Emeline Odi : Qu’est ce qui vous a poussé à réaliser cette enquête ?

Assia Hamdi: Ce sont toutes les questions autour de la place des femmes dans le sport. C’est un sujet que je suis depuis que je suis journaliste. Je m’intéresse aux problèmes de l’égalité salariale, aux questions liées au corps comme la grossesse, ou les menstruations. Le déclic a vraiment été l’affaire Abitbol, début 2020. Juste avant, il y avait eu l’enquête publiée par Disclose sur les violences sexuelles dans le sport et quelques semaines plus tard la révélation de l’affaire Abitbol.

J’avais envie d’explorer la force de la parole des sportives. Je voulais donner du crédit à ces sportives qui ont fait bouger les choses avec leurs paroles.

J’ai été assez frappée par ce que ça avait suscité. On a vu plusieurs sportives prendre la parole, ça a créé un effet boule de neige. Et ça m’a donné l’idée de ce livre. J’avais envie d’explorer la force de la parole des sportives. Je voulais donner du crédit à ces sportives qui ont fait bouger les choses avec leur paroles. Il y a aussi une dimension militante qui est de défendre cette parole, qui à mes yeux n’est pas assez visible. J’ai voulu rendre ce livre accessible à des personnes qui ne suivent pas le sport pour qu’elles soient touchées par toutes ces histoires.

Votre livre a été préfacé par Clarisse Agbegnenou (championne olympique française de Judo), pourquoi l’avoir choisie ?

J’ai eu l’occasion de la rencontrer et d’échanger avec elle pour une interview. Pour moi elle symbolise bien l’esprit du livre : c’est une superbe championne, elle a fait ses preuves sportivement. Clarisse a une force de caractère, une aura en termes de mental. Elle a une histoire très intéressante. Elle est passée par un parcours assez difficile, elle a été prématurée. À mes yeux c’était la sportive qui s’exprimait sur toutes ces questions (liées à la place des femmes dans le sport, NDLR).

Il y a un an, quand je travaillais sur la structure de mon livre, Clarisse faisait la couverture du magazine l’Équipe avec ses seins, pour un dossier sur l’impact du sport sur les seins. J’ai trouvé ça très courageux de sa part. Prendre la parole sur des sujets comme ça est très difficile. Pour moi elle représente toutes les sportives. Elle le dit elle-même dans la préface, dès qu’elle sent que c’est important de prendre la parole elle le fait.

J’ai été frappée par la motivation et l’envie de témoigner sur ces sujets. Même pour les questions de menstruations. 

Tout au long de l’ouvrage nous pouvons lire de nombreux témoignages de sportives très poignants. Est-ce que vous avez rencontré des difficultés lors de la collecte des témoignages ?

Le fait qu’il y ait eu un confinement m’a beaucoup aidé, sinon ça aurait été compliqué ! Les sportives avaient des compétitions annulées, elles étaient donc chez elles. C’est pareil pour les sociologues, ils avaient plus de temps car leurs cours étaient en distanciel. En termes d’acceptation j’ai eu quelques refus mais je pense que c’était pour des questions de planning. J’ai été frappée par la motivation et l’envie de témoigner sur ces sujets. Même pour les questions de menstruations, je partais à tâtons. Je me disais que ça allait être compliqué, mais elles étaient assez ouvertes. Je pense aussi que c’est grâce aux médias, ils ont un peu défriché le terrain. Maintenant beaucoup de médias font des dossiers sur ces sujets.

Avec la médiatisation de l’affaire Sarah Abitbol ou de Larry Nassar (ex-médecin de la fédération américaine de gymnastique, coupable de nombreuses agressions sexuelles sur les gymnastes), pouvons-nous dire que la parole des sportives victimes de ces agressions est davantage écoutée et considérée par les fédérations et institutions sportives ?

La médiatisation de l’affaire Abitbol a suscité un effet boule de neige. En voyant une sportive parler, d’autres sportives vont parler à leur tour. Quand une victime témoigne, il y a un impact médiatique. J’ai échangé avec une jeune femme qui accusait son entraîneur, et en voyant Sarah Abitbol témoigner elle a eu le courage de porter plainte. Les jeunes femmes parlent mais c’est aussi à la justice de faire leur travail. Les médias ne doivent pas remplacer le travail de la justice.

La parole s’est ouverte, les sportives parlent plus facilement et elles se sentent plus entendues.

