Au lieu de créer une ‘Super Ligue’ ils devraient aider les clubs amateurs de leurs pays, les clubs qui sont dans le besoin. Mais bon… c’est à l’image de notre société”, tranche avec amertume Luigi Grisorio, président du club de foot de l’association sportive la francilienne 94 au Perreux sur Marne (Val-de-Marne). Pour son club, comme le reste des clubs amateurs, ce sera une nouvelle saison blanche pour cette saison 2020-2021.

Deux saisons, coupées de compétitions, sans descente ni montée, au cours desquelles les achats de licences descendent en flèche dans des clubs où le casse-tête financier faisait déjà partie de l’équation avant la pandémie. Pendant ce temps, au sommet du foot européen, ceux qu’on appelle les “grands clubs”, se battaient pour un nouveau gâteau, las de partager celui qu’ils considéraient comme le leur exclusivement.

Le projet de la Super Ligue a suscité de vives réactions dans le monde du football. Cette ligue très fermée, qui devait concurrencer la Ligue des Champions, rassemblait 12 grands clubs européens : six anglais, trois espagnols et italiens. Parmi eux, les clubs les plus riches du vieux continent : le FC Barcelone, le Real Madrid, Manchester United ou encore la Juventus. 5,1 milliards d’euros , investis par la Banque JP Morgan, devaient être reversés aux clubs participant à cette ligue, ce qui représentait une “occasion en or” pour ces équipes.

La même passion, pas les mêmes préoccupations

Une nouvelle qui a fait l’effet d’une bombe pour tous les fans de football en Europe, dans les médias, mais aussi dans les clubs des quartiers populaires, où la fracture entre un monde professionnel soumis aux enjeux colossaux des droits télévisés et un monde amateur impuissant face à la pandémie de Covid-19, se fait de plus en plus sentir.

C’est pour les clubs qui ont de l’argent. Ils jouent cette compétition seulement entre eux et s’enrichissent.

Pour Luigi Grisorio, la Super Ligue ne se résume qu’à une question d’argent. “C’est pour les clubs qui ont de l’argent. Ils jouent cette compétition seulement entre eux et s’enrichissent ». »À côté de ça on a des clubs amateurs qui vont fermer définitivement, qui vont disparaître à cause de la pandémie”, regrette, le président du club de foot perreuxien.

C’est complètement dérisoire, ce sont des manœuvres qui nous dépassent. Ce sont des comportements de chefs d’entreprises, ça n’a rien à voir avec le sport.

La Super Ligue ? Ça a fait le buzz!”, s’exclame Laurent Sabotier, président du club de football de Bussy Saint Georges (Seine-et-Marne) “C’est complètement dérisoire, ce sont des manœuvres qui nous dépassent. Ce sont des comportements de chefs d’entreprises, ça n’a rien à voir avec le sport.”

Devant le tollé mondial provoqué par la Super Ligue, dans laquelle ne figuraient pas des clubs comme le Bayern, le PSG, ou d’autres clubs emblématiques comme ceux issus de Turquie, du Portugal, d’Ukraine, ou de Grèce, le projet sera finalement avorté dans un climat mitigé entre les félicitations et une nouvelle prise de conscience de l’avidité toujours plus crue des leaders du football mondial.

Quelques semaines plus tôt, le communiqué du 24 mars 2021 de la Fédération Française de Football (FFF) annonçant l’arrêt des compétitions régionales et départementales amateures avait fait couler beaucoup moins d’encre. “Le Comité exécutif (Comex) de la Fédération Française de Football a pris la décision de mettre un terme à l’ensemble des compétitions amateurs départementales et régionales métropolitaines pour la saison 2020-2021, en raison de l’épidémie de la Covid-19 et des mesures sanitaires renforcées”, indiquait le communiqué.

L’arrêt de la compétition : la baisse des inscriptions pour les clubs amateurs

Suite aux nouvelles mesures sanitaires annoncées par le président de la République Emmanuel Macron le 31 mars dernier, déclinées ensuite pour le sport par le ministère des sports, les entraînements au sein des clubs de foot sont finalement autorisés dans le respect des règles sanitaires pour les jeunes de moins de 18 ans. “On continue les entraînements seulement pour nos équipes mineurs, mais pas pour nos équipes seniors. On s’entraîne par groupe de trois espacé de 2 mètres”, indique Henri Soumah, entraîneur au Sporting Football Club (SFC) de Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis).

On a perdu 100 licenciés depuis la saison dernière, pour la saison 2019-2020 on était 540 licenciés et aujourd’hui on est 438 licenciés.

Mais malgré le maintien de l’entraînement des équipes de jeunes, l’arrêt des compétitions régionales et départementales a un lourd impact sportif et économique sur les clubs de foot amateurs qui ne cessent d’être fragilisés.

On a perdu 100 licenciés depuis la saison dernière, pour la saison 2019-2020 on était 540 licenciés et aujourd’hui on est 438 licenciés. La pandémie a refroidi certains de nos jeunes à se réinscrire”, déplore le président Luigi Grisorio. “Mon club a déjà 20 000 euros de pertes…” ajoute le dirigeant qui s’inquiète de voir ces pertes augmenter à la reprise de septembre.

Un foot business dont on paie les conséquences sur le terrain

Interrogés, entraîneurs et présidents de clubs amateurs, restent sceptiques quant à un éventuel changement des mentalités avec l’onde de choc de l’échec de la Super Ligue. Laurent Sabotier, président du club de football de Bussy Saint Georges, est convaincu qu’un projet de cette ampleur aura malheureusement lieu. “Oui, elle aura lieu mais pas dans sa forme actuelle. Le monde du football change, l’approche footballistique aussi. Cette Super Ligue montre l’évolution sociétale, elle s’enferme dans une forme d’égoïsme« , poursuit-il.

Luigi Grisorio observe aussi les conséquences de l’évolution financière du football professionnel sur le comportement de certains parents avec leurs enfants qui évoluent en amateur. Le plaisir des enfants se voit parfois remplacé par des ambitions parentales et des exigences par procuration. “Quand on voit Kylian Mbappé, un joueur très talentueux, qui a très vite percé dans le football professionnel en devenant l’un des joueurs les plus chers au monde, les parents font tout pour que leur enfant soit le prochain”, déclare le dirigeant de la francilienne 94 au Perreux sur Marne.

Maintenant il faut dire aux gens, aux parents, aux entraîneurs, qu’il faut aider les clubs à se relancer et les accompagner.

“Ça les rend fous, ils pètent des câbles quand leur enfant sort pendant le match, ils leur font subir des entraînements excessifs… Ils sont très durs à gérer et je vois petit à petit ce genre de comportement dans mon club mais aussi dans les autres clubs .” soupire Luigi Grisorio.

Mais pour certains dirigeants comme Matthieu Robert, président du FC Bourget (Seine-Saint-Denis), la Super League est loin des préoccupations du quotidien.  “ Le foot se joue dans un club. C’est un acteur social et sportif. Le club de demain doit continuer à répondre à ce double objectif”, explique le président qui veut adresser un message d’espoir aux licenciés. “On fait tout pour que vous soyez accueillis dans les meilleures conditions l’année prochaine. Maintenant il faut dire aux gens, aux parents, aux entraîneurs, qu’il faut aider les clubs à se relancer et les accompagner. On a besoin des clubs de foot.”

Emeline Odi 
Hervé Hinopay

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