C’est muni d’une pochette violette qui renferme trois années de son existence que Hamidou, 32 ans, est venu la première fois au local. Ce grand gaillard aux épaules robustes n’a de solide que sa corpulence de boxeur. Son mental, lui, est au plus bas. Posément, il déballe l’histoire qui le tourmente depuis trop longtemps déjà. À l’opposé des contes de fées, le récit de Hamidou commence bien et se termine mal.

Longtemps au RMI, Hamidou apprend en 2005 que le Conseil général de Seine-Saint-Denis aide les jeunes chômeurs à s’en sortir. Il finance le permis de conduire poids lourds pour les aider à trouver un emploi stable. Il dépose vite un dossier. Bingo, le département lui apprend qu’il participera à hauteur de 3435 euros à sa formation pour l’obtention du sésame, le permis C.

« À l’époque, j’ai pris ça comme une chance de m’en sortir, de me faire une situation et de mener une vie d’adulte, posée et stable », se souvient le jeune homme. Tout se passe bien, il décroche son permis professionnel avec succès. Mais une affaire qui date du 21 juillet 2001 revient à la surface et chamboule la vie de Hamidou. Un banal accrochage sur le périphérique ce jour-là avec un véhicule immatriculé dans les Hauts-de-Seine, vient mettre en pagaille sa jeune carrière professionnelle.

Quelques instants après le choc, rangés sur la bande d’arrêt d’urgence, Hamidou et l’autre conducteur – un homme d’une cinquantaine d’année, accompagné de son épouse –, d’un commun accord, décident de ne pas faire de constat. « J’avais une vieille utilitaire, lui une vieille Polo, les dégâts n’étaient pas importants, nous sommes repartis chacun de son côté. » Sauf que, le conducteur du camion n’est pas rentré chez lui.

Hamidou l’apprendra quatre ans plus tard. En mars 2006, il reçoit une lettre en recommandée du ministère de l’intérieur l’informant de l’annulation de son permis. Le conducteur de la Polo avait tracé fissa au commissariat pour déposer plainte. Selon lui, Hamidou, le jeune homme au véhicule immatriculé en Seine-St-Denis, avait pris la fuite. Le conducteur avait discrètement, au moment de l’incident, noté le numéro d’immatriculation de la vielle utilitaire de Hamidou. Ce dernier a voulu en savoir plus auprès du commissariat, et le cas échéant porter plainte à son tour contre le conducteur de la Polo, personne n’a voulu enregistrer cette demande.

La perte définitive de son permis conjuguée à son délit de fuite prolonge sa période de sursis en mode chômeur. Mais Hamidou croit en la justice française et sait qu’il n’a commis aucune infraction au code de la route. Surtout, comment le simple témoignage d’un citoyen lambda, peut-il mener à un retrait de permis ? Aucun procès-verbal n’avait été dressé. Hamidou forme un recours en demandant la preuve de son existence. La saisine du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise s’ensuit. Les lenteurs administratives mettent la vie de Hamidou entre parenthèses. En attendant le jugement, il plonge dans une profonde dépression. Sa vie privée en prend un coup. « Les soucis me hantaient tout le temps, la nuit je ne dormais plus, j’étais au bord du gouffre. »

En 2008, c’est avec difficulté que Hamidou remonte la pente. Un de ses amis lui suggère d’aller sur le plateau de « Sans aucun doute », « peut-être que ça marchera ». Il hésite pour finalement laisser tomber. « J’avais pratiquement tout perdu, il ne me restait que ma dignité. » Le jeune homme choisit une autre option. Il prend contact avec des associations connues, AC Le Feu, BBR, puis des personnalités politiques comme Elisabeth Guigou, Eric Raoult. Ces personnalités écrivent des lettres au préfet de Seine-St-Denis. Toutes ces démarches restent vaines, elles ne lui seront d’aucune aide.

Il vise plus haut et se dit qu’avec Fadela Amara, « la ministre des banlieues, ça va sûrement avancer ». Que nenni ! « Elle m’a promis de me recevoir mais ne l’a jamais fait. Je me suis donc rendu au Secrétariat d’Etat à la politique de la ville. Ça s’est terminé en embrouille, j’ai été refoulé par la police, un bordel pas possible », raconte, amer, Hamidou.

En février 2009, il obtient gain de cause. Le juge administratif annule la décision de retrait de permis pour irrégularité. Sauf qu’entre-temps, le marché du travail a évolué. Les offres d’emplois qui pleuvaient trois ans plus tôt se sont envolées. La bonne nouvelle du tribunal redonne toutefois confiance à Hamidou. L’injustice dont il est la victime lui ont fait perdre sa jeunesse, sa santé et son peu d’argent. En avril dernier, il écrit au service contentieux et juridique du ministère de l’intérieur. Il demande trois ans de salaire et une indemnité pour préjudice moral. Pas de réponse. Il téléphone au standard du ministère, qui le met en relation avec un certain M. Bousquet. Celui-ci snobe complètement la demande d’indemnisation.

Aujourd’hui, Hamidou est toujours sans emploi et sans perspectives. Il a récupéré tous ses permis. Il souhaite solder les comptes avec la justice, condition indispensable pour tourner la page et reconstruire sa vie. Il vit avec le goût amer de ceux qui perdent foi en la justice.

Hanane Kaddour

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