#LESBÂTISSEURS Tristan Jamelot, ingénieur informatique et flûtiste amateur, est l’initiateur d’un projet d’orchestre à destination d’enfants, dans une école de Bondy. Objectif ? Transposer des dispositifs d’éducation par la pratique musicale collective initiés au Venezuela il y a 40 ans. 36 enfants profiteront de cette initiative bénévole, qui doit débuter le 4 septembre prochain, en dépit d’importants problèmes de financement. 

Flûtes traversières, clarinettes, trompettes… Ces instruments à vent, Tristan Jamelot, flûtiste amateur et ingénieur informatique de profession, les connaît bien. Dans moins de deux semaines, lors de la rentrée scolaire, c’est à 36 enfants de l’école Béthinger de Bondy, niveau CE1/CE2, qu’on les enseignera, en vue de former un véritable orchestre.« Le 16 septembre, il y a aura la remise officielle des instruments aux enfants, à la mairie de Bondy. Début janvier, un premier concert devrait avoir lieu, probablement au cours de la cérémonie des vœux de la Maire de Bondy et La Marseillaise sera au programme », explique l’ingénieur de 41 ans, rencontré dans un restaurant près de la gare du Nord, à Paris. L’expérience scolaire durera toute l’année, et d’autres prestations dans et hors la ville auront lieu de janvier à juin 2018.

« Le projet éducatif auquel il adhère et porté par l’association Passeurs d’Arts s’inspire du dispositif Venezuelien El Sistema (orchestre symphonique Simon Bolivar), créé par le maestro José Abreu, chef d’orchestre et économiste, en 1975.' », explique Tristan Jamelot ,et ajoute que « les expériences françaises, démarrées il y a 20 ans principalement par Jean-Claude Decalonne, président de l’association, s’en sont inspirées et ont évolué dans le contexte français ». Les premiers bénéficiaires étaient issus des bidonvilles de Caracas et ont pour la plupart pu intégrer l’élite intellectuelle de ce pays déshérité, comme par exemple le chef d’orchestre Gustavo Dudamel.

Ainsi, quatre jeunes de l’association viennent de se produire à Athènes (Grèce) dans le cadre d’une rencontre internationale des dispositifs ‘El Sistema d’Europe' », ce qu’explique avec enthousiasme le président de Passeurs d’Arts. « Mon association cherche à installer, en France, un système d’orchestres qui est certainement l’un des plus beaux outils sociaux. Le but ? Que les enfants se construisent grâce à ce programme artistique ». En France, il y a eu plusieurs expériences menées depuis les années 2000, tels « les Orchestres à l’École », fondées par ce même Jean-Claude Decalonne. « Le projet pédagogique phare de Passeurs d’Arts a été initié en 2015 au collège Henri-Matisse et à l’école élémentaire Paul-Langevin de Garges-lès-Gonesse (95). En décembre 2015, à la demande de la préfecture du Val-d’Oise, deux psychologues cliniciennes sont venues évaluer le dispositif au collège Matisse de Garges. Leur évaluation a autant concerné le suivi de l’évolution des indicateurs de l’Éducation Nationale sur les comportements et résultats scolaires pour les bénéficiaires du dispositif, mais aussi l’analyse de critères qualitatifs, et le bilan, présenté sur notre site, a été extrêmement positif » raconte fièrement l’ingénieur.

« On ne pense pas résoudre tous les problèmes de société, mais on veut sauver le plus de jeunes possible, à travers l’orchestre »

Tristan Jamelot, ingénieur informatique et flutiste amateur, à l’origine de l’orchestre à destination d’enfants.

Tristan Jamelot a jugé nécessaire de s’investir dans la promotion de l’éducation par la pratique musicale et artistique en Seine-Saint-Denis, où il vit depuis 2010, et a choisi à ce titre Passeurs d’Arts. La ville de Bondy lui était naturellement plus accessible pour initier l’idée dès lors que « la connaissance des acteurs locaux est indispensable pour le faire ». Son ambition ? « Toucher le maximum d’enfants non seulement à Bondy, mais également sur les territoires d’Est-Ensemble et de Plaine-Commune, ou d’autres secteurs tel que Clichy-sous-Bois. (…) Ici, on ne cible pas que des enfants dans des situations difficiles sinon vous créez une situation de ghetto. Ce qu’on veut avec cet orchestre, c’est créer du lien social avec des enfants d’horizons différents grâce à la musique », ajoute-t-il, en remplissant son verre d’eau pétillante. Pourquoi spécifiquement l’école Béthinger à Bondy ? « La proposition a été faite par la municipalité. C’est une école dans laquelle on constate une certaine diversité sociale, justement. Des problèmes commencent à apparaître : en 2016, une quinzaine d’enfants de CP rencontraient de grandes difficultés à entrer dans les apprentissages. » .

