Mardi 12 janvier, la représentation de la pièce « A mon âge, je me cache encore pour fumer », jouée à la Maison des Métallos, au cœur de Belleville, à Paris, a commencé en retard. La raison ? La comédienne et auteure Rayhana a été victime d’une agression. Emue, tout de noir vêtue, elle relate aux journalistes venus hier à la conférence de presse les faits qui se sont produits alors qu’elle se rendait au théâtre.

« C’était bizarre. Je marche toujours tête baissée. Deux hommes me bloquent. L’un m’a tenue par derrière, je reçois une giclée d’un liquide. C’était de l’essence, je reconnais l’odeur de l’essence qui m’a brûlé les yeux. Une braise a touché mon bonnet. Cela ressemble à une cigarette. Et même temps, celui qui était derrière me dit, dans un parfait français sans accent maghrébin « on t’avait prévenue ». » Affolée elle se rend dans plusieurs commerces, leur demande de prévenir la police. Sans succès. C’est le théâtre qui appellera les secours. Si elle n’en tire aucune séquelle physique, Rayhana est en état de choc. Ce qui ne l’empêche pas d’honorer ses obligations professionnelles et de monter sur scène le soir même.

Cette agression n’est pas une première. La comédienne raconte avoir fait le lien avec un incident survenu le 5 janvier. Elle s’excuse d’être émue et poursuit. Toujours dans le quartier de Belleville, alors qu’elle sort de la résidence où elle loge, un individu la traite de « mécréante » et de « putain », et lui dit : « Tu crois qu’on ne sait pas qui t’es ? » Par précaution, elle dépose plainte au commissariat voisin.

Lorsqu’on lui demande si le contenu de la pièce qu’elle défend, que nous n’avons pas pu voir, est lié à ces agressions, la comédienne hésite. Elle en raconte les grandes lignes. Dans les vapeurs d’un hammam, neuf femmes relatent leur vie quotidienne pendant les années noires en Algérie. « Elles parlent des hommes et de l’intégrisme. Je dénonce l’oppression des femmes », précise-t-elle.

La comédienne s’avoue volontiers féministe. Et explique que la pièce a bénéficié d’un bouche-à-oreilles favorable qui « en a irrité certains ». Rayhana ajoute que des femmes arabo-musulmanes assistent aux représentations, mais pas seulement. « J’ai situé mon histoire à Alger car c’est ce que je connais, c’est ma culture. Je suis allée vers l’universel. Fatima pourrait s’appeler Françoise. » Pour autant, elle estime que sa pièce n’est pas politique.

Un constat partagé par Fabian Chapuis, le metteur en scène de la pièce : « C’est sans prétention, il n’y a pas de discours politique », dit-il comme pour s’excuser d’avoir eu un peu d’audace. A la question de savoir si une nudité éventuelle des actrices sur scène aurait pu froisser des susceptibilités, le jeune homme réfute et confie que seuls « quelques seins sont entraperçus ».

Jouer un spectacle engagé dans une rue célèbre pour sa mosquée et ses échoppes considérées comme rigoristes a-t-il pu contribuer à ces agressions ? « Je ne suis pas sûre à 100% que ce soit lié à la pièce », répond la comédienne. Et dit ne pas s’être posé la question quant à cette présence religieuse. « Pour moi, c’est un bel hasard. »

Christophe Girard (debout, au centre), adjoint à la culture à la Mairie de Paris, a tenu à apporter son soutien à l’actrice algérienne. Il réaffirme la tradition d’accueil et de protection des artistes de la ville de Paris. Et appelle à la prudence tant que l’enquête policière n’a pas livré ses conclusions. Christophe Girard insiste sur la nécessité d’éviter les « raccourcis dangereux ».  « Il y a un intérêt médiatique et politique à dire que c’est de l’intégrisme alors qu’il ne s’agit peut-être que de deux zozos. D’une violence, une autre violence peut naître. »

Rayhana raconte avoir quitté l’Algérie durant la décennie noire. Elle n’a pas averti sa famille en Algérie, pour qui elle a peur, de ces agressions. Par sécurité, l’actrice a été placée sous protection policière. Pourtant, celle-ci déclare n’avoir pas peur pour elle-même. Et s’en excuse presque. « Je n’ai pas honte de ce que j’ai écrit. Je n’ai pas peur, je ne me cache plus pour vivre. Je suis en France, un pays où il y a la liberté d’expression. »

Faïza Zerouala

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