Emilie en est encore révoltée. Cette assistante administrative et financière en cabinet d’avocats, puis en startups, a arrêté de travailler il y a six mois pour monter sa propre auto-entreprise dans le domaine de l’accompagnement administratif et l’emploi. Mardi 23 janvier, la jeune femme de 31 ans, a débuté une formation à la Chambre des métiers et de l’artisanat de Paris. « Il s’agit du stage de préparation à l’installation, SPI. C’est un stage obligatoire pour celles et eux qui souhaitent monter une auto-entreprise dans l’artisanat », précise-t-elle. Une formation de quatre jours de 260 euros à la charge de la plupart des candidats. Objectifs : acquérir les connaissances de base en droit, fiscalité, comptabilité pour bien préparer sa création d’entreprise artisanale.

Aux côtés de la jeune femme, une quinzaine de candidats créateurs d’entreprises, futurs artisans dans leurs domaines : VTC, bâtiment, nettoyage, traiteur. « Parmi les candidats, une grande majorité de personnes étaient issues de l’immigration, des Noirs et des Arabes de banlieue parisienne, « , ajoute Emilie. « J’ai déjà participé à des séances d’accompagnement avec Pôle Emploi encore récemment et c’était super. Pour ce stage, à la Chambre des métiers, je ne m’attendais pas à cela ».

1er conseil : ne pas garder son nom à consonance étrangère et prendre un nom commercial

Le « cela » fait référence aux propos tenus par l’une des formatrices aux candidats lors du premier jour de stage ce mardi 23 janvier. « La formatrice a littéralement recommandé aux gens qui ont un nom à consonance étrangère de favoriser un nom commercial pour ne pas refroidir les clients. J’étais assez choquée », rapporte Emilie.

Des propos confirmés par Antoine*, un autre participant. « Oui, elle a bien dit que pour les personnes étrangères ce n’était pas bon commercialement de mettre son nom sur l’enseigne ». Et de poursuivre : « Je suis d’origine africaine, on est en France, c’est malheureux qu’on nous dise que nos noms, nos identités ne sont pas assez commerciaux ».

« C’est assez incroyable qu’en 2018, une formatrice en Chambre des métiers et de l’artisanat à Paris, dans une ville aussi cosmopolite, en soit à conseiller à des futurs entrepreneurs de gommer leurs identités », s’insurge Emilie.

2ème conseil : « Banlieusards, domiciliez-vous à Paris » !

Selon les deux participants, la formatrice a également recommandé aux candidats habitant en « banlieue de se domicilier à Paris ». « Je me suis insurgée. J’ai répondu à cette dame que si des gens ne voulaient pas travailler avec moi parce que j’étais banlieusarde et bien je les refuserais, se rappelle Emilie. Si même une formatrice en Chambre des métiers se met à dire cela, on ne s’en sortira jamais ! Ces remarques n’ont pas leur place ici ».

« Cela pose plein de questions, poursuit-elle. Par exemple, domicilier son entreprise à Paris, ça coûte de l’argent : entre 150 à 300 euros par an, selon les services, ajoute Emilie. En plus de ce que cela sous-entend, cette dame demande donc à des gens qui vont créer leur entreprise de s’engager dans des coûts alors même qu’ils s’apprêtent à être absorbés par les charges et les formalités administratives ».

« Racisme ordinaire »

« Cette formatrice est censée être une personne qui parle au nom d’une institution, la Chambre des métiers et de l’artisanat, elle ne devrait pas tenir ce genre de propos. Elle est au mieux maladroite. Malheureusement, les remarques et observations de ce genre sont quotidiennes. On ne les compte même plus, c’est tristement banal, c’est ce qu’on appelle du racisme ordinaire », commente Antoine. « Même les personnes concernées lors du stage ont lâché l’affaire. L’un m’a dit « c’est comme ça, faut s’y faire ».

« Notre public est fait de diversité, il ne pourrait être question de racisme chez nous »

Contacté, Laurent Luce, directeur délégué à la Chambre des métiers et de l’artisanat se dit « surpris » par ces témoignages. « Cela fait douze ans que cette formatrice intervient à la chambre des métiers de Paris, je n’ai jamais eu de tels retours la concernant et les évaluations faites par les stagiaires de ses formations sont bonnes ». Après avoir reçu la formatrice ce mardi 30 janvier, le responsable donne une toute autre version. « Selon son témoignage, un stagiaire l’a interpellée relatant que, compte tenu de son nom, il éprouvait des difficultés pour son activité. La formatrice lui a alors répondu qu’il était tout a fait en droit d’utiliser plutôt un nom commercial ».

« Quant à conseiller de s’implanter sur Paris, je ne trouve pas cela choquant. Ce n’est pas à mon sens une quelconque atteinte à une identité ou autre, ne serait ce parce que domicilier à Paris donne de la visibilité aux entreprises », 

« Le public que nous avons est un public fait de la diversité, il ne pourrait être question de racisme chez nous », conclut Laurent Luce.

« Elle légitime des comportements racistes »

Recontactée, Emilie maintient ses propos. « La scène décrite par la formatrice au responsable, ce n’est pas ce qu’il s’est passé. Je confirme qu’elle a bien conseillé à des gens de ne pas utiliser leur propre nom d’origine étrangère. Pour moi, ça n’a pas sa place dans une Chambre des métiers et de l’artisanat. Je ne dis pas que c’est malveillant, mais par ces propos, elle légitime des comportements racistes. C’est dommage et grave aussi car ce stage c’est le seul obligatoire pour les artisans et beaucoup de futurs créateurs de valeur y passent ». 

Et Emilie de conclure. « En plus d’être dangereux, ces conseils sont stupides, notamment sur la domiciliation. Paris est bien plus concurrentiel alors qu’il y a de forts besoins en petite et grande couronne où les gens ne s’auto-choquent pas d’habiter en banlieue ou de s’appeler Mohamed ! Les entrepreneurs en quartiers politique de la ville peuvent être exonérés de la cotisation foncière des entreprises entre autres. Ces critères sont faits justement pour favoriser la création dans ces quartiers en réduisant les coûts! »

Nassira EL MOADDEM

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