Les pancartes sont bien prêtes. « Mamans debout« , « mamans du 19ème en colère« , « pas de frontières entre les quartiers » ou encore « on est tous du 19ème », peut-on y lire. Il est 14h30 et les manifestants commencent à scander leurs messages de paix ce samedi 25 novembre : parmi eux, beaucoup de mères de famille, inquiètes et excédées de voir la violence gangréner leurs enfants. En guise d’introduction, Cathy Latif prend la parole : à 38 ans, cette mère de famille habitante du 19ème et elle-même enfant de l’arrondissement, a voulu agir plutôt que d’observer les jeunes de son quartier basculer. En guise d’ouverture, les chanteurs de Gospel rendent hommage aux victimes des violences de ces dernières années. A leurs côtés, des associations locales et des médiateurs de la mairie du 19ème.

La mort de trop, celle qui a fait bouger les consciences, c’est celle de Boubou Yatera. Dans la nuit du 22 au 23 septembre 2017, ce jeune habitant de 18 ans du 19ème, décède d’une balle dans l’abdomen lors d’une rixe opposant une trentaine de jeunes de la cité des Flamands à d’autres jeunes de Curial-Cambrai près de la gare Rosa Parks. Et ce, près d’un an après le décès de son frère, Demba Yatera, alors âgé de 25 ans.

« On sait tous ce qui se passe, on attend que ça crame pour intervenir« .

Le défilé commence à peine. Une femme pousse la poussette de son bébé endormi, bercé par les slogans. Née dans le 19e, cette mère de famille vit dans le quartier de l’Ourcq depuis 5 ans. « Si on n’agit pas maintenant en tant que parents, nos enfants récolteront ce mauvais climat plus tard. Et ce sera trop tard pour pleurer ». Fatima Niakate, 29 ans, habite aussi le 19ème. « J’ai peur que mes petits frères rentrent dans cette spirale infernale. On ne peut pas comprendre mais c’est nous qui endurons« . Diaby Aissatou a 29 ans. Elle a un fils de deux ans et se sent concernée par cette marche. « Ce serait bien de préparer les choses en amont pour que nos enfant arrivent dans de bonnes conditions, pour qu’ils grandissent dans des quartiers stables et sans violence ». 

Diaby Aissatou, 29 ans, habitante du 19ème arrondissement et jeune mère de famille se sent concernée par la démarche

« Ce n’est pas qu’une question de violences. Le problème est plus général, il y a une confiscation des revenus par certains et pas assez de partage »

Mahira Delanney, également habitante du 19ème, en est convaincue. « Si tous ces gamins avaient été à la fac, s’il y avait eu l’éloquence comme arme, ils s’en seraient tous servis dans les joutes verbales comme on fait dans les grandes écoles mais tout ça me fait de la peine, ça me met en colère parce qu’on sait tous ce qui se passe et on attend que ça crame pour intervenir ». Hadrien Bortot, lui, est militant communiste du quartier. Il se trouvait dans le 19ème lorsque Boubou Yatera est mort. « J’étais dans un café et un copain m’a appelé en panique parce qu’il avait peur pour son petit frère, parce qu’il était dehors à ce moment-là. J’explique ces violences par l’ennui de ces jeunes mais aussi par un besoin de reconnaissance, un besoin de se faire des ennemis pour exister, pour se créer une identité. Avec cette marche, on essaie de montrer que cette identité dans le conflit, elle a moins de valeur que l’identité positive des gens qui décident de marcher ensemble, de faire des choses collectivement ».  Jérôme Housseau, 57 ans, musicien, regarde avec passion l’effervescence de la marche, heureux de l’initiative mais dit ne pas être dupe. « Ce n’est pas qu’une question de violences. Le problème est plus général, il y a une confiscation des revenus par certains personnes, pas assez de partage. Pour s’en sortir, ils vont faire quoi ces jeunes ? », se demande-t-il, le ton inquiet.

Mahira Delanney, habitante du 19ème arrondissement, prend la parole durant la marche

« Il faut des aînés qui interviennent dans les écoles pour montrer d’autres modèles aux jeunes » 

Le cortège arrive au quartier de Crimée. L’atmosphère est familiale, il y a tous les âges. Les policiers indiquent aux manifestants de rejoindre le rond-point. C’est l’effervescence. Une maman prend la parole qui prendra fin par des youyous lancés par quelques manifestantes. Sarah Mital, 19 ans , étudiante en 1ère année de BTS de communication, les connaît ces jeunes. « On a grandi avec eux, on les croise à la boulangerie, au supermarché. Certains qui sont partis avaient mon âge, ça fait super mal au cœur ». Pour remédier à cela, elle propose une solution. « Il faudrait qu’il y ait des intervenants qui viennent dans des écoles primaires, parmi les collégiens, ils ont besoin d’avoir des aînés pour leur apprendre d’autres moyens de communication, leur montrer d’autres modèles ».

En face du 104, le lieu des danseurs du 19ème , Abderrahman Kelil, futur professeur des écoles de 24 ans, écoute attentivement les prises de parole. Originaire de Crimée, il est très investi dans la vie de quartier, notamment avec l’Espace 19, le centre associatif des quartier du 19ème arrondissement. « Je connais bien la première victime (Demba Yatera, ndlr). Quand je l’ai su, ça m’a refroidi, j’ai tremblé. On n’avait pas pensé aux guerres de bandes. Ca a été mis au second plan avec tout ce qui se passe. C’est en plein Paris quand même … Il en est de la responsabilité de tous ! Il faut que tout le monde soit impliqué pour suivre les jeunes !  Tous se regrouper et mener une action commune et faire un état des lieux ! Nos parents se sont donnés du mal pour nous amener là. La France nous donne les moyens, malgré les inégalités de traitement ».

Persuader les jeunes de se joindre au cortège

Sandrine Valorus, l’une des organisatrices, fait un point sur la manifestation. « Je suis très contente de la mobilisation. Là, on va arriver dans le coeur, dit-elle en désignant du doigt la direction, vers les rues de Tanger et du Maroc. C’est là-bas que les jeunes sont concentrés, on est en plein dedans. Je ne pensais pas qu’on allait pouvoir mobiliser autant gens à ce point-là ». Un peu plus loin, celle qui est mère de trois jeunes adultes, installée à Corentin-Cariou depuis 15 ans, nous fera cette confession. « Un de mes fils a 20 ans. Je ne dors pas tant qu’il n’est pas rentré ». 

Sandrine Valorus, habitante de Corentin-Cariou dans le 19ème, l’une des organisatrices de la marche pour la paix dans le 19ème

L’obsession des initiateurs : persuader les premiers concernés, les jeunes, de venir marcher que d’assister en spectateurs. Mahira Delanney espère, elle, en « ramasser » certains. « On souhaite les convaincre de marcher avec nous, ceux qui s’arrêtent sur le chemin par exemple. Nous avons tous une part de responsabilité, dans l’éducation qu’on leur donne et dans les choix qu’on leur propose ensuite mais s’il y avait fait des trucs à faire, ils n’en seraient pas là aujourd’hui ».

« Curial, Cambrai, Riquet : c’est le même quartier »

Les slogans jaillissent. « Curial, Cambrai, Riquet : c’est le même quartier« , s’époumonent, à l’unisson, les manifestants en référence aux violences entre jeunes de ces cités qui depuis au moins 20 ans s’affrontent régulièrement. Boubakar Diaby a 64 ans mais la force et la conviction de ceux qui en ont 30. Membre actif de l’Association socio-culturelle et d’entre-aide aux familles, créée en 2002, qui propose des cours de soutien et organisent des sorties pour les enfants, il voit dans ce rassemblement le signe d’une volonté de tous d’être solidaires avant tout. « Tout parent a peur pour la sécurité de ses propres enfants, toutes ces violences doivent nous interpeller tous, sans exception mais surtout nous unir. Dans notre association, nous réunissions tous les habitants sans distinction de quartiers, qu’ils viennent de la Place des Fêtes ou de l’Avenue Jean Jaurès ». 

Boubakar Diaby, 64 ans, président d’association dans le 19ème arrondissement de Paris

Parmi les manifestants, les élus se font rares ou ne se rendent pas visibles. Dans le cortège, nous avons croisé Gabriel Gau, 28 ans. Il est adjoint au maire, chargé de la jeunesse, sans son écharpe. « C’est indispensable que la population se mobilise, ensemble, et la mairie est à disposition pour aider toutes les initiatives qui se créent ».

« Aujourd’hui, j’ai peur que mon ancienne réputation me rattrape et que ma fille en pâtisse », Lamence Madzou

La marche se finit par la prise de parole des « repentis », ces anciens voyous reconvertis pour l’occasion en prêcheurs de bonne parole en racontant à leurs cadets l’exemple à ne pas suivre. L’ancien chef de gang entre 1987 et 1992, Lamence Madzou, s’empart du micro. « J’ai fait partie de ces bandes, raconte Lamence Madzou, Aujourd’hui, j’ai une fille. J’ai peur que mon ancienne réputation me rattrape et que ma fille en pâtisse. Dommage qu’il n’y ait pas assez de jeunes présents aujourd’hui ». Dexter poursuit: « Aujourd’hui les jeunes n’ont plus peur de leurs parents et les petits vont transmettre ce qu’ils ont vu des grands ». Dans la foule, un jeune au pas rapide se fait remarquer. Il a 21 ans mais ne souhaite pas donner son identité. « Je suis sorti il y a un mois de prison.  Même en prison, on croisait des gens du 19ème et là-bas, les conflits pouvaient reprendre. Les jeunes des gangs ne sont pas à la marche, ils disent « ça sert à rien, il n’y aura jamais la paix ».

Lamence Madzou raconte son expérience d’ancien chef de gang

« On ne veut pas partir. Rester ici c’est un choix »

Malgré tout, Mahira Delanney dit rester attachée à son 19ème. « On peut marcher partout dans le 19ème, il n’y a pas d’endroit fermé parce que ce sont des cités ou que ce serait interdit par les bandesC’est parce qu’on est chauvin ! On ne veut pas partir d’ici, on a tous eu des propositions, y’a des gens qui ont les moyens de partir mais ne le font pas. Rester ici c’est un choix. Le populaire, c’est encore ce qui rassemble le plus. J’ai appris 8 langues en vivant ici et on sait situer le Congo sur une carte ! », s’amuse-t-elle.

La marche prend fin Rosa Parks, pas très loin de là où Boubou Yatera est décédé il y a deux mois. Parents et organisateurs promettent d’autres actions pour ne pas en rester là mais c’est un beau début : au total, environ 300 habitants ont répondu présents.« Je pense que nous pouvons faire plus mais que nous devons aussi nous interroger sur ce qui ne marche pas. Je pense par exemple qu’il n’y a pas assez d’accompagnement en général de la part des parents. C’est pourquoi avec notre association nous organisons une réunion le 9 décembre avec cette question : Où avons-nous failli ? Que reste-t-il à faire ?« , souligne Boubakar Diaby. Malgré les quasiment 3 heures de marche, l’émotion et un des slogans de la marche, « nos mamans sont fatiguées« , l’énergie est encore là visiblement.

Yousra GOUJA

Crédit photos : ROKAS MORKUNAS

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