Pas de tag, pas de vitres cassées, les immeubles sont visiblement anciens mais propres. A la Bricarde, 15e arrondissement, quartiers nord de Marseille, tout est paisible. Il est midi, les gens font leurs courses pour le déjeuner. Pas de bruit, pas de guetteurs, la vie passe comme dans n’importe quel village. La violence si souvent dénoncée n’est pas apparente. Avec ses 15 000 habitants, la cité de la Bricarde forme une véritable petite ville. L’organisation des immeubles reflète l’esprit communautariste de la cité. Tournés les uns vers les autres ils forment une entité presque autonome.

Au « rez-de-chaussée », il y a des petits commerçants : une pharmacie, un bureau de tabac, une boulangerie et une épicerie. Au petit marché – Chez Bibi est le point central de la cité où l’on trouve tout ce dont on a besoin. Mohamed accueille très chaleureusement ses clients dans sa petite boutique. Le sourire aux lèvres et une blague pour chacun, il vend marrons, jambon et bonbons. Le secret de la tranquillité : « ça va pour ceux qui se connaissent ». La Bricarde en fait c’est une communauté, une famille.  Quand il a installé son commerce dans la cité, on a forcé sa grille deux fois. Mais il minimise les incidents, « c’est normal, quand on ne vous connaît pas on vous teste. »

« Ils suivent le troupeau »

Pour le commerçant, le problème de l’image des cités vient de la jeunesse. La « nouvelle génération, elle craint » selon lui. Il lui en faut peu pour qu’elle sorte de la droite ligne car très influençable. « Tiens, c’est comme ce jeune homme. » Kayen, un ado en survêtement ample rentre dans la boutique.

Braqueur, voleur, trafiquant de drogue ? Pas vraiment… « Il a commencé à faire l’école buissonnière et du coup sa mère l’a mis à l’internat. » On connaît plus chargé comme casier. Le grand délinquant murmure timidement sa demande à l’épicier. Mohamed éclate de rire, « je n’ai plus de Kiri, j’en aurai demain. »

Pour lui tout vient de « l’éducation ». Les jeunes n’ont pas à traîner dehors sinon ils suivent le troupeau comme des moutons. Il prend l’exemple de Tolcio. C’est un petit jeune qui a mal tourné. L’épicier n’est pas le seul à penser cela. Linda, une mère de famille nous explique : « c’est la faute des parents. Moi mon fils il est en 6e et je ne le laisse pas traîner. »

Un chômage endémique

Au « premier étage » de la cité, les entrées d’immeubles se font face. Au centre, une aire de jeu pour les petits et un peu plus loin un terrain de basket. On est mercredi, c’est les vacances et il n’y a pas de groupes de jeunes dehors comme on pourrait s’y attendre. Au pied d’une barre, à l’abri des gouttes, seuls quelques ados discutent calmement.

En réalité, pas de grosse délinquance dans cette cité, mais l’addition d’une somme de problèmes y rend la vie difficile. Notamment le chômage. Dans la cité il n’y a pas beaucoup d’emplois et le taux de chômage dépasse les 30 %. « Les gens ne sont pas de mauvaise volonté mais il n’y a pas de travail », explique l’épicier. Les habitants  vivent dans la précarité grâce à l’intérim. Difficile de motiver les jeunes, ils n’ont pas vraiment de perspectives d’avenir. Ils s’éloignent rapidement du système scolaire. Dans le 15e, moins de 10% sont titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, ce qui favorise le décalage ressenti entre la cité et le centre de Marseille (24%).

« C’est sale et pourtant on paie »

Linda finit par confier sa réalité. L’année dernière, il y a un scooter qui a brûlé dans les cages d’escalier du bâtiment K. Les pompiers sont arrivés mais tardivement. « Le soir je ne laisse pas ma fille aller seule chez la voisine ». Elle avoue avoir un peu peur. Mais elle aussi minimise les difficultés. Ce sont les jeunes de la Castellane qui viennent occuper le terrain. Pour Mohamed, « là-bas c’est le haut lieu de la drogue. »

Un couple d’une vingtaine d’années passe. Ils sont en colère : « Vous n’avez qu’à dire que c’est de la merde. » Sur le parking, un quinquagénaire bâche sa décapotable. Lui aussi est importuné par nos questions. « Vous croyez que ca me plaît de vivre ici ? Non, je n’ai pas le choix. » Pourquoi une telle animosité ? « C’est toujours sale ici et pourtant on paie ». En plus, le regard de « l’extérieur » est stigmatisant. A la banque, impossible d’avoir un prêt quand on vient de la Bricarde. Les habitants se sentent abandonnés par les politiques. Ces derniers restent discrets sur le sujet. A la Bricarde, ce n’est pas simple. Les tensions sont palpables mais pas clairement affichées. Alors que l’on a vue sur la rade de Marseille, sur le coteau d’en face poussent les pavillons résidentiels qui font rêver.

Charlotte Cosset

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