La parole s’est ouverte, les sportives parlent plus facilement et elles se sentent plus entendues. Que ce soit dans le sport ou dans d’autres milieux ça ne peut qu’être positif. J’avais discuté avec certaines fédérations qui avaient mis un système de signalement et une cellule de lutte contre les violences sexuelles pour accueillir les paroles des victimes.

Elles renvoient aussi les victimes vers des associations partenaires qui luttent contre ce phénomène, comme l’association le Colosse aux pieds d’argile ou le Comité éthique et sport. Ce sont deux associations qui aident les sportives victimes de violences sexuelles en les aidant avec un avocat et un psychologue.

D’ailleurs, la parole des sportives a-t-elle permis aux coachs, préparateurs physiques de mieux comprendre et de prendre conscience de la maternité, des menstruations, de l’endométriose aussi ?

Oui. En échangeant avec les entraîneurs, la médiatisation de la parole des sportives revenait assez souvent. La médiatisation sert au grand public mais aussi au monde du sport. Par exemple, un entraîneur qui va lire tel article va voir qu’un dispositif a été mis en place dans un club et il peut se dire qu’il peut le faire dans son club à lui. La médiatisation peut servir comme levier.

Vous citez plusieurs sportives dans le livre, des femmes racisées, des sportives aux corps différents, des sportives lesbiennes… L’idée de modèle et de représentativité sont-elles importantes dans le sport féminin ?

Je ne comparerais pas avec le sport pratiqué par les hommes. Je ne sais pas si c’est plus important du côté des femmes ou des hommes. L’exemple le plus flagrant c’est Serena Williams. Elle est dans un sport élitiste, majoritairement blanc où les joueuses ont toutes une silhouette fine. Alors que Serena est ronde. Elle a subi des remarques sur son corps, sur ses cheveux. Un exemple comme elle est très important parce que cela dépasse le cadre du sport. Des jeunes filles qui voient Serena Williams se disent « Je peux faire quelque chose dans la vie ». Il y aussi les garçons ! Quand j’entend des sportifs dire qu’ils ont des posters de sportives dans leur chambre ou qu’ils admirent telle ou telle sportive, je trouve ça génial.

Aujourd’hui je me dis que les footballeuses admirent peut-être Messi mais elles admirent aussi Rapinoe, Marta, Ada Hegerberg, Amandine Henry ou Wendy Renard.

Il y a beaucoup de sportives que j’ai interrogées ces dernières années, qui me disaient qu’elles avaient grandi sans modèle. Le titre de mon livre, Joue-la comme Megan, fait référence au film Joue-la comme Beckham. C’est un film où une joueuse de foot est fan de David Beckham. Et aujourd’hui je me dis que les footballeuses admirent peut-être Messi mais elles admirent aussi Rapinoe, Marta, Ada Hegerberg, Amandine Henry ou Wendy Renard.

Quand je dis que ça dépasse le sport, je pense à Megan Rapinoe avec ses prises de position contre l’homophobie. Elle montre aux petites filles qu’elles n’ont pas besoin de ressembler à une poupée barbie pour être footballeuse. On peut prendre aussi l’exemple de Sarah Ourahmoune la championne française de boxe. Elle a réussi dans un sport qui est traditionnellement masculin. Aujourd’hui dans les clubs de boxe de Seine-Saint-Denis, on voit des jeunes filles faire de la boxe. Elles ont été portées par cet exemple de réussite.

Je pense que les sportives ont un rôle à jouer mais il ne faut pas déresponsabiliser le monde du sport.

On a plus tendance à se concentrer sur le physique que la performance des femmes dans le sport. Par exemple, aux derniers J.O, à Tokyo, la tireuse à l’arc sud-coréenne An San a remporté 3 médailles d’or. Mais ce sont ses cheveux courts qui ont défrayé la chronique en Corée du Sud, sa coupe n’était pas assez « féminine ». Pareil pour Serena Williams qui a été critiquée tout au long de sa carrière pour son corps jugé trop « masculin ». Comment briser ces injonctions à la féminité dans le sport ?

Il faudrait poser la question aux sponsors (rires). Je pense que les sportives ont un rôle à jouer mais il ne faut pas déresponsabiliser le monde du sport. Elles en font déjà beaucoup, le simple fait de prendre la parole sur ces sujets, de pousser des coups de gueule est déjà très courageux de leur part. L’exemple de An San me met hors de moi, on a juste envie de regarder son palmarès. Est ce que si l’on avait eu un homme qui avait fait cette performance avec les cheveux longs, aurait-on eu les mêmes remarques ? Je n’en suis pas sûre.

Dans le livre je cite l’exemple de la surfeuse Silvana Lima. Elle n’a pas un physique qui rentre dans les canons de beauté de la “surfeuse californienne”, que l’on voit souvent sur les affiches. Elle a elle-même expliqué qu’elle avait du mal à obtenir des sponsors. Elle a dû travailler à côté pour financer ses déplacements. Il y a tout un système qui a été mis en place, c’est-à-dire qu’une sportive qui rentre dans certaines normes va potentiellement être mieux sponsorisée au détriment d’une sportive qui sort de ces normes.

Le plus important c’est que les sportives aient le choix de se vêtir et se maquiller comme elles veulent et que ça ne leur soit pas imposé.

À une époque sur les affiches de match de basket on voyait les joueuses en robe et escarpins.  Quand je revois ces affiches, je me dis que l’on a quand même progressé. Je me suis fais la réflexion quand j’ai vu l’affiche qui annonce la sélection pour la prochaine Fed Cup. On voit les 4 joueurs en position de victoire avec leurs muscles. Avant on aurait jamais vu ça ! Le plus important c’est que les sportives aient le choix de se vêtir et se maquiller comme elles veulent et que ça ne leur soit pas imposé. Maintenant les fédérations commencent à changer leur règlement et à mettre plusieurs options.

La fédération de football américain a annoncé récemment que les équipes de football masculines et féminines toucheront le même salaire. Selon vous est-ce que c’est prometteur pour l’égalité salariale H/F dans le sport ou est ce que c’est un cas isolé ?

Le cas des États-Unis est particulier. Aux États-Unis, les hommes et les femmes ne sont pas payés de la même façon par rapport à L’Europe. Les sportives ont un salaire annuel par rapport à leur participation à la sélection. Elles sont payées par la fédération. En France elles sont payées par leur club. C’est un système très complexe. Les footballeuses américaines ont un grand palmarès dans le foot et une crédibilité très forte et elles ont un salaire en deçà par rapport aux hommes. Toute la question est de savoir si c’est le palmarès qui compte ou pas.

En 2003, quand les joueuses de handball sont devenues championnes du monde, elles ont demandé une égalité des primés. Et cela a été égalisé.

La question à se poser est de savoir si une équipe de football féminine peut gagner autant qu’une équipe de foot masculine. C’est quelque chose qui se fait déjà en France. En 2003, quand les joueuses de handball sont devenues championnes du monde, elles ont demandé une égalité des primés. Et cela a été égalisé. La fédération de handball a été très investie sur l’égalité Homme/Femme: sur l’égalité salariale et dans le financement de leurs équipes.

Et c’est important que les autres fédérations s’inspirent de modèle comme ça, c’est l’investissement qui amène la réussite. L’exemple le plus marquant c’est Jean-Michel Aulas, il a investi dans le football féminin à une époque où personne ne parlait de football féminin. Au début ce n’était pas facile et petit à petit ça s’est développé. Les sponsors sont arrivés, il y eu de plus en plus de médiatisation et le budget a augmenté.

Il faudrait qu’il y ait plus de femmes, qu’elles soient au sommet et à tous les niveaux. Ce n’est pas seulement une question de hiérarchie.

Avoir plus de femmes au poste de direction des fédérations offrira-t-il de meilleures conditions pour les femmes dans le sport ?

Oui parce que l’on a besoin de modèle. Quand on regarde le nombre de dirigeantes dans les fédérations (NDLR: 13 femmes sont à la tête de fédérations sur les 115 agrégées par le ministère), ce n’est pas beaucoup. Ça reste important en terme d’identification pour que d’autres femmes voient cet exemple et se disent quelles peuvent diriger un club dans leur ville ou une association sportive. C’est pareil pour les arbitres et les coachs.

Il faudrait qu’il y en ait plus, qu’elles soient au sommet et à tous les niveaux. Ce n’est pas seulement une question de hiérarchie. Il faut une représentation locale, en banlieue parisienne, dans les quartiers et les petites villes. J’avais vu un post sur les réseaux sociaux. Une petite fille est allée voir avec sa maman un match de foot. Et la petite fille était émerveillée de voir une femme arbitrer le match. J’ai toujours cette image en tête et je me dis que c’est important que ce soit présent sur les terrain au quotidien.

Joue-la comme Megan disponible aux éditions Marabout

Emeline Odi

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