Saïd Hammouche, entrepreneur social et fondateur du cabinet Mozaïk RH, l’accompagne dans son projet, en particulier dans la recherche des financements et développement des partenariats publics et privés. Raul Lubo, lui, sera le responsable pédagogique qui devra accompagner les enfants chaque semaine. Il est chef d’orchestre et en charge du pupitre des cuivres, ainsi que « l’un des membres fondateurs du ‘Sistema Venezuela’ dans une région de ce pays ». Le premier concert des enfants de Béthinger aura lieu le 20 janvier 2018, même si « le reste du programme est encore à définir, on ne sait pas ce qu’on jouera encore ce jour-là. Et puis, nous sommes sur un public particulièrement jeune pour la pratique d’instruments à vent… »

« Un orchestre, c’est comme une petite société »

« C’est une excellente idée de proposer cela à de jeunes enfants. Mais cela n’aura de valeur que s’il y a un suivi derrière, des parents », lance Elizabeth Martin, une retraitée bondynoise de 69 ans. Minutieusement, Tristan Jamelot explique, étape par étape, comment s’organise le projet : « Avant les vacances, les enseignants ont fait le travail d’approche dans les classes. Puis, les parents ont reçu une lettre et les enfants avaient la possibilité de s’inscrire sur une liste, après avoir répondu à un questionnaire. (…) On ira au centre Jacques Prévert, où se déroulera l’activité le 4 septembre. Le premier jour, on va leur expliquer avec des jeux comment va se dérouler l’atelier. Ce qui est important, c’est qu’ils aient bien conscience de l’engagement. Il faut venir tous les jours, quatre fois par semaine. Il n’y a pas de secret », argue-t-il, en bon musicien pédagogue. « Puis, il y aura des séances d’essai. Les enfants testeront tous les instruments afin d’évaluer ce qu’ils aiment faire. Les professeurs analyseront aussi l’affinité qu’ont les enfants avec leur instrument. Les parents des enfants aussi seront fortement impliqués dans l’encadrement des séances. Après la cérémonie de remise des instruments, les enfants deviendront propriétaires et responsables de leurs instruments qu’ils emmèneront à la maison », complète l’ingénieur.

« La pratique collective est un atout majeur. Il y a une entraide mutuelle qui se développe. Et j’en parle en tant que musicien », rapporte-t-il, d’un ton très sérieux, avant de rajouter, fourchette à la main, qu’un orchestre, « c’est comme une petite société : vous construisez quelque chose, chacun a un rôle et tout le monde va dans le même sens. Au-delà du lien social, il y a cette idée de construction collective ».

La musique classique, trop élitiste ?

Façade du conservatoire de Bondy.

« La pratique artistique est d’une faiblesse dramatique : moins de 2 % des enfants entrent au conservatoire et c’est encore plus bas en Seine-Saint-Denis ». À Bondy, justement, un conservatoire se situe à quelques mètres de la gare. « Il ne peut pas nous aider, car il connaît ses propres problèmes de financement, mais des coopérations avec lui verront le jour dans l’avenir », indique toutefois Tristan Jamelot, avant d’ajouter, sourire aux lèvres : « c’est plutôt nous qui allons lui rapporter des enfants ! »

« Il faudrait qu’après cette expérience, les enfants aient une place assurée pour entrer au conservatoire s’ils le désirent, ce qui n’est pas forcément gagné », s’inquiète la retraitée bondynoise. Impossible de contacter ledit conservatoire, fermé pendant les vacances scolaires. Hakim*, 14 ans, sac de courses à la main à quelques pas de l’église de Bondy, confie passer régulièrement devant l’établissement de musique de la ville. Sans jamais s’y arrêter.  » Ce n’est pas pour moi ! Mais, l’idée de proposer des cours de musique gratuits à l’école et de créer un orchestre, pourquoi pas. Ce n’est pas des instruments qu’on a forcément l’habitude d’utiliser car, en plus, ils sont souvent très chers », souligne l’adolescent.

« Ton idée, elle est utopique. La musique c’est une discipline d’élite ». Voilà le genre de remarques qu’a pu entendre récemment Tristan Jamelot. « Je suis tombé par terre en entendant ça », raconte-t-il, un brin blasé. « Et puis il y a l’image que l’on a de soi, surtout en Seine-Saint-Denis. On est dans un département stigmatisé en permanence. Je me suis senti touché. Les enfants se voient différemment, leurs parents, eux, sont fiers. Ce qui est important c’est que les enfants sachent qu’ils ont de la valeur, qu’ils sont capables de construire quelque chose de magnifique », explique Tristan Jamelot, avec un certain engouement.

L’épineuse question des financements

« L’ambition, c’est de toucher le maximum d’enfants possible. Même si cela est très onéreux… », lâche le flûtiste amateur. Contactée par téléphone, la mairie nous informe que « l’initiative a pu intégrer les temps d’activités périscolaires, ce qui leur permet d’avoir 20% de leur budget total », ce que confirme Tristan Jamelot. Hélas, c’est encore insuffisant. L’ingénieur informatique a donc lancé un appel au don. L’objectif à atteindre s’élève à 38 000 euros. Il reste 13 jours avant la rentrée mais la cagnotte, elle, stagne autour des 2 000 euros. Le musicien se veut toutefois rassurant : « On remboursera sur plusieurs échéances les frais de matériel ».

À Bondy, dans la même veine, on note la présence de la « pré-maîtrise de Radio France » dans trois écoles du nord de la ville, ainsi que le dispositif DEMOS proposé à 15 enfants du Centre Culturel Sohane par la Philharmonie de Paris. « Il n’y a aucune concurrence entre nous. Au contraire, plus on est mieux c’est », assure Tristan Jamelot. Avant d’ajouter : « Au total, 111 enfants profiteront de ces dispositifs sur 7 000 scolarisés à Bondy de la maternelle au CM2 ! Eh bien, il nous reste encore beaucoup à faire… »

Selim DERKAOUI

*Le prénom a été modifié

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