Alors que l’occupation du lieu culturel parisien dure depuis trois semaines, le jeudi 2 janvier s’est tenue une assemblée générale autour du thème des violences policières. Organisée par les occupants et les mineurs isolés du Collectif des jeunes du Parc de Belleville, cette rencontre a permis à plusieurs intervenants de témoigner sur le sujet.
Ces jeunes dénoncent la violence d’État qui rythme leur quotidien, qu’elle soit policière, institutionnelle ou judiciaire. « Tout ce qu’on subit en France n’est pas normal. On ne peut aller nulle part, on ne peut que se promener et c’est là qu’on se fait violenter », relate un délégué du collectif de Belleville avant de céder la parole.
Gardes à vue, agressions physiques…
Au micro, trois jeunes hommes témoignent. Ils racontent que, le plus souvent, les violences sont précédées de contrôles d’identité ou de titre de transports ou même de visites à l’hôpital pour se soigner. Gavey*, 16 ans, raconte s’être fait poursuivre dans le métro, à la station Denfert-Rochereau. « Les policiers ont cassé mon casque, mon sac à dos, m’ont tiré et frappé de tous les côtés », témoigne-t-il. L’adolescent a passé près de 24 heures au commissariat, où les coups ont continué à pleuvoir tout au long de la nuit, assure-t-il.
Abdoulaye évoque, lui, une interpellation violente et injustifiée. Le 18 décembre, après la manifestation en vue de la journée internationale des migrants, il se fait attraper devant l’entrée du métro et est accusé d’avoir touché un policier. « Il m’a menotté, on m’a emmené de force au commissariat. Je voulais prévenir l’association Utopia 56, mais on m’a pris mon téléphone, mes affaires et refusé tout ce que je demandais », dénonce-t-il.
Sa garde à vue a duré 48 heures. Il n’a pu parler qu’à un avocat qu’il ne connaissait pas et qu’il n’a jamais revu depuis. « On m’a tendu un papier et on m’a dit que j’étais obligé de le signer. On m’a aussi dit de donner mes empreintes si je ne voulais pas faire trois ans de prison », raconte-t-il, abasourdi. Le papier en question, que nous avons consulté, fait état d’une reconnaissance de culpabilité et d’un rappel à la loi.
La police en France est violente et la justice a toujours des problèmes. Depuis que je suis arrivé il y a un an, je ne comprends toujours rien
Le dernier témoignage commence aussi dans le métro, à Jaurès. Selon le mineur, des contrôleurs l’ont frappé et ont essayé de fouiller son sac alors qu’il descendait les escaliers. « On ne m’a même pas demandé mon nom. J’ai refusé la fouille, car ils n’étaient pas policiers, mais la police est arrivée et m’a emmené en garde à vue », rapporte ce dernier.
« La police en France est violente et la justice a toujours des problèmes. Depuis que je suis arrivé il y a un an, je ne comprends toujours rien », souffle l’adolescent. Les violences policières commises sur les personnes exilé.es sont documentées par les associations. Dans un rapport publié par plusieurs d’entre elles, dont Médecins du monde, quelque 450 cas de violences policières envers des migrants vivant à la rue, en Île-de-France, sont recensées. Un chiffre largement sous-estimé, selon ces associations, qui dénoncent des pratiques « systémiques ».
Les familles de victimes de violences policières en soutien
Les violences d’État ne sont pas seulement subies par les jeunes sans papiers. C’est un combat commun, appellent les intervenantes extérieures. En tant que représentantes des comités de Vérité et Justice pour les victimes décédées aux mains de la police, deux mères sont venues témoigner de leur soutien.
Très émue, Amanda raconte l’histoire de Safyatou, Salif et Ilhan, son fils. Âgés respectivement de 17, 13 et 14 ans le 13 avril 2023, les trois enfants se sont fait percuter en scooter par la police dans le 20ᵉ arrondissement, en sortant de la mosquée pendant le ramadan. Grièvement blessé, Ilhan a quand même été emmené en garde à vue.
Les lois et nos droits existent, mais leur respect et leur application suivent des biais racistes
« La police n’est pas seulement violente, elle est raciste. Les lois et nos droits existent, mais leur respect et leur application suivent des biais racistes », déplore Amanda devant l’assemblée. Et de conseiller aux jeunes présents de ne pas rester seuls dans l’espace public.
La sœur de Lamine Dieng est, elle aussi, présente. Son frère est décédé le 17 juin 2007 suite à un plaquage ventral lors d’un contrôle de police. Elle rappelle l’importance de s’organiser, d’avoir des initiatives collectives et autonomes. « C’est comme si tout ce que faisaient les jeunes noirs était criminalisable par la police », s’émeut-elle. Le comité Vérité et Justice pour Lamine Dieng a établi depuis longtemps des revendications concrètes et effectives contre les violences policières. Parmi elles, l’interdiction du plaquage ventral, de la clé d’étranglement, du pliage ou des lanceurs de balles de défense (LBD).
S’informer et se rassembler
Au cours des discussions, plusieurs intervenants prennent la parole pour partager des conseils concrets et proposer des initiatives. Des membres de l’assemblée Anti-CRA (centres de rétention administratifs) d’Île-de-France proposent d’animer un atelier à la Gaîté sur les réflexes à avoir en cas d’arrestation et de rétention.
« Dans les CRA, la police décide de tout : de la durée des visites, des placements en isolement, de quand faire des fouilles », expliquent les militants. Ces derniers rappellent les décès de Mohammed, un homme d’origine égyptienne en mai 2023 au CRA de Vincennes. Régulièrement, les associations dénoncent les conditions de rétention dans ces centres dans lesquels se multiplient les décès et les suicides.
Dans la pratique, vos droits ne sont pas respectés, les institutions agissent dans l’illégalité
Des avocats de la Legal Team (collectif d’avocats contre la répression) sont également présents pour partager leurs analyses et apporter quelques recommandations. « Dans la pratique, vos droits ne sont pas respectés, les institutions agissent dans l’illégalité et ne vous considèrent pas. Mais il faut quand même bien connaitre vos droits », recommande Alexis Baudelin, avocat au barreau de Paris.
Ce dernier insiste sur l’importance de la présence d’un avocat lors d’une garde à vue. « Le médecin n’est pas toujours un ami, l’avocat peut en revanche prendre vos blessures en photos, les constater, assister à vos échanges avec la police…», fait-il remarquer. Sa consœur met en garde contre la violence judiciaire et psychologique qui succède aux violences policières. « L’IGPN vous verra non pas comme une victime, mais comme l’auteur d’une infraction. Il ne faut pas porter plainte contre la police avec trop d’espoir. Je conseille de prendre cette décision avec la détermination et l’accompagnement nécessaire », insiste-t-elle.
Entretenir des conditions de vie en collectif
L’occupation a commencé mardi 10 décembre 2024. Certains jours, des rassemblements ont lieu devant la Gaîté Lyrique à 18 heures, suivis par des AG où se discute l’organisation du quotidien au sein des lieux. Malgré les efforts du collectif, les conditions de vie sont difficiles.
« On ne dort pas normalement, on ne mange pas normalement, on ne se lave pas normalement… C’est la première fois que je reste dans une occupation. Ça commence à être fatiguant », raconte Mohammed, 16 ans. « La vie ici avec les autres est un peu compliquée. On est là toute la journée alors parfois, on s’énerve. Parfois, quelqu’un se fait mal à cause des tensions. C’est difficile », confie Bouba, 17 ans.
L’État et la mairie de Paris ne répondent pas aux revendications des occupants. Du côté de la mairie, l’adjointe chargée de l’hébergement d’urgence et de la protection des réfugié.es, Léa Filoche, expliquait à Mediapart que malgré les logements vides nombreux à Paris, « c’est l’État qui a le pouvoir de les ouvrir à ces personnes dans le besoin ».
On voulait des logements, aller à l’école, obtenir des papiers. Mais en fait, on ne réussit qu’à manger et dormir, comme on peut
Les mineurs isolés se heurtent alors non seulement à la violence, mais à l’inaction des institutions. Mohammed se rappelle tous les rendez-vous qu’on lui a donnés en Île-de-France, qui n’ont jamais abouti. Ces interminables démarches l’épuisent. « Il n’y a pas de solutions ici à Paris. Je pense qu’à la campagne, ça peut être mieux, ou à Lyon, Marseille… », envisage-t-il. Bouba déplore l’inaction de la mairie de Paris. « Avant, j’étais devant l’Hôtel de Ville, j’ai dormi sur les quais de Seine pendant quatre mois. On voulait des logements, aller à l’école, obtenir des papiers. Mais en fait, on ne réussit qu’à manger et dormir, comme on peut », constate-t-il.
Ce que la majorité des jeunes occupants attendent, c’est d’être officiellement reconnu mineur, d’être “confirmé” pour accéder à leurs droits. « Même confirmés, les jeunes doivent savoir que les problèmes ne se terminent pas, il reste encore beaucoup de défis. On est logés, mais affectés dans un bâtiment, mélangés avec ceux qui n’ont pas été reconnus mineurs. On n’a pas le droit de sortir, d’avoir notre propre argent. Il n’y a pas d’eau potable, pas assez d’eau chaude pour tout le monde. On m’a transféré parce que je ne me laissais pas faire et je posais des questions sur ces conditions de vie », témoigne un mineur à distance, via un message pré-enregistré et diffusé lors du rassemblement.
Alors que l’occupation dure depuis presque un mois, la Gaîté Lyrique a fermé le lieu au public le 17 décembre et a suspendu sa programmation culturelle. Dans des communiqués, la direction se joint à leurs revendications et presse la Ville de Paris de trouver une solution de relogement pour tous les occupants.
Louise Sanchez-Copeaux
Photo : Dario Nadal
*Tous les prénoms ont été modifiés