« Lorsque les gens apprenaient que nous avions combattu en Algérie, ils nous rétorquaient que nous étions partis en vacances se souvient Jean, 76 ans, ancien combattant de Montfermeil, ému jusqu’aux larmes. D’où l’importance de la création de ce mémorial : il permettra de se souvenir des 244 soldats originaires de Seine-Saint-Denis et morts pour la France en Afrique du Nord, mais aussi, plus particulièrement de la guerre d’Algérie. Ce mémorial permettra aussi aux anciens combattants de se recueillir pour honorer leurs amis morts au combat.

A 10 heures, la cérémonie commence avec l’arrivée des élus, accompagnés en musique par la fanfare : Catherine Peige, maire de Bobigny, Christophe Lagarde, député-maire de Drancy, ou encore Jean-François Baillon, conseiller général de Sevran. Lors de la montée des drapeaux tricolores, tout le monde entonne la Marseillaise. Catherine Peige ouvre le bal en faisant le premier discours. Face à elle, le mémorial, œuvre du sculpteur Imre Kun : une colonne centrale en acier de 3 mètres de haut, surplombée d’une plaque de verre gravée d’une colombe, elle-même entourée d’une couronne d’olivier.

« Chacun de ces noms a une histoire : celle de jeunes, trop jeunes, qui n’avaient pas choisi d’être soldats. Pour la plupart, ils étaient appelés pour le contingent. Des soldats commis d’office dans la violence d’une guerre dont la finalité leur a échappé », explique la maire de Bobigny. Ce que confirme Jean, resté 28 mois dans la région d’Oran entre 1956 et 1958. Il a connu personnellement deux soldats parmi les 244 de Seine-Saint-Denis morts pour la France. Deux amis de Montfermeil : Claude Guérin, mort à l’âge de 22 ans, et Aimé Luisin, décédé à 24 ans. Lui-même a été appelé à 20 ans et demi pour aller en Algérie : « On était jeunes, on ne se rendait pas trop compte dans quoi on s’engageait. De toute façon, on n’avait pas trop le choix : on ne nous a pas demandés si on souhaitait ou non partir en Algérie. »

C’est ensuite au tour de François Coussin, secrétaire du comité du mémorial, d’adresser un message à la jeunesse : « Jeunes gens, jeunes filles. A l’âge des légitimes espoirs, vous possédez une richesse unique : n’avoir jamais connu la guerre. Cependant, la paix n’est jamais acquise définitivement, elle appelle vigilance et courage. » On peut toutefois constater l’absence des habitants, notamment des jeunes des quartiers : ne serait-il pas plus efficace que les anciens combattants rencontrent les collégiens et lycéens dans leurs établissements pour transmettre leurs histoires ?

Puis Jean Beckerich, président du comité du Mémorial, explique qu’« il a fallu attendre 37 ans pour que la France reconnaisse  que c’était la guerre en Algérie. Maintenant nous sommes les témoins d’un conflit que nous ne souhaitions pas. Témoins de cette déchirure entre deux nations. Notre vœu est que nous ne soyons pas les oubliés de l’histoire de notre pays. » Comme le confie de nouveau Jean, l’ancien combattant de Montfermeil : « Nous étions là soit disant pour faire le maintien de l’ordre. Petit à petit, cela a dégénéré en guerre. Quand nous sommes rentrés, nous n’en parlions pas, il n’y a que maintenant que nous commençons à en parler. »

Durant la cérémonie, on peut apercevoir les nombreuses décorations que portent les anciens combattants. A 10 heures 46 précises, le drapeau est enlevé sur le mémorial devant le préfet et les élus. Des collégiens de Pierre-Sémard lisent les noms des 244 soldats morts en Afrique du Nord. Après chaque nom, le collégien dit « Mort pour la France ! », et l’ensemble des personnes présentes répète à haute voix la même phrase. C’est l’un des moments forts pour Jean que d’entendre les noms de ses camarades morts au combat. A 11 heures, chaque gerbe est déposée au centre du mémorial par un élu accompagné par un collégien. Puis, ils saluent d’un geste de tête le monument.

Avant de quitter le mémorial, une minute de silence est observée, tous les drapeaux sont baissés par les porteurs, et une dernière Marseillaise est entonnée par tout le monde. Au gymnase Jesse Owens de Bobigny, un buffet a été organisé pour les anciens combattants. La plupart ont trouvé la cérémonie très émouvante. Comme Claude Gasgoin, habitant de Drancy, resté trente mois en Algérie : « Cela me rappelle des souvenirs plutôt tristes, comme dans toutes les guerres du reste. J’ai perdu des amis, j’ai eu des collègues tués ».

Ce mémorial est un nouveau pas dans la quête d’une reconnaissance de la guerre d’Algérie. Une guerre dont les souffrances restent intactes aujourd’hui pour nombre d’anciens combattants, Français ou Algériens. Cette cérémonie montre bien l’importance de continuer à transmettre l’Histoire aux gens qui ne l’ont pas vécue. Longtemps, les anciens combattants ont été empêchés de parler, surtout avant qu’ils ne soient reconnus comme tels par la France en 1999. Aujourd’hui, les anciens combattants, des deux côtés, ont besoin de mettre des mots sur la guerre d’Algérie.

Hana Ferroudj

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