On était donc invités à Fouras pour parler du Bondy blog, avec Sada. Elle l’a très bien fait en racontant notamment le type d’articles qu’on a aimé poster. Pour ma part j’ai pris au sérieux la thématique de l’atelier, et sa volonté de comprendre ce qui se passe en banlieue. C’est le contenu de cette intervention que je soumets à votre bienveillante attention. Je voudrais juste dire avant que j’ai bien aimé les interventions des intervenants d’après, Jean-Claude Chicaya, membre fondateur du collectif « Devoir de mémoire », et du responsable de l’Association nationale des élus de banlieue, sur lesquels j’aurai l’occasion de revenir dans des prochains posts.

Parler des banlieues, c’est parler d’un élément qui fait partie d’un ensemble dont les dimensions dépassent l’aspect strictement territorial. Parler des banlieues, c’est tenter de répondre aux interrogations suscitées par les évènements d’octobre-novembre 2005. Sans bien sûr prétendre épuiser le sujet ici, il me semble qu’on peut en distinguer plusieurs niveaux de causalité : immédiates, plus profondes et très profondes. Les dernières ressortent d’une crise qui affecte le système de références qui fondent la civilisation occidentale, qui entament son socle de légitimité, sur le plan idéologique, philosophique, politique, moral..etc… Je laisse à Woody Allen le soin de résumer : « Dieu est mort. Marx est mort. Et moi-même je ne me sens pas très bien en ce moment ». C’est un autre débat.

Les causes immédiates ont assez largement été attribuées à la tentation d’un homme politique français de communiquer sur sa musculature, on va dire. Et pour peaufiner le tableau de la confrontation, il a fallu préalablement asphyxier financièrement des associations de quartier, et sermonner les policiers qui avaient trop pris au sérieux le volet préventif de leur action.

La réflexion sur les causes profondes m’a parue plus intéressante.

La banlieue est un endroit que se définit par autre chose que par lui-même. Elle existe pour servir de base arrière logistique à autre chose. Cette chose c’est la ville, c’est à dire l’endroit qui a été conçu pour que beaucoup de gens puissent y vivre ensemble. La banlieue a été conçue pour que beaucoup de gens vivent ensemble dans de bonnes conditions …ailleurs. Elle est nécessaire au fonctionnement d’un centre métropolitain. Elle est à son service. Elle n’a pas été conçue pour elle-même. Raison pour laquelle elle est sous-équipée en infrastructures de loisirs, de culture, de services, de transports publics et même d’Etat. Et là le bât blesse. Alors que le tissu industriel s’est étiolé avec la crise économique des années 70-80, les enfants des ouvriers se retrouvent pris au piège de territoires qui n’ont pas été conçus pour y séjourner sans travail, dans un environnement qualifié de « criminogène » par Michel Rocard, un des pères du concept de « politique de la ville ».

Au cours de la même période l’Etat a fait sa mue idéologique. Il n’est plus l’outil majeur de transformation économique et sociale. Il doit reculer. Et là où il est le plus nécessaire, il est le moins présent. C’est dans les banlieues que la densité en hommes et en moyens de la présence étatique est la plus faible. Il y a plus de gendarmes par tête d’habitant à la campagne que de policiers en banlieue. L’Etat en France c’est notamment la sécurité (police, justice), la santé, l’éducation nationale. Tant qu’on laisse cette dernière à sa pente naturelle, les enseignants les plus expérimentés et les plus performants se retrouvent dans les centres métropolitains, là où les élèves sont en moyenne les plus favorisés culturellement face aux exigences scolaires. Le phénomène d’évitement de la carte scolaire n’a jamais été aussi fort qu’en ce moment. Restent donc ceux qui n’ont pas les moyens, entre-eux.

Il faut enfin prendre en compte un autre phénomène, parallèle. L’immigration. Elle n’est pas destinée aux centres métropolitains même si c’est là où elle se voit le plus, que les médias la voient. Ni à la campagne. C’est la banlieue qui absorbe massivement les nouveaux arrivants, qui n’ont généralement pas eu d’autre choix que de fuir des problèmes insolubles à leur échelle individuelle. Ils viennent donc avec leurs bagages de problèmes, et avec des handicaps culturels (linguistiques, juridiques…) comme viatique, contraints et forcés de faire avec un marché immobilier et de l’emploi qui ne font pas de cadeaux .

Et les voilà donc installés parmi ceux pour qui la vie est la plus dure.

 

Et là, je me pose la question, je pose la question, si on prend en compte ces éléments dans leur ensemble : comment se fait-il que ça ne se passe pas plus mal ?

Ce qui me paraît évident, c’est qu’une réponse pénale à des questions sociales peut y contribuer.

SK

Samy Khaldi

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