Edit : Les quatre enseignants convoqués pour la vidéo TikTok ont reçu un rappel au règlement. Il leur est reproché « de ne pas avoir respecté leur devoir de réserve, d’avoir organisé la vidéo et ne pas avoir respecté le droit à l’image des élèves ».

Le rituel est identique depuis trois semaines au lycée Blaise Cendrars à Sevran (93). Devant les grilles de l’établissement, on retrouve une vingtaine d’élèves face à une grande banderole orange siglée :  « Blaise Cendrars en lutte ». Depuis le 26 février, ces élèves se sont joints à leurs enseignants afin de réclamer un plan d’urgence pour les écoles publiques dans le 93. Ils demandent un dispositif de 358 millions d’euros pour permettre la création de 5 000 postes d’enseignants, de plus de mille postes pour la vie scolaire et 2 200 postes d’AESH.

Premières victimes avec les professeurs de ces dysfonctionnements qui durent dans le temps. Ces jeunes ont décidé d’utiliser les outils de communication de leur temps : les réseaux sociaux. Le 6 mars, ils postent une vidéo sur Tik-Tok dans laquelle illustrent avec certains enseignants le délabrement et le manque de moyen de leur établissement. Fuite d’eau, escaliers moisis, panne d’ascenseur, manque de chaises… Une vidéo qui cumule plus de 2 millions de vues.

Dans un communiqué, le syndicat Sud éducation 93 indique que quatre enseignants qui figurent dans cette vidéo sont convoqués sans motif par l’académie de Créteil, en présence d’une personne du rectorat, le vendredi 15 mars.

« On ne veut pas de chandeliers, on veut des fenêtres qu’on puisse fermer »

Lundi 11 mars, élèves et enseignants n’ont pas encore connaissance de cette convocation. Devant le piquet de grève, la bonne humeur est présente, mais les revendications sont sérieuses et précises. Lorsqu’elle a appris les motifs de la grève des enseignants, Estelle s’est aussitôt engagée dans la mobilisation des élèves. En grève depuis la rentrée, cette élève de Première raconte le quotidien difficile dans l’établissement.

« Je vois tous les jours les conditions dans lesquelles on travaille et on ne sent pas bien. Au lycée, on n’a pas de plafonds, certains murs bougent. Durant une heure de permanence, le plafond s’est effondré juste à côté de moi », lance l’adolescente de 16 ans en laissant échaper un rire nerveux.

« Ce ne sont pas des conditions normales pour travailler ! On ne veut pas de chandeliers, on veut des fenêtres qu’on puisse fermer, des lumières qui fonctionnent, des profs », poursuit-elle

Sa camarade Émilie, elle aussi très mobilisée, abonde dans son sens. « On ressent bien le manque de financement dans l’établissement, on le voit. Il y a un gros manque de matériels, de chaises. Ce n’est pas possible de faire cours et on perd du temps à chaque fois. Les classes sont surchargées, on est 35 alors qu’il n’y a même pas assez de chaises », souffle cette élève de terminale.

Les problèmes matériels sont récurrents comme les projecteurs et les ordinateurs qui ne fonctionnent pas. Les problèmes de réseaux contraignent certains professeurs à utiliser leurs ordinateurs personnels avec leur propre connexion.

« Les inégalités ne se traduisent pas dans les vêtements, mais dans les écoles », pointe Solène, élève de première, en référence à la décision du gouvernement d’expérimenter les uniformes à l’école.

« On est trop nombreux, les enseignants n’ont donc pas assez de temps pour nous aider »

L’autre grief des élèves est le manque de moyens humains et les classes surchargées. « Les profs n’ont pas assez de temps pour nous aider, explique Endy. C’est comme ça dans tout le 93. »

« L’année dernière, j’ai raté ma seconde parce que je n’ai eu que deux mois de SES (sciences économiques et sociales) et que le prof n’a pas été remplacé », raconte Fatma. « C’est un manque, j’ai des bonnes notes ici, mais je sais qu’en allant à Paris, mes notes vont chuter, car il y a une différence de niveau, d’égalité », lâche l’adolescente inquiète.

Un désarroi que l’on perçoit chez l’ensemble des lycéens. « On est très solidaire entre nous, j’ai pris tous mes cours de français de l’année dernière, je les ai envoyés à Estelle, parce que sa prof n’a pas été remplacée », explique Émilie.

Des lycéens déterminés et très organisés

La mobilisation de ces élèves s’effectue sur le terrain et sur les réseaux sociaux. Depuis le 26 février, ces derniers font preuve d’une grande organisation pour être entendus par un maximum de personnes.

Ils investissent toutes les plateformes, que ce soit Whatsapp où ils échangent des informations sur la grève. Sur Snapchat, ils communiquent l’organisation des actions à venir. Et bien sûr Tik Tok, où ils se mettent en scène dans le lycée pour dénoncer toutes les problématiques qu’ils subissent.

Sur le terrain, ils réalisent des tournées dans les écoles et les collèges pour sensibiliser les élèves et les parents à leur lutte. « Ça marche bien, car on est tous motivés, on voit que les élèves et les parents sont vraiment à l’écoute », se félicite Émilie.

En plus du blocus devant le lycée, des assemblées générales, des opérations lycée déserts sont mises en place et des interventions prévues. Un dispositif qui fonctionne puisque le mouvement est de plus en plus suivi. Des échanges et des conseils sont en cours avec d’autres établissements. Une émulation qui ne fait que commencer nous promettent ces jeunes.

Aïssata Soumaré

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