Deux jeunes, ballon aux pieds, jouent au stade Archereau, le city stade de la cité des Flamands, situé à quelques mètres près de l’avenue de Flandre dans le 19e arrondissement parisien. L’un, Muntaseen Abdulmannah, porte le maillot du PSG, l’autre, celui du FC Barcelone. Il n’y a quasiment pas un bruit. Ce moment d’insouciance où deux ados s’amusent au pied des tours vétustes, dont certaines sont en cours de réhabilitation, donne un peu de chaleur dans une atmosphère pesante ces dernières années. La faute aux violences qui opposent les jeunes du quartier et le quartier tout proche, Cambrai.

« Au quotidien, toute cette violence me gêne beaucoup », confesse l’un des deux jeunes, élève au collège Georges Méliès, situé sur la rue de Tanger, régulièrement théâtre d’agressions ces dernières années. Au point que la justice s’en inquiète dans un courrier adressé en février 2016 par le procureur de la République de Paris à Jacques Méric, le directeur de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne. « Le phénomène des affrontements entre bandes rivales est marqué à Paris depuis plusieurs mois par une augmentation sensible des faits de violence », décrivait François Molins.

Le quartier Curial-Cambrai délimité par les rues de même nom au début de l’avenue de Flandre ; la cité des Flamands coincée entre l’avenue e Flandre et la rue d’Aubervilliers. Au nord, la gare RER récente Rosa Parks

Muntaseen et son camarade, tous deux âgés de 13 ans, se tiennent éloignés de ce genre d’histoires. « J’ai connu des gens qui sont partis dans des batailles comme ça, entre quartiers. Il y a un an, par exemple, il y a eu deux blessés et un mort« , explique ce dernier. L’ado fait référence à la rixe qui a opposé une trentaine de jeunes des Flamands à d’autres jeunes de Curial-Cambrai près de la gare Rosa Parks, dans la nuit du 22 au 23 septembre 2017. Boubou Yatera, jeune habitant de 18 ans, y trouvera la mort : balle dans l’abdomen. Et ce, près d’un an après le décès de son frère Demba Yatera, alors âgé de 25 ans. C’était dans la nuit du 15 au 16 octobre 2016, deux hommes à scooter ont ouvert le feu sur la vitrine d’un bar à chicha du quartier, Le Luxury, rue de Crimée. Ils ont ensuite pris la fuite, avant d’être pourchassés par deux hommes en voiture dont Demba Yatera. Quelques centaines de mètres plus loin, les conducteurs de la voiture ont percuté le scooter et l’ont fait tomber. L’un des deux passagers du scooter a ouvert le feu en direction de la voiture, blessant mortellement Demba.

« Tout le monde souffre de cette violence entre jeunes« 

« Tout le monde souffre de cette violence entre jeunes« , témoigne Coumba Ka, habitante du coin qui craint que les futures générations ne soient, elles aussi, prises dans ce cercle vicieux. Le décès du jeune Boubou Yatera a choqué les habitants. Certains ont alors décidé de former un mouvement citoyen. L’objectif est on ne peut plus simple : s’organiser, se mobiliser pour dire non à a violence qui gangrène les quartiers du 19ème arrondissement et montrer que les familles ne font pas de cette situation une fatalité.

Cathy Latif, 38 ans, une des initiatrices du mouvement citoyen

Marche pour la paix dans le 19ème arrondissement le 25 novembre 

Deux habitantes, deux mères de familles en sont à l’initiative : Cathy Latif, 38 ans, mère de deux enfants de 17 et 8 ans, a grandi dans le 19ème arrondissement et y vit toujours ; Sandrine Valorus, 40 ans, mère de trois jeunes adultes, s’est installée à Corentin-Cariou il y a quinze ans. C’est la mort du jeune Boubou Yatera, « la mort de trop », comme elles disent, qui les a décidées à agir. La première réunion a eu lieu le 12 octobre.

Sandrine Valorus, 40 ans, arrivée dans le 19ème arrondissement il y a 15 ans, est une des deux initiatrices du mouvement

Autour d’elles ce 8 novembre, une cinquantaine d’habitants se sont retrouvés au centre Curial pour préparer la mobilisation. Ce soir-là, beaucoup d’idées fusent : certains proposent un atelier pour la création de pancartes, un autre suggère de s’entraîner à la prise de parole en public, quelqu’un demande à bien diffuser l’information sur tous les réseaux sociaux. La discussion porte également sur les démarches à entreprendre auprès de la police et de la préfecture sur l’itinéraire de la manifestation. Elle devrait partir de la mairie du 19ème pour arriver à la gare de Rosa Parks. « Il faudrait pouvoir passer devant le complexe sportif du Curial aussi. Les jeunes s’y rassemblent et des échauffourées y ont déjà eu lieu« , propose un des participants, militant associatif du quartier. Le rappeur MHD, précurseur de l’afro-trap et l’ancien chef de gang, Lamence Madzou, devraient d’ailleurs prendre la parole durant la manifestation.

De gauche à droite, après la réunion du 8 novembre du collectif , Séverine Tholière, Cathy Latif, et Sandrine Valorus.

« Les milieux politiques laissent faire tant que ça n’éclabousse pas les autres quartiers« 

Bakary Sakho, figure importante du 19ème arrondissement, soutient le mouvement des habitants. Cet homme de 36 ans, qui a grandi dans le 19ème, est gardien d’immeuble sur la rue Curial. Bénévole associatif, très engagé dans son quartier, il ne décolère pas face à cette situation qui dure depuis 20 ans selon lui. « Cette violence a traversé les générations. Ceux qui sont dans ces histoires aujourd’hui, la toute dernière génération, avec notamment le petit Boubou qui est mort, tout ça avait commencé avant même qu’ils ne soient nés ! »

Bakary Sakho, 36 ans, gardien d’immeuble, est une figure importante du 19ème arrondissement. Il soutient le mouvement des habitants

Selon lui, cet affrontement mortel n’est pas lié au trafic de drogue, ni à une guerre de gangs. « C’est juste une rivalité invisible entre deux quartiers« , reconnaissant toutefois ne pas avoir « la genèse de cette histoire« . Bakary Sakho n’hésite pas à pointer les failles de toute la chaîne éducative et sociale : des parents, qui selon lui « ne prennent plus leurs responsabilités », des associations « qui ne font pas leur travail » et « des milieux politiques qui laissent faire tant que ça n’éclabousse pas les autres quartiers« . Pour lui, l’heure n’est plus au dialogue mais à la répression, appelant à ce que la police et la justice fassent leur travail. « Une fois qu’il y aura des arrestations, passages devant le juge, et des peines de prison, on pourra reprendre un travail social, de terrain et s’occuper des jeunes« , promet-il.

Pourtant, c’est bien le trafic de drogue qui a minaient ces quartiers il y a déjà vingt ans. Il faut dire que le contexte économique et social du territoire n’aide pas. Selon les données les plus récentes de l’Insee, le 19ème arrondissement de Paris affiche un taux de pauvreté de 24,4% et un taux de chômage de 16,6% largement supérieurs à l’ensemble de la capitale.

« C’est la première fois qu’on a affaire à une telle prise de conscience et d’action depuis 20 ans »

La mobilisation progressive des habitants fait plaisir aux organisateurs. Cathy Latif se dit « touchée » par cette énergie. « On pensait qu’on aurait un petit peu de monde, mais pas autant. C’est très important que les gens se mobilisent car finalement, ça nous concerne tous. On est des mamans. C’est un collectif d’habitants avant tout« , souligne cette femme en formation pour être coordinatrice de projet. Un collectif qu’a rejoint Coumba Ka. Gestionnaire de patrimoine, la jeune femme de 26 ans a franchi le pas en raison de sa propre histoire : ses grands frères sont impliqués dans ces violences entre quartiers et des camarades de classe sont morts. « On t’annonce un matin qu’un de tes copains de classe au collège est décédé à cause de rixes de jeunes. Ça fait très mal, » lâche-t-elle, émue. « Les gens se mobilisent, s’organisent, se rencontrent et mettent en place des initiatives. C’est la première fois qu’on a affaire à une telle prise de conscience et d’action depuis 20 ans », souligne Bakary Sakho.

Avenue de Flandre, 19ème arrondissement de Paris.

Et après ?

Si les préparatifs vont bon train, les initiateurs s’interrogent néanmoins : combien d’habitants vont répondre présents à la marche pour la paix ? Les jeunes vont-ils eux aussi rejoindre le mouvement et défiler avec leurs aînés ? Muntaseen, lui, hésite notamment à cause de la présence policière, chargée de sécuriser le cortège. Il craint que la police « tape sur les gens« . Quant à son ami, il dit ne pas être intéressé. D’où la proposition de Sandrine Valorus, une des organisatrices : une « mini marche des habitants dans chaque quartier » avant le rassemblement devant la mairie du 19e, en espérant attirer au passage du monde, notamment des jeunes. « Il faut laisser la place à la spontanéité surtout si des jeunes veulent prendre la parole », indique une mère de famille.

Et que faire après le 25 novembre, une fois les pavés foulés, la colère extériorisée et les images diffusées ? Parmi les pistes en cours, un projet de webradio pour les habitants du 19ème, piloté par Samba Doucouré. « On avance petit à petit. On a quelques productions », explique le journaliste à Saphir News, qui a grandi à Riquet sur la rue d’Aubervilliers. Avant cela, pour Bakary Sakho, le grand événement sera d’abord la Fête de quartier à La Villette prévue en 2018. Objectif : organiser une fédération d’associations dans le 19ème arrondissement afin que les structures arrêtent « de travailler de manière égoïste, chacun dans son coin, et à se battre pour avoir des miettes de subventions toute l’année »Un travail de longue haleine en perspective pour arriver à la paix entre les quartiers.

Jonathan BAUDOIN

Crédit photo : Jennifer BUCKLE et Mohammed BENSABER

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