Tout le monde a déjà entendu parler de l’alyah, terme hébraïque qui désigne la « montée » des juifs vers Israël. Mais très peu savent ce qu’est l’hégire : l’immigration des musulmans vers une terre d’islam. Dans la tradition islamique, l’hégire correspond au départ du prophète Mohammed et de ses compagnons vers la ville de Médine, à l’époque où ils étaient persécutés par les habitants de la Mecque. Aujourd’hui, l’hégire est préconisée par les théologiens salafistes, qui conseillent aux musulmans qui ne peuvent pratiquer parfaitement leur religion, de quitter le territoire où ils se trouvent pour se rendre dans un pays plus en rapport avec leurs idéaux de foi.

Ce phénomène concerne surtout les jeunes vivants en Occident, qui à un moment de leur vie, émigrent en terre d’Orient définitivement. Ainsi, des jeunes Français ayant toujours vécu dans le pays du camembert, se décident à sauter le pas, comme Ahmed : « Je suis né à Paris. C’est après mes études de droit que j’ai accordé une plus grande place à ma pratique religieuse, et j’ai vu que je ne pourrais vivre ma foi pleinement en France. J’ai donc entrepris de partir avec ma femme et mes enfants dans un pays musulman. »

» Idéalement, poursuit Ahmed, j’aurais aimé vivre en Arabie Saoudite, mais le permis de séjour est difficile à obtenir. J’ai donc cherché un endroit en Syrie et en Egypte, sûrement pas au Maghreb, région trop occidentalisée à mon goût. » Ces jeunes ne se sentent pas persécutés en France, mais ils éprouvent un mal être : « Je suis magasinier, je suis sur le pont toute la journée, je ne peux arrêter mon travail pour aller prier, ou même prendre une demi-journée le vendredi pour la grande prière », dit Hafid.

Au mal être s’ajoute le sentiment d’être exclu par la société française : « Magasinier depuis cinq ans, j’en ai marre de ce job, poursuit Hafid. Je rêve d’être commercial dans ma boîte, mais ma DRH m’a fait comprendre qu’avec ma barbe, je ferais peur aux clients. » Ahmed vit une situation semblable : « Quand j’ai entamé mes études de droit, je souhaitais être avocat pénaliste, mais malgré mes nombreuses candidatures, aucune n’a abouti, sans raison particulière. La seule qui ait pu jouer en ma défaveur, c’est ma barbe. Elle doit faire fuir. Aujourd’hui, je suis juriste dans une association humanitaire catholique. »

Ahmed et Hafid sont conscients que leurs conditions matérielles ne seront pas des meilleures dans un pays musulman, mais ils ont d’autres préoccupations : « J’ai un ami qui a accompli cette démarche, explique Ahmed. Il vit depuis de nombreuses années en Syrie. Il était fonctionnaire à Paris, aujourd’hui il est taxi et son salaire n’excède pas 150 euros, mais au moins, il peut porter la barbe, se promener en djellaba, prendre le train sans que personne ne l’épie, il est heureux, il vit sa foi pleinement. »

Ces jeunes salafistes ne comprennent pas pourquoi beaucoup, en France comme ailleurs en Occident, font l’amalgame entre terroristes et salafistes. « Ce qu’on veut, c’est vivre notre foi sans concession. Nous condamnons les terroristes qui tuent au nom de la religion, nous ne faisons pas de politique, on veut juste préparer parfaitement notre rencontre avec Dieu, sans bruit. Nous sommes rigoristes. »

Selon le Conseil français du culte musulman (CFCM), ce phénomène migratoire est marginal dans la communauté. Il ne touche pas la première génération musulmane venue du Maghreb, mais plutôt ses enfants, qui ont bu le lait de Marianne. Cette orthodoxie musulmane à des similitudes avec ce qui se passe aujourd’hui parmi les juifs français. De part et d’autre, les plus religieux, des jeunes le plus souvent, sont convaincus qu’ils vivront mieux hors de France : certains à Jérusalem, d’autres au Caire.

Chaker Nouri

Chaker Nouri

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