Grâce au Projet de rénovation urbaine et sociale (PRUS), La Noue est actuellement en pleine mutation. Mais comme dans beaucoup de quartiers, les habitants doivent faire face à de nombreuses difficultés : nuisances sonores, manque de mixité sociale, délinquance. Une partie des résidents se sent abandonnée. Reportage.

Les rues de la cité sont quasiment désertes ce vendredi. Le silence n’est rompu que par le bruit des travaux entamés dans le cadre du Projet de rénovation urbaine et sociale (PRUS) dont bénéficie la zone. Ce matin, le temps n’est pas particulièrement clément, difficile de croiser un habitant du quartier. « Les travaux ont vraiment perturbé l’ambiance de la cité, explique Bonkata Eyenga, 25 ans, vivant à La Noue depuis 1996. Il y a plus d’un an, ils sont entrés pour raser les terrains, depuis, c’est un peu une cité morte ».

« On ne fait plus rien »

A ce stade des travaux, la remise à neuf du quartier montreuillois ne fait pas l’unanimité. « On ne peut plus passer, on ne peut plus se garer dans la cité, regrette Bakary Doumbia, 19 ans. Il y avait un terrain de foot, ils l’ont détruit. J’espère qu’ils vont le refaire. (…) On ne fait plus rien, on n’est nulle part, chacun de son côté. On s’ennuie un peu. Parfois, on trouve des trucs à faire mais c’est rare ». Au centre de la cité, un immense tas de terre s’amoncelle à quelques pas des bâtiments. A côté de la bosse géante, on distingue une pelleteuse et une brouette laissée à l’abandon pour la pause déjeuner. Un panier, sans filet, trône seul au milieu du site désert. Après le foot, les habitants de La Noue se voient aussi privés de basket.

Les travaux actuellement menés s’inscrivent dans la phase 1 du PRUS. Cette étape comprend notamment la construction d’une rue qui traversera la cité. Sur la piste nouvellement goudronnée, un ouvrier s’active au chalumeau sur un dos d’âne. « C’est pour les dents de requin », explique l’un de ses collègues. Le goudron sec chauffe au contact de la flamme. Son odeur, si particulière, se propage dans un rayon de plusieurs mètres. Après avoir préparé la zone, les ouvriers réalisent les cinq triangles blancs qui annonceront le ralentisseur.

« Ils se sentent agressés, ils disent que nous sommes racistes »

Pour Coralie Diatkine, habitante du quartier, la construction de cette route n’est pas une bonne idée. Musicienne, elle vit à Montreuil depuis deux ans et demi. En 2015, elle décide de monter sa boîte et achète un appartement « relativement spacieux » pour pouvoir y travailler. En emménageant dans le quartier de La Noue, située à une centaine de mètres de son ancien domicile, la Montreuilloise découvre « un autre monde », raconte-t-elle. En juillet, épaulée par Florence (qui ne souhaite pas divulguer son nom par peur de représailles), elle met en ligne une pétition dont l’objectif majeur est de mettre fin aux rodéos motos et aux nuisances sonores qui les accompagnent. Pour l’artiste, impossible d’exercer sa profession sur place quand les ballets de deux-roues entrent en scène. « Je suis obligée de prendre un espace de co-working ailleurs, déplore la femme de petite taille vêtue d’un long manteau noir. Je dépense de l’argent en plus alors que j’ai la place pour travailler chez moi ». Selon elle, la nouvelle rue va se transformer en véritable « boulevard » pour les motos. « La rue sera limité à 20 km/h. (…) Elle a été aménagée en concertation avec l’architecte pour limiter la grande vitesse », explique Halima Menhoudj, adjointe au maire de Montreuil et élue du quartier de La Noue.

Un peu avant midi, une bande d’enfants débarque sur l’aire de jeu aménagée grâce au PRUS. Parmi les plus jeunes, les rodéos motos ne semblent pas déranger grand monde. « Nous, on a l’habitude, mais certains adultes se plaignent l’été », raconte Zina, 12 ans, tout en jouant à la balançoire avec ses amis. S’agissant des travaux, la jeune fille estime qu’ils vont permettre « d’améliorer l’état de la cité. Mais pour l’instant, c’est chiant ». A quelques mètres de l’aire de jeu, un couple de personnes agées traverse la cité. Changement de génération, nouveau point de vue. Jacques, baguette et sac de médicaments sous le bras revient de la pharmacie. Le retraité ne supporte plus les rodéos. « Les soirs d’été, c’est intenable. On ne peut pas laisser une fenêtre ouverte ». Ce dernier dénonce également le fossé qui s’est creusé avec une partie des jeunes du quartier et les incivilités dont il est victime. « Si nous leur parlons, ils se sentent agressés, ils disent que nous sommes racistes ».

Manque de mixité sociale et délinquance

Si les nuisances sonores causées par les rodéos ne se produisent qu’en période estivale, la mise en ligne de la pétition était-elle vraiment nécessaire ? En réalité, le combat de Coralie Diatkine ne s’arrête pas aux bruits émis par les deux-roues. La musicienne souhaite alerter plus globalement sur le manque croissant de mixité sociale et la vétusté de certaines zones du quartier. « Ils pourraient faire préemption sur cette espèce de galerie commerciale qui est vraiment dégueulasse, ils ne le font pas, explique-t-elle en faisant visiter l’endroit. On sait qu’ils ont la possibilité de le faire, ils ne le font pas ». La galerie marchande du quartier est en mauvais état. Du sol au plafond, la saleté a investi le lieu sombre et mal éclairé. Plusieurs obstacles freinent la prise en charge de la galerie par la mairie. « Nous voulions la rénover dans le cadre du PRUS 1 mais il n’y a pas suffisamment d’argent, justifie Halima Menhoudj. C’est du privé, ça n’appartient pas à la ville. Juridiquement, on n’avait pas tous les éléments pour pouvoir avancer sur ce dossier ».

Autre problème mis en avant dans la pétition de Coralie Diatkine : la délinquance qui, selon elle, empoisonne la vie d’une partie des habitants. En milieu d’après-midi, une habitante des Clos-Français, à côté de La Noue, accueille les deux créatrices de la pétition à son domicile. Dans le petit salon, des gens discutent devant BFM TV. Le groupe de résidents évoque les agissements, pas toujours légaux, dont ils sont témoins. « Comme disent les jeunes, c’est les affaires », explique le seul homme de la table, qui refuse de prononcer le mot drogue. D’après les habitants présents dans l’appartement, plusieurs engins de construction ont été incendiés le 14 juillet. Au milieu de la conversation, la maîtresse des lieux lance : « Pas de photo, pas de nom ». Cette dernière veut s’assurer que son témoignage restera anonyme, la méfiance est de mise. Au fil de la discussion, la question de la présence policière se pose. Dans le quartier de La Noue, les forces de l’ordre ne sont pas souvent là. Coralie Diatkine regrette « la suppression de la police de proximité par Sarkozy ». Pour Halima Menhoudj, « la police nationale est défaillante et n’est pas là quand il faut. Nous, on ne peut pas jouer les cow-boys, ce n’est pas notre rôle. Notre rôle, c’est de faire en sorte que tout le monde se sente bien dans le quartier ».

« Ce n’est pas le Bronx »

Mise en ligne au début du mois de juillet, la pétition de Coralie Diatkine a réuni à ce jour plus de 7 700 signatures. L’habitante a sollicité la mairie dans son combat. Elle attend toujours d’être reçue. La municipalité regrette, elle, la proportion que cette initiative a pris. « Je ne nie pas qu’il y a des difficultés dans le quartier, affirme Halima Menhoudj. Mais ce n’est pas 7 jour sur 7, 12 mois sur 12. Je vis aux Clos-Français depuis un peu plus de 15 ans. Je passe par là tous les jours, mes enfants sont dans les écoles du quartier, ce n’est pas le Bronx ». La mairie dénonce également la publication de commentaires racistes sur la page de la pétition : « On n’est pas dans la brousse », « Y’en a marre des bougnoules », « Bande de connards, vous n’avez qu’à voter Le Pen, vous arrêterez de chialer »… Coralie Diatkine affirme être de gauche et ne se reconnaît pas dans ces insultes. Son initiative est apolitique et elle ne souhaite être récupérée par aucun parti: « Je ne suis pour rien dans ces commentaires racistes, je signale au contraire que je veux que ce quartier reste un quartier vivable où tout le monde peut vivre ensemble malgré les différences d’origines, les différences sociales ».

La Noue s’est transformé en chantier géant. Des rangées de barrières coupent la cité, obligeant les résidents à emprunter de nouveaux chemins. Des panneaux jaunes « Passage piétons obligatoire » sont placardés un peu partout pour encadrer les déplacements des habitants. Les travaux ont débuté en décembre 2015 avec un budget de plus de six millions d’euros au total et dureront environ 18 mois. Plusieurs acteurs ont contribué au financement du projet : l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (établissement placé sous la tutelle du ministre chargé de la politique de la ville) à hauteur d’1,2 million d’euros, le Conseil régional (1,3 millions) et l’Agence Eau Seine Normandie (217 000 euros). Le reste (4 millions d’euros) a été pris en charge par la ville de Montreuil. Depuis plus d’un an, les travaux bouleversent la vie des habitants.

« Quand vous avez un quartier qui est en chantier, les gens ne se sentent pas bien, explique Halima Menhoudj. Il y a de la boue, des trous partout. La vie est perturbée, ça pousse un petit peu au ras-le-bol. Mais on va vers quelque chose de beau ». La mutation du quartier est déjà visible. Il n’y a plus aucune trace du terrain de foot évoqué par Bakary Doumbia. Une partie de la zone est recouverte de ciment. Les travaux de la phase 1 devraient permettre au jeune homme de rejouer au foot. « On va avoir des espaces publics de qualité, de nouveaux équipements pour les enfants et les jeunes ados, des espaces verts, des terrains de sport », précise Halima Menhoudj.

Après le passage aux Clos-Français, Coralie Diatkine et Florence poursuivent leur tour de La Noue sous une pluie fine. Pour la première, la mairie gère mal le PRUS. Elle attend beaucoup plus de la municipalité. « C’est bien mais ça ne suffit pas. Il faut donner du travail aux gens. Il faut une offre culturelle, artistique, sociale, de la convivialité. Il faut qu’il y ait une vraie vie exactement comme dans le centre-ville ». Dans la cité, les travaux se poursuivent. La nouvelle rue devrait être finalisée dans quelques semaines. La phase 2 est déjà en préparation. Elle devrait notamment concerner la requalification des commerces et la réhabilitation de logements sociaux. La Noue n’en a pas fini avec les travaux.

Jacques-Alexandre ESSOSSO

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