathèque ».

Ramdan Bezine

* Les prénoms ont été modifiés à la demande. 

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