Le café du matin apporte bien plus que de la caféine, il permet aussi de prendre sa dose de sucre, d’humour, de haine et d’optimisme. Du prix du gaz à mai 68 tout y passe et les habitués restent.

Sur le zinc, Le Parisien est jamais bien loin, marqué par la journée, entre le café, la bière et le bic des turfistes. Le journal du peuple, du « petit peuple », celui qui fait vivre la machine, qui fout du charbon dans la chaudière et qui le soir venu se rêve en patron, gentleman ou footballeur. En médecine comme en bistrologie c’est pourtant d’ici que la température se prend. Au cul de la bête, les coudes dans les cacahuètes.

« 27 euros, ils se foutent vraiment de notre gueule, je les gagne pas comme ça moi ». Cette année encore le gaz augmente, parmi d’autres factures, mais le gaz ça compte. Comme l’électricité, les impôts, le tabac, la bouffe…la vie en somme. Le demi pourrait augmenter qu’il y aurait plus de bruits au début, mais la discussion retomberait toujours sur ces pattes : l’Etat et cette « révolution » qui gronde.

Tous les matins, Martine vient prendre la température, achète les cigarettes pour les voisins en petite monnaie, fait 2-3 courses, puis repart avec ses béquilles. Elle réapparaît toujours sur les coups de midi, l’heure du « p’tit blanc », celui qu’elle finit par absorber en quantité au fil de sa journée d’éclopée.

« Je peux te dire que par rapport à ce qui va venir, mai 68 c’était rien ». Elle promet des « morts à la pelle » aussi. Parce que c’est « plus possible ». Tout serait donc fait pour l’emmerder, sa patte, la vie chère et les 27 euros de gaz supplémentaires. L’auditoire est acquis, pas besoin d’être conquis ; la nuance ne se fait plus. Il y a bien Lucette, 80 ans bien passés, qui tempère un peu, mais du haut de 1mètre 50 on l’entend à peine. Pourtant elle est assez radicale, mais trop optimiste pour être crédible peut-être. « Plaignez-vous, moi j’ai connu la dictature, ici au moins on est libre, les jeunes ont pas de boulots, mais ils sont libres ». Mussolini est loin, mais le fascisme sert toujours de mètre étalon.

Victor, traîne le matin dans un rade, un peu plus loin. À 85 ans il a lui aussi connu la dictature, mais celle de Salazar. Il ne s’appelle pas Victor, mais conserve cette coquetterie. Lui aussi trouve que ça tourne pas rond, encore plus maintenant, même s’il est propriétaire et financièrement à l’abri, il ne comprend pas. Alors il vote FN, parce que les autres « c’est des cons qui font rien ». Arrivé en France  à la fin des années 60, il est entré au Parti. « Les copains m’ont dit que les communistes me trouveraient du travail ».

« J’en ai trouvé, poursuit-il, puis j’ai collé des affiches que je ne comprenais pas, je savais pas lire le français ». Il est resté faire le ménage et l’homme à tout faire à la « télé » pendant plus de 15 ans, avant de déchirer sa carte du PC. « Marchais c’était un mec bien », mais maintenant « il y en a plus des comme lui ». Alors il vote FN, « parce que moi j’ai connu la dictature et que Marine Le Pen elle peut pas être pire que Salazar ».

Une logique implacable qui suscite peu de réactions dans le bar. La serveuse l’entend tous les matins et n’y prête plus l’oreille pourtant il fait du bruit et agit. Tous les matins Victor fait des sandwichs qu’il amène à quelques étudiants qui campent à Vincennes en tente, faute de logement décent. « Ca c’est dégueulasse, ça devrait pas exister ». Pourtant ils sont là, et hiver comme été il va porter des sandwichs à ces habitants des bois. Il croit lui aussi que la situation ne peut plus tenir. En attendant, il guette la fin, et adhère au programme d’extrême droite.

À la boulangerie, au marché, au bistrot…qu’ils grommellent ou râlent, ils ne se cachent plus et l’appellent « Marine ». Dans un climat tempéré, tout est histoire de saison et de température. Et c’est aussi cela la politique, l’art de gouverner avec les saisons et les factures de gaz.

Adrien Chauvin

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