Une file d’attente de plusieurs centaines de personnes devant l’entrée de l’annexe de l’Ecole normale supérieure et 800 personnes au bord de l’émeute parce que l’amphithéâtre ne peut en contenir que 200. Le séjour d’Ayaan Hirsi Ali en France est loin de laisser indifférent.

Cette ancienne députée néerlandaise est expressément menacée par des intégristes musulmans depuis l’assassinat de Théo Van Gogh, pour qui elle a signé le scénario du film Soumission. Très controversée pour ses positions radicales contre les fanatiques musulmans et leur livre, la jeune femme demande aujourd’hui la protection de la France. Depuis 2006, des débats houleux sur les conditions de sa naturalisation aux Pays-Bas l’ont conduite à vivre aux Etats-Unis où elle œuvre auprès de l’organisation lobbyiste American Enterprise Institute. Aujourd’hui, son pays d’adoption refuse de la protéger en dehors de ses frontières et celui où elle réside prétexte qu’elle n’est pas citoyenne américaine.

Pour l’intellectuel Bernard-Henri Lévy, elle est déjà « française par le cœur, les valeurs et, justement, l’esprit ». Mais la procédure lancée il y a quelques mois n’a pas encore abouti. Alors hier soir, à l’initiative de la revue ProChoix, La Règle du Jeu, Libération, SOS Racisme et Charlie Hebdo, une soirée de soutien lui a été dédiée. Les nombreuses personnalités présentes – politiques, journalistes et intellectuels – se sont succédées à la tribune pour prendre sa défense et celle de tous ceux qui luttent contre les intégrismes. Liberté d’expression, défense de la laïcité à la française, principes des Lumières dont se réclame aujourd’hui Ayaan Hirsi Ali sont énumérés, martelés par les tribuns, impatients de la compter parmi leurs concitoyens.

Très impliquée dans l’organisation de ce comité de soutien, la rédactrice en chef de la revue ProChoix, Caroline Fourest, décrit Ayaan Hirsi Ali comme une « femme courageuse qui refuse de se censurer », « elle mangerait volontiers de l’imam », plaisante-t-elle. Au-delà du cas de l’ancienne députée, c’est un débat européen qui est lancé : une personne menacée par un Etat totalitaire peut recourir au droit d’asile, mais lorsqu’il s’agit d’intégristes qui ne sont pas dans un gouvernement, alors là c’est différent. C’est un débat ancré dans la géopolitique actuelle, avec comme question de fond la lutte contre les intégrismes religieux en général, musulmans en particulier.

« La laïcité est-elle en recul ? », demande Philippe Val, directeur de la rédaction de Charlie Hebdo, qui comme à son habitude prend position pour une liberté d’expression sans conditions. « Non ! Elle se renforce dans la société française. » Accueillir Ayaan Hirsi Ali marquerait le refus de la peur des intégrismes. Dominique Sopo, président de SOS Racisme, déplore que la « nouvelle Salman Rushdie » vive comme un paria, au lieu d’être accueillie fièrement par la France. Selon lui, les islamistes ont changé de discours et plutôt que de l’attaquer de front, comme ils l’ont fait avec l’écrivain britannique, ils détournent les principes de l’antiracisme en la taxant d’islamophobe. Avant que ce ne soit au tour du directeur de publication de Libération, Laurent Joffrin, de prendre la parole, celle que tous sont venus soutenir ardemment fait une entrée remarquée. La salle se lève et l’applaudit chaleureusement pendant plusieurs minutes.

Bernard-Henry Lévy, figure de proue de la lutte contre les fanatismes religieux s’adresse alors directement au présidentde la République en l’exhortant d’envoyer un message d’espérance à nos concitoyens « d’origine musulmane » et particulièrement aux jeunes Européennes. « L’islam, pas plus que les autres religions, n’est une prison, c’est une option », défend-il. A travers l’activiste néerlandaise, il soutient toutes celles à qui la loi patriarcale impose d’« être musulman[e] et de le rester ». Il élargit ainsi le débat à la place de l’islam dans nos sociétés européennes et au consentement silencieux des comportements extrémistes.

Ayaan Hirsi Ali prend enfin la parole. Quelques mots en français, pour commencer, puis en anglais teinté de son accent africain. Tout de suite, elle nous interpelle avec cette simple phrase « I need help now ! ». Elle exprime son désir de continuer son combat commencé aux Pays-Bas, contre les violences de l’islam et son regret que le message soit incompris dans son pays d’adoption. Elle interpelle ensuite le président français en le citant dans sa propre langue : « « A chaque femme martyrisée dans le monde, je veux dire que la France lui offre sa protection en lui donnant la possibilité de devenir français », avait-il déclaré le 29 avril dernier ». Cet appel, Ayaan l’a bien retenu et demande aujourd’hui son application à son cas si particulier parce que radical, médiatisé et sans concession.

La secrétaire d’Etat aux droits de l’homme Rama Yade se chargera de lui répondre, lui rapportant un message personnel du chef de l’Etat : il soutient son action et s’engage à défendre la « création d’un fonds communautaire pour assurer la protection des personnes menacées », lors de la prochaine présidence française à Bruxelles.

Côté musulman, personne ou presque. A l’exception de Rama Yade qui se présente volontiers comme musulmane, les représentants religieux brillent par leur absence. Peut-être n’ont-ils tout simplement pas été conviés. Rama Yade, elle aussi européenne, née dans un pays musulman d’Afrique, mais pas « forcément d’accord avec [ses] propos ». Mais « le droit de liberté prime » conclut Ayaan. Il n’est donc pas question de trouver des excuses à ses éventuels agresseurs.

Après la représentante du gouvernement de droite, la gauche. Ségolène Royal « au nom de sa famille politique […] exige que la France accorde la nationalité française à Ayaan Hirsi Ali ». Elle ne souhaite pas prendre le risque de laisser à l’Europe, « où les décisions se prennent à plusieurs », la possibilité de lui refuser le droit de vivre sereinement.

Il existe en effet une alternative à la demande de naturalisation française. Le comité de soutien s’affaire aussi à Bruxelles où il réclame la création d’un statut spécial de protection. Une demande, lancée par Benoît Hamon et trois autres députés français européens, a été approuvée par 82 d’entre eux à ce jour et doit recueillir la signature de la majorité des députés pour être discutée au parlement. « La déclaration doit être remise le 15 mars prochain », précise le député PS. Une mission difficile, mais peut-être une occasion à saisir pour l’Europe. Elle qui peine à se faire une place sur la scène internationale, elle se doterait d’un nouveau moyen de lutte contre les intégrismes : la lutte pacifique des idées.

Dans la salle, une journaliste néerlandaise confie qu’elle est « choquée qu’Ayaan demande la nationalité française ». Elle regrette que les « Hollandais ne soient pas prêts à l’accueillir comme elle le mérite ». Trois membres de l’association UNAIF, l’Union des amis d’Île-de-France, invités par SOS Racisme, soutiennent sans condition la liberté d’expression. A titre personnel, Idrissa, Mamery et Ibrahim, Français musulmans, souhaitent véhiculer une image « positive et tolérante de leur religion». « L’Islam, selon Ibrahim, est un sentiment intime avec Dieu. »

Bouchra Zeroual

Bouchra Zeroual

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