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Un dispositif « inhumain », « dégradant », « vide de sens »« tous les travers de la prison y sont poussés à leurs paroxysmes ». Voici la description du mitard livrée par les rédacteurs de l’Observatoire International des Prisons (OIP). Dans un rapport publié en février dernier, l’OIP alerte sur les limites de ces cellules disciplinaires conçues pour punir les détenus dans les établissements pénitentiaires.

Dans ce rapport, l’OIP préconise purement et simplement la suppression de ces cellules disciplinaires. Une revendication portée au moins depuis le début des années 1970 dans les révoltes de détenus et recommandée depuis 1990 par les Nations Unies.

Des sanctions marquées par l’arbitraire

Les différentes sources sur le sujet démontrent toute l’étendue de l’arbitraire qui entoure les sanctions disciplinaires en prison. La législation en vigueur institue un large éventail de comportements sanctionnables. D’un œilleton bouché aux altercations avec les surveillants.

Et c’est aussi sur l’administration pénitentiaire que repose le droit de mettre en cause les prisonniers, de les recevoir en commission disciplinaire et de choisir la sanction. Pour Odile Macchi, Responsable du pôle Enquêtes de l’OIP : « On a un directeur pénitentiaire qui est juge et partie. Il doit à la fois décider de la sanction appliquée en conseil de discipline, mais il est aussi le supérieur hiérarchique de ceux qui accusent le prévenu. »

Par ailleurs, les directeurs d’établissements décrivent un besoin de ne pas désavouer les surveillants et leurs syndicats (autour de 60 % de syndiqués dans la profession) qui les encourage à systématiquement condamner les mis en cause. La plupart de ses auditions reposent notamment sur des documents appelés des “CRI” (Compte Rendus d’Incidents) et établis par les surveillants eux-mêmes (même dans le cas où il s’agit d’une altercation impliquant surveillant et détenu). Les recours administratifs sont rares et aboutissent peu.

De même, Odile Macchi décrit des auditions infantilisantes et moralisatrices, au cours desquelles la matérialité des faits n’est pas investiguée. « On ne demande pas à la personne si elle a fait ce dont elle est accusée, mais pourquoi elle l’a fait », déplore-t-elle.

Des droits humains élémentaires bafoués

Les quartiers disciplinaires sont des espaces dans lesquels les conditions de vie sont particulièrement dégradantes. Quasi absence de meubles, hygiène des cellules déplorables, températures extrêmes, ennui mortel, isolement total, une heure de sortie par jour dans des cours spécifiques, grillagées sur le dessus et entièrement vides.

Le rapport de l’OIP soulève aussi les nombreux cas dans lesquels on ne laisse pas prendre de nécessaire de toilette ou de quoi se changer aux personnes placées au quartier disciplinaire. Sans compter les cas de violences ou de brimades rapportées par les détenus.

Le travail du mitard, c’est de casser les gens, de leur faire comprendre qu’il faut qu’ils se tiennent tranquilles

Étant donné ces conditions, le quartier disciplinaire s’avère être un endroit particulièrement délétère pour la santé mentale. Pierre Funes, rédacteur à l’Envolée (média qui relaie la parole de détenus), le dénonce. « T’es dans un trou. Le travail du mitard, c’est de casser les gens, de leur faire comprendre qu’il faut qu’ils se tiennent tranquilles, car on a le pouvoir de leur retirer leur condition d’être humain. C’est une torture en soi », décrit-il.

Le risque de suicide quinze fois plus élevé qu’en détention ordinaire

Les conditions de détention en cellules disciplinaires peuvent avoir des conséquences irréparables. « On a huit fois plus de chances de se suicider en prison qu’à l’extérieur et quinze fois plus en quartier disciplinaire qu’en détention classique », souligne Odile Macchi.

Des drames qui endeuillent des familles et parfois les laissent dans l’incompréhension. Plusieurs témoignages font état de disparitions soudaines et d’absence de terrain suicidaire.

En avril 2018, la mort suspecte de Jaouad, un détenu de 28 ans, dans une cellule disciplinaire de la prison de Seysses avait provoqué des vives protestations. L’administration pénitentiaire a évoqué un suicide par pendaison, mais plusieurs prisonniers ont eux assuré que Jaouad avait été battu par des surveillants. La famille et les proches ont dénoncé une « enquête bâclée »  et les obstructions faites au cours des investigations.

Plus récemment, en janvier 2024, toujours au mitard de Seysses, la mort de Rachid, un jeune détenu de 19 ans, a également posé de nombreuses interrogations. L’administration pénitentiaire évoque là aussi un suicide, une thèse contestée. Selon L’envolée, Rachid « venait d’apprendre qu’il devait sortir sous bracelet électronique la semaine suivante ». Par ailleurs, « des prisonniers disent qu’il a été tué par les surveillants et qu’ils avaient des traces de coups sur le corps ».

Pour Pierre Funes de l’Envolée, les violences sont monnaie courante dans les cellules disciplinaires. « Structurellement, les quartiers disciplinaires sont les endroits où se retrouvent les matons les plus énervés et tu es seul. Tu te retrouves donc à la merci de personnes violentes, parfois avec qui tu as eu des altercations précédemment, et les violences sont légion. »

Une contestation impossible

Dans ce contexte, les droits des prisonniers peinent à être entendus. « En prison, contester le sort qui t’est fait en tout bonnement impossible. Le droit d’association et de réunion sont interdits, le fait de s’adresser à l’extérieur sans passer d’abord par la censure aussi. Ça n’existe nulle part ailleurs dans la société et ça devrait faire bondir toutes les personnes qui se pensent défenseurs des droits humains », s’indigne le rédacteur de l’Envolée.

Des éléments confirmés par l’OIP dans son rapport : on y apprend la sanction fréquente des « formes d’actions collective non violentes (…) bien que ces revendications puissent être regardées comme “légitimes” et “pacifiques” ». 

Supprimer le QD…

Dans ses recommandations, l’OIP demande la suppression des quartiers disciplinaires. La responsable du pôle enquête de l’OIP souhaite que ces recommandations soient suivies, et a minima pouvoir engager le dialogue avec l’administration pénitentiaire sur le sujet. « L’existence du quartier disciplinaire est, à mon sens, complètement contradictoire avec l’idée de réhabilitation. C’est un dispositif aussi inhumain que contre-productif », insiste l’OIP.

De la même manière que la menace de la prison permet de “tenir” la société, le mitard permet de “tenir” la prison

Aux yeux de Pierre Funes, de telles évolutions ne sont pas près d’avenir tant la menace du mitard permet de mettre au pas les détenus. C’est sur ces cellules disciplinaires que repose la doctrine de gestion des établissements pénitentiaires en France, selon lui. « Le mitard, c’est l’essence même de la prison. De la même manière que la menace de la prison permet de “tenir” la société, le mitard permet de “tenir” la prison », analyse-t-il.

…Une question politique

La question du mitard et de la prison au sens large est pour lui avant tout une question politique :  « C’est aussi aux gens des quartiers de se saisir de la question. Matériellement, il y a plus de gens issus des quartiers populaires en prison étant donné les biais de la police et de la justice. À nous de contester ce qu’il se passe dans ce laboratoire, reflet d’une société raciste, sexiste et classiste. Les problèmes de la prison sont systémiques, la prison, c’est quelque part la voiture balais de l’ordre social, et de ce fait, il est impossible de la réformer. »

Ambre Couvin 

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