La salle n’est pas remplie au début de l’audience tant attendue. Les avocats sont arrivés en avance, plus que les plaignants, ne passant apparemment pas la sécurité du Tribunal de Grande Instance de Paris, selon leur avocat Me Slim Ben Achour. Un comble pour ces trois jeunes qui portent plainte contre l’état pour contrôle au faciès discriminatoire.

Les jeunes hommes noirs ou maghrébins 20 fois plus contrôlés que les autres

En effet, le 1er mars 2017, Mamadou Camara, Ilyas Haddaji et Zakaria Hadji Mmadi, alors lycéens en Terminale à Epinay-sur-Seine, sont contrôlés par la police à Gare du Nord alors qu’ils rentraient, avec leur classe, d’un voyage scolaire à Bruxelles. Un contrôle d’identité au faciès selon eux et leur enseignante, Elise Boscherel. Ils décident alors de porter plainte contre l’Etat pour préjudice moral et réclament chacun 30 000 euros.

Au tribunal de grande instance de Paris, l’argumentation commence par celle du représentant du Défenseur des droits, Nicolas Demard, qui rappelle à nouveau les faits. Le défenseur des droits rappelle une statistique implacable : les jeunes hommes noirs ou maghrébins sont 20 fois plus contrôlés que les autres. Pour Nicolas Demard, les justifications de la police ne sont pas suffisantes, notamment celle qui veut que les agents en question (Vincent Purrey, brigadier de police, ainsi que les gardiens de la paix Garcia et Carmel) aient « simplement fait leur travail ».

Nicolas Demard souligne que les communications radio n’ont pas été fournies par l’administration policière, des éléments qui aujourd’hui n’existent plus puisque ces enregistrements audio s’auto-détruisent sous 72 jours, les vidéos sous 3. « Les seuls qui ont été en mesure de présenter cette preuve, c’est l’administration », regrette-t-il.

Les policiers savent qu’ils sont couverts

La parole vient ensuite à l’avocat de Mamadou, Zakaria et Ilyas, Me Slim Ben Achour qui annonce la couleur de son plaidoyer. Ce dernier commence par rappeler que la discrimination raciale est un tabou, passible de 5 ans de prison. Ben Achour base la majeure partie de son argumentation sur l’absence de traçabilité de l’activité des forces de l’ordre ainsi que sur leur impunité : les forces de l’ordre – lors d’un contrôle d’identité – tutoient, forcent la soumission et le contrôle, via des fouilles au corps, et humilient en ouvrant les sacs et valises des trois jeunes hommes devant tout le monde. « Les policiers ne savent pas sur quelles conditions ils contrôlent, ils savent juste qu’ils sont couverts », déclare-t-il. L’avocat évoque ici le rapport du brigadier Purrey, réalisé le 27 avril 2017, soit deux mois après les faits, stipulant que les contrôles avait été réalisés en raison de la menace terroriste et du trafic de stupéfiants sur le sol français.

Baisse drastique des contrôles au faciès à New York

L’avocat évoque l’exemple new yorkais où la menace terroriste est aussi importante et où, pourtant, des mesures ont été prises pour repenser les contrôles d’identité. Là-bas, souligne Me Ben Achour, les contrôles au faciès ont baissé de 700 000 à 12 000 entre 2011 et 2016, sans hausse du taux de criminalité. D’autres exemples de décisions judiciaires internationales, ainsi que l’impunité des forces civiles, amènent l’avocat à conclure qu’il n’y a pas d’éléments justifiant une discrimination et que cela découle d’un racisme, conscient ou inconscient. Il termine, la voix sanglotante. « Ces jeunes sont venus me voir en me disant qu’ils voulaient changer le monde, en appliquant le droit ». Il finira par pleurer – discrètement – après son passage.

Pas de preuve de contrôle discriminatoire selon le procureur

S’il n’y a pas de preuve pour démontrer qu’il n’y a pas eu de discrimination, celles qui démontrent le contraire ne sont pas non plus présentes, selon le procureur et l’avocat de l’agent judiciaire de l’état, Me Alexandre Grard. Ce dernier ne cherche pas une « plaidoirie à l’encontre du combat contre les discriminations », qu’il juge tout à fait crucial. Le simple fait de manque de preuves concrètes ne permet pas de tisser clairement un lien entre le contrôle et une discrimination raciale juge Me Grard. Il y a « suffisamment d’éléments pour montrer que ce contrôle ne s’est pas fait sur une base discriminatoire », conclue-t-il. Un avis partagé par le procureur dans son réquisitoire qui appelle à rejeter la demande des plaignants.

Leur enseignante, Elise Boscherel, est toujours irritée par la domination exercée par les fonctionnaires de police lors de ces contrôles et le risque qu’ils amènent. « Quand trois élèves qui sont contrôlés, il y a 18, 20, 25 élèves à maintenir, c’est dangereux pour tout le monde, y compris pour les policiers ».

Me Slim Ben Achour reste assez pragmatique quant à ses demandes pour ses clients ayant conscience que cela ne fera pas changer les lois. « Nous ne sommes pas dans un cadre anglo- saxon qui permettrait de contraindre l’Etat à changer ses pratiques ». Et de poursuivre. « Je suis père, je suis citoyen de ce pays, ça m’est insupportable et je prie pour que ça ne se reproduise pas ».

Plaidoyer pour une circulaire interdisant les contrôles de police durant les sorties scolaires

Du côté des soutiens, on retrouvait Wiam Berhouma, professeure d’anglais et membre du Clappe, le tout récent Collectif de Luttes Antiracistes et Populaires de Personnels de l’Education, qui a lancé une pétition en soutien à Mamadou Camara, Ilyas Haddaji et Zakaria Hadji Mmadi pour l’interdiction de tout contrôle policier lors des sorties scolaires. « On s’attendait à ce que la justice fasse son travail, qu’elle prenne en compte qu’il y a réellement une discrimination contre ses élèves, qu’il y a eu un profilage racial via ses contrôles au faciès. Il semble que ça ne sera pas le cas vu que le procureur demande à ce que ce soit débouté et que l’avocat adverse aussi. Le réquisitoire du procureur ressemble un peu à un serpent qui se mord la queue, il faut que les plaignants prouvent qu’il y a eu discrimination, hors comme l’a dit l’avocat des demandeurs, il n’y a aucun moyen de prouver ça ».

Pour Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis venu en soutien, « ces discriminations, quand il y a discrimination, sont insupportables pour celles et ceux qui en sont victimes mais aussi pour la République et ses institutions, il faut agir maintenant. On pourrait en finir, d’abord avec des décisions de justice, avec un certain nombre de règles, notamment la publication d’une circulaire par le ministère de l’éducation interdisant les contrôles lors de sorties scolaires ».

Que ce soit sur les réseaux ou par des campagnes, on va continuer à sensibiliser, essayer d’apaiser les tensions car il y a une rupture totale entre les jeunes et la police

« Ce procès est utile car des jeunes choisissent la voie qui est celle de la justice pour faire valoir leurs droits, juge l’ancien ministre Benoît Hamon, membre fondateur du mouvement Générations-s. Si l’on maintient les contrôles d’identités alors qu’on sait qu’ils sont très peu efficaces, expérimentons les récépissés de contrôle d’identité, comme un moyen d’éviter que le contrôle d’identité génère une infraction avec un outrage ». L’ancien ministre regrette par ailleurs l’absence d’humanité du procureur. « Il n’a pas eu un seul mot pour les trois jeunes plaignants, il est défenseur de la liberté, il s’est contenté de dérouler son argument sur la présomption de légalité dans l’activité des fonctionnaires. Je ne veux pas influencer les juges mais si l’on déboute trois jeunes, après qu’ils ont produit 14 attestations dont celles de leurs professeurs, celles de passagers sur la réalité de la discrimination qu’ils ont subie lors de leurs contrôles d’identité, on reconnaîtra rarement la réalité du contrôle au faciès dans ce pays ».

Les trois jeunes plaignants se disent déçus mais ne lâchent pas. Mamadou Camara espérait voir l’état condamné mais souhaite « continuer le combat« . « Que ce soit sur les réseaux ou par des campagnes, on va continuer à sensibiliser et essayer d’apaiser les tensions car il y a une rupture totale entre les jeunes et la police », réagit-il.

Décision du tribunal le 17 décembre 2018.

Paloma VALLECILLO

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