Promenez-vous à Fontbarlettes, la plus grande Zone Urbaine Sensible de Valence et vous y croiserez forcément Ahmed Hamrouni. Chemise impeccable sous son caban en cuir, lunettes qui se teintent au soleil de la Drôme, il porte un énorme trousseau de clés comme s’il était le gardien du quartier. La vérité n’est pas si loin : il veille jour et nuit sur l’école du quartier, la Maison des syndicats et la Maison Pour tous.

Pourtant à Fontbarlettes, personne ne le surnomme Le Gardien, car pour tous Ahmed Hamrouni, c’est « L’Ambassade ». Pour expliquer ce surnom, outre la popularité de cette figure « historique » de Valence-Le-Haut, il se murmure que l’énergie qu’il aurait déployée pour faire voter les habitants du quartier lors des dernières élections municipales aurait fait la différence. En 2008, après 20 ans de droite, Valence bascule à gauche et c’est les voix de Fontbarlettes qui auraient joué le rôle d’arbitre…

Ahmed Hamrouni n’est pas né à Valence mais il y vit depuis 1977. A cette époque,  son père qui travaille dans le BTP en France depuis 1957 bénéficie de la loi du regroupement familial et fait venir ses 2 fils et sa femme. Ahmed a 23 ans, l’âge de son fils unique aujourd’hui, qui fait carrière dans les espaces verts et paysages. 23 ans de vie à Tunis contre 35 ans à Fontbarlettes, forcément, ça créé des liens même si tous les 2 ans, il retourne un mois en Tunisie pour visiter les amis d’enfance et sa sœur, mariée et restée au pays.

Si son accent maghrébin résonne comme un souvenir de jeunesse, Ahmed se sent autant Français que Tunisien et ne semble avoir aucune difficulté à vivre cette double identité : « Quand j’ai quitté le pays pour venir en France, je me souviendrai toujours de ce que m’a dit un douanier Tunisien en voyant mon passeport. « Si tu te comportes mal à l’étranger, c’est ton pays que tu salis ». Cette phrase m’a beaucoup marquée. Je suis aussi Français, et j’ai toujours à cœur de respecter les lois du pays », tient-t-il à souligner.

Au départ, sa vie professionnelle fut sinueuse : ramasseur de fruits, vendeur de pêches sur le marché, ouvrier d’usine… Mais c’est dans les restaurants, à la plonge, qu’il effectuera de longues années de labeur où selon les patrons, il connaîtra le destin d’être traité comme un employé respecté, ou parfois, celui d’être maltraité : Comme avec ce patron qui n’hésitait pas à pulvériser de l’insecticide sous son nez provoquant chez lui des crises d’asthme… Quant la méchanceté ou le racisme croise la bêtise humaine.

Mais Ahmed Hamrouni ne veut garder que les bons souvenirs. Il se remémore cet agent de la préfecture qui avait sympathisé avec lui sur un marché et qui l’avait aidé dans ses démarches administratives. Ou ce patron de restaurant qui appréciait le travail d’Ahmed et qui, un jour, s’était mis dans une colère noire voyant que les cuisiniers n’avaient pas eu les mêmes égards pour le repas d’Ahmed que pour le leur…

Aujourd’hui, les petits boulots et la restauration sont derrière lui. Il apprécie son métier de gardien qui lui permet d’être autonome et d’avoir accès au statut d’agent municipal qu’il espère occuper jusqu’à sa retraite. « Mais pas à 60 ans, plus tard… » Il se voit gardien des structures de Fontbarlettes encore quelques années avant de couler une retraite paisible entre Valence et les vacances en Tunisie.

Si Ahmed adore son quartier et s’épanouit dans son activité professionnelle, certains jeunes lui causent stress et tracas. Une toute petite minorité, entre 20 et 30 selon lui, pour une population de près de 8000 habitants. « Certains me traitent de balance ! » « Mais mon rôle est de garder les bâtiments et de veiller à leur sécurité. S’il y a une intrusion ou une dégradation, je suis bien obligé de le signaler… Je respecte les lois. » Affirme-t-il. De l’amertume teinte sa voix quand il évoque ses « mailles à partir » avec ces jeunes… Mais pas de quoi déboulonner « L’ambassade » de Fontbarlettes !

Quand du temps libre s’offre à lui, Ahmed aime faire du sport pour que sa santé d’asthmatique s’améliore : de la musculation, du fitness ou encore du vélo jusqu’à Bourg-les-Valence. Il aime aussi regarder la télévision mais avec sa femme, ils ne sont pas toujours d’accord. A elle les films égyptiens, à lui les infos françaises, surtout sur la politique qui le passionne. Et puis le foot bien sûr. Il soutient l’équipe de France. Et la Tunisie quand elle joue en CAN par exemple. « Et pour un match France-Tunisie ? » le taquine-t-on. « Là, je ne choisis pas, je suis pour que le meilleur gagne ». L’art de la diplomatie en effet pour « L’Ambassade de Fontbarlettes ». Autre activité personnelle : le vendredi, il se rend à la mosquée où il remarque que de plus en plus de jeunes s’y retrouvent.

Ce passionné de la vie politique a déjà fait son choix pour les prochaines élections. « Hollande ! C’est la logique… Lui au premier tour, après, on verra ! ». Des échéances électorales qu’il va pouvoir scruter à la télévision dans les émissions politiques qu’il affectionne tant, ou, à Fontbarlettes, dans les bureaux de vote de son quartier, sur lequel il veille en gardien plein de sagesse, repu par l’expérience de la vie…

Sandrine Dionys